C'est un terrible constat auquel aboutit une étude publiée en septembre sur la mortalité des nouveau-nés. L'augmentation du taux de mortalité néonatale est "fortement" liée aux inégalités socio-économiques qui se sont creusées depuis quelques années en France. Depuis 2012, la mortalité infantile (décès avant un an) augmente en France, alors qu’elle recule dans la plupart des pays riches, à l’exception des États-Unis et du Royaume-Uni. En 2022, une étude a démontré que la période la plus critique pour les nourrissons est le premier mois de vie. Une équipe de recherche de l’Inserm, de l’Université Paris Cité, de l’Inrae, de l’Université Paris Nord et de l’APHP s’est donc penchée sur les facteurs de la mortalité néonatale (décès entre la naissance et le 28e jour de l'enfant) et a publié ses conclusions dans la revue médicale BMJ Medicine. Les chercheurs ont ainsi constaté que les mères résidant dans des communes défavorisées ont plus de risques de voir leur enfant décéder dans les premiers jours suivant sa naissance. Docteur Victor Sartorius, médecin dans le service de de Néonatologie et Réanimation Néonatale à l’hôpital Necker Enfants Malades à Paris et coauteur de la publication, revient sur les causes de la mortalité des nouveau-nés en France, encore mal connues en raison d'absence de données fiables mais dont une première explication vient d'être fournie.
Aleteia : Quel était l’objectif de cette étude ?
Docteur Victor Sartorius : Une première étude a révélé que la part qui augmentait le plus fortement dans la mortalité infantile (décès avant un an) était celle des nouveau-nés. Nous nous sommes donc concentrés sur la mortalité néonatale (décès avant le 28e jour du bébé). Nous avons exploré le versant des inégalités socio-économiques car on sait qu’il y a une association entre les niveaux socio-économiques et la mortalité des nouveau-nés. Cela a déjà été démontré dans d’autres pays. Mais jusqu’à présent, on ignorait quels étaient les territoires et les populations les plus touchés. En France, nous avions des données mais elles dataient de 15-20 ans. Le premier objectif était donc de faire un état des lieux plus récent. Le second objectif était de comparer ces chiffres avec ceux d’avant 2012. Nous sommes arrivés à la conclusion que la mortalité néonatale est liée au niveau socio-économique des mères : plus le niveau socio-économique est bas, plus le taux de mortalité néonatale augmente. Et en quelques années, la mortalité a augmenté uniquement pour les nouveau-nés dont les mères résident dans les territoires défavorisés.
La santé des nourrissons est intimement liée à celle de leurs mères.
Quelles sont les caractéristiques de ces territoires ?
Nous avons utilisé plusieurs facteurs, résultant de l’analyse de précédentes études, que nous avons remontés dans un indice. Les variables sont les suivantes : le taux de chômage, le revenu médian, la proportion d’immigrés, la proportion de non-propriétaires de leur logement et la proportion de familles monoparentales. Ces territoires défavorisés se situent davantage dans des communes urbaines plutôt que dans les territoires ruraux.
Comment expliquez-vous l’association entre le niveau socio-économique et la mortalité néonatale ?
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. La santé des nourrissons est intimement liée à celle de leurs mères qui, dans les zones les plus défavorisées, ont des taux d’obésité et de tabagisme plus importants que ceux de la population générale. Ces facteurs entraînent un risque plus élevé de prématurité. Or la prématurité est la première cause de mortalité chez les nouveau-nés. Elle représente 50 à 70% des décès. La deuxième cause sont les anomalies congénitales (les malformations) qui représentent environ 20% des décès des nouveau-nés. Ces deux causes sont davantage représentées parmi les populations défavorisées.
On passe plus de 70% du temps en sous-effectif de personnel soignant alors qu’on passe la quasi-totalité du temps avec un nombre de patients supérieur au seuil de sécurité.
L’accès aux soins joue-t-il également un rôle ?
Il est intéressant de séparer les causes en amont de la naissance, que nous venons d’évoquer, des causes en aval. A priori, le système de santé en France est présent partout et considéré comme accessible. Mais les études ont démontré que les populations défavorisées se saisissaient moins du système de santé même s’il était existant. La quasi-totalité des nourrissons décède à l’hôpital dans des services spécialisés dans le soin critique du nouveau-né. On sait que le niveau et la qualité des soins dans ces services se dégradent fortement depuis plusieurs années. Selon le rapport de la Société française de néonatalogie, on passe plus de 70% du temps en sous-effectif de personnel soignant alors qu’on passe la quasi-totalité du temps avec un nombre de patients supérieur au seuil de sécurité. Le rapport entre les conditions de travail dans les unités hospitalières et l’augmentation de la mortalité chez les nouveau-nés a été démontré. Un rapport de la HAS s’est penché sur les événements indésirables graves chez les nouveau-nés : la Haute Autorité a conclu que la moitié de ces événements était évitable. Cela laisse une franche marge d’amélioration dans la qualité des soins qu’on apporte aux nourrissons aujourd’hui.
Vous avez le sentiment que la néonatologie n’est pas une priorité pour le gouvernement ?
C’est un pan de la médecine qui est laissé de côté alors que 10% des nouveau-nés sont hospitalisés à la naissance ! Les derniers décrets qui régulent l’organisation des soins critiques des nouveau-nés datent de 1998. En revanche, ils ont été mis à jour en 2022 pour les soins critiques de l’enfant plus grand et de l’adulte. Le coût que l’on accepte d’attribuer pour un nourrisson en réanimation représente moins de la moitié de celui d’une hospitalisation pour un adulte, alors même que l’hospitalisation d’un nouveau-né demande plus d’attention et plus de technicités. En outre, nous n’arrivons plus à fidéliser les personnels dans ces services. Un tiers des personnels soignants ont moins de deux ans d’expérience dans les services de soins critiques du nouveau-né en France. Et trois quarts des services de réanimation du nouveau-né ont des postes de médecins vacants.








