Depuis quand les adultes que nous sommes ont-ils refusé de grandir ? L’émancipation de l’homme occidental nous maintient-elle finalement chacun bloqué à l’âge de l’enfance ? Ère de caprices et de pleurnicheries, temps des "c’est pas moi, c’est lui" et des enthousiasmes immatures devant des héros de pacotille qui nous fascinent par leur bravoure de posture. Je me morfondais devant nos régressions collectives et personnelle lorsqu’un gamin d’à peine 18 ans vint timidement me tirer par la manche à la sortie d’une messe : "Vous n’auriez pas une Bible, s’il vous plaît ?"
Mieux connaître Dieu
Je le regardai : fluet, la voix étonnamment assurée derrière un ton juvénile, le regard clair et direct. "Oui, bien sûr. J’en ai une si vous voulez. Mais que voulez-vous en faire au juste ? —La lire. En ce moment j’ai du temps." Du temps, à 18 ans ? La conversation était engagée : il était à la rue depuis deux jours, mis dehors par sa grand-mère qui ne supportait plus ses "mauvaises habitudes", lâcha-t-il en guise d’explication. Il dormait depuis la veille sous le portail de l’église. Seul ? Non, avec trois autres, plus âgés, "qui veillaient" sur lui. Avait-il faim ? Il m’assurait que les 80 centimes récoltés ce matin-là lui procurerait une maigre pitance, mais que ça irait.
Car le plus important, comme une urgence vitale, c’était qu’il puisse mieux connaître Dieu. Lire et discuter. S’il était encore là demain, et les jours après. Mais finalement, était-ce si important de se revoir ? Il trouverait toujours là où le vent le mène, des hommes ou des femmes pour échanger, discuter, mieux découvrir ensemble ce Dieu en qui il croit mais qu’il veut rencontrer. Il lui fallait pour cela une Bible, le livre, pour se nourrir et permettre de croire au lendemain.
L’indication du Chemin
L’enfant qu’il était presqu’encore face à l’adulte que j’ai tant de mal à être. Ou l’inverse. Dans cette société de psychodrames et de mises en scène, où la parole n’est qu’apparence et communication, voici ce jeune homme, cet homme en fait, qu’on vient de jeter à la mer et qui sait d’instinct que ce qui l’en sauvera, c’est Celui qui dit ces mots que ce Livre révèle. "Mais tu ne veux pas aussi un peu de nourriture ?" Il répond : "L’homme ne vit pas que de pain" et puis, dans un clin d’œil, "oui je veux bien aussi."
C’est étrange qu’à l’époque où les puissants déchus nous somment de communier à leurs chagrins, ce petit impuissant, doucement, puisse ainsi mendier auprès de moi l’indication du Chemin. C’est ainsi, comme je le crois, que Dieu rappelle à l’ordre son peuple. En mettant à sa portée de pauvres hommes qui ne brillent de rien, sinon de leur confiance. En espérant ainsi qu’il détourne les yeux de ce qui est mort, vanité, violence, mensonge et mépris de l’autre. Et qu’il contemple dans l’absolue fragilité d’une vie battue, la douce lumière qui caresse l’à-venir, afin que, lui aussi, puisse de nouveau y consentir. Quitter nos postures d’enfants qui jouent à être adultes. Être ces adultes qui reconnaissent, enfants, qu’ils ne peuvent rien sans Lui.










