Le temps est aux petits complots, comme on peut parler de petites magouilles. Il y a de grands complots, de ceux qui font rebondir l’Histoire et demeurent des siècles plus tard encore bien difficiles à débrouiller. Mais pour comploter ainsi, il faut être ingénieux, fin politique, en un mot, d’une intelligence aiguisée. Notre époque est brouillonne. Peu instruite et plutôt inculte. Chacun, devant son écran, s’imagine être appelé à de grandes choses. Le monde est à portée de clavier : on le façonne tel qu’on veut qu’il soit et tant pis s’il en est autrement, car alors on lui nie, à ce monde réel, le droit d’exister. On le ridiculise, on le salit, on le discrédite parfois même sans raison. Juste pour se défouler, se faire du bien en se croyant puissant.
"Lâcher un nom"
En s’attaquant à deux figures épiscopales majeures de notre pays, les évêques de Strasbourg et de Marseille, certains médias se livrent à un exercice pour le moins curieux et paradoxal. Les reproches publiés sur l’un comme et sur l’autre visent d’abord leur entourage et quand on y regarde de près, les faits qui leur sont reprochés sont soit fantaisistes (rumeurs, bavardages de quelques éconduits...) soit s’avèrent étrangers à leurs champs de compétence (prêtre incriminé dans un autre diocèse, religieux placé sous une autre juridiction...). Hélas le mal est fait, "lâcher un nom" comme le formula un jour tragique un ancien président de la République, c’est le vouer aux crocs de ceux qui se repaissent sans chercher à savoir. Certains amers qui se laissent dériver vers les rivages incertains de la reconnaissance, en tirent sans doute dans l’immédiat quelque jouissance. Mais ensuite ?
Le choix des cibles est évidemment réfléchi, comme s’il s’agissait de pétrifier ainsi le corps épiscopal en discréditant deux évêques majeurs sans doute aussi suspects car jugés par certains trop évocateurs de l’ancien pontife romain. Jamais de face, mais par personne interposée, en flinguant les très proches.
On répand un brouillard
À qui profite le crime ? Peut-être faudrait-il s’intéresser aussi à ceux qui annonçaient avec gourmandise sur les réseaux sociaux qu’il y avait "un avis de tempête sur Marseille prévu pour bientôt"... L’autre aspect encore plus grave, peut-être, de tout ceci, c’est qu’en agissant ainsi on répand un brouillard. Stratégie bien connue des communicants experts : il faut enfumer pour qu’on ne voit plus où les flammes consument. En mettant sur le même plan les affaires qui n’en sont pas et les crimes qui en sont, on sème le trouble, la confusion. On empêche le jour de se distinguer de la nuit en enveloppant tout cela d’une brume épaisse et angoissante qui contribue à diluer les vraies fautes dans les vrais mensonges. Ce dont les victimes pâtiront en premier. Nous entrerons alors un peu plus dans une culture du "tous pourris" d’où rien ne pourra sortir d’autre que la violence et la souffrance.
Il fut un jour, notent les évangiles, où "Pilate et Hérode devinrent amis alors qu’auparavant il y avait de l’hostilité entre eux" (Lc 23,12) : en se liguant au nom d’intérêts particuliers avec son exact opposé, on étouffe la flamme de l’Espérance. En renonçant à chercher ensemble la Vérité, on sature le monde de haine et on l’asphyxie par manque de charité.
