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Au moment où l’on stigmatise des établissements privés qui s’efforcent de transmettre une culture religieuse à leurs élèves, il convient de s’interroger sur ce que serait une culture scolaire amputée par principe de ses dimensions spirituelles. Que resterait-il de l’histoire de France sans l’évocation des liens complexes entre l’Église et la monarchie, des débats de la nature et de la grâce à l’aube de l’âge moderne, de la volonté de la Révolution d’instaurer un culte civique ? Que resterait-il de la littérature si les références religieuses présentes chez d’innombrables auteurs — de Villon à Claudel, en passant par Rousseau, Baudelaire ou Camus — étaient passées sous silence ? De la philosophie, si tous les auteurs ayant parlé de Dieu devaient être exclus des programmes ? Pourrions-nous comprendre les œuvres d’art qui peuplent nos musées sans références bibliques ? Et plus fondamentalement, existe-t-il une culture qui ne procède peu ou prou d’une interrogation métaphysique sur le sens de l’existence humaine ?
Enseigner la culture religieuse dans l’école laïque
En 1943, dans son ouvrage L’Enracinement publié de manière posthume en 1949 par Albert Camus, la jeune philosophe et enseignante Simone Weil, farouche ennemie de tous les sectarismes politiques et religieux et servante passionnée de l’enseignement public, écrivait ces lignes :
Une âme jeune qui s’éveille à la pensée a besoin du trésor amassé par l’espèce humaine au cours des siècles. On fait tort à un enfant quand on l’élève dans un christianisme étroit qui l’empêche de jamais devenir capable de s’apercevoir qu’il y a des trésors d’or pur dans les civilisations non-chrétiennes. L’éducation laïque fait aux enfants un tort plus grand. Elle dissimule ces trésors et ceux du christianisme en plus.
Après avoir mis en garde contre la tentation étroitement partisane de certaines institutions catholiques, Simone Weil vilipende les excès d’un laïcisme militant lorsqu’il exclut les "trésors" de toutes les grandes traditions spirituelles. Le mal est donc ancien, et je ne comprends guère que certains "laïques" puissent aujourd’hui s’enorgueillir de cet "analphabétisme religieux" si répandu et qu’ils nomment à tort "neutralité".
Un trésor privilégié
Cela dit, comme le reconnaîtra plus tard Régis Debray dans son rapport sur L’enseignement du fait religieux dans l’école de la République (2002), la culture chrétienne imprègne d’une manière particulière les sociétés occidentales. Simone Weil poursuit :
Il est absurde au plus haut point qu’un bachelier français ait pris connaissance de poèmes du Moyen Âge, de Polyeucte, d’Athalie, de Phèdre, de Pascal, de Lamartine, de doctrines philosophiques imprégnées de christianisme comme celles de Descartes et de Kant, de la Divine Comédie ou du Paradise Lost, et qu’il n’ait jamais ouvert la Bible.
C’est bien dans l’école publique que la philosophe préconise d’ "inclure dans l’enseignement de tous les degrés, pour les enfants déjà un peu grands, des cours qu’on pourrait étiqueter, par exemple, d’histoire religieuse". Si, dans la logique de neutralité de cette école, elle recommande de "regarder [le christianisme] comme un trésor de la pensée humaine parmi d’autres", pour autant son importance spécifique pour comprendre la culture occidentale oblige à l’enseigner de manière privilégiée, dans un effort d’intelligence à la fois empathique et distancié : "On ferait lire aux enfants des passages de l’Ecriture, et par-dessus tout l’Evangile. On commenterait dans l’esprit même du texte, comme il faut toujours faire." On est bien loin, non seulement d’une censure systématique du fait religieux, mais aussi d’une muséographie tout extérieure des diverses religions, présentées comme derniers reliquats des âges obscurs.
Du côté des écoles catholiques
Qu’en est-il des établissements catholiques ? En tant qu’associés à l’État par la loi Debré (1959), ils pourraient montrer la voie que l’enseignement public peine à emprunter, en honorant les dimensions religieuses des diverses disciplines, selon les recommandations (peu suivies) du rapport Debray. Mais en tant qu’établissements libres, jouissant de la possibilité d’activités spécifiques (confessionnelles ou non), pourquoi ne répondraient-ils pas à l’analphabétisme religieux des élèves de manière plus systématique ? Ils pourraient alors s’inspirer des recommandations que Simone Weil formulait, sous la forme de cours spécifiques et obligatoires de culture religieuse, clairement distincts d’une catéchèse. De tels cours devraient alors vérifier deux conditions. Premièrement, donnant à connaître l’importance du fait religieux dans la culture, ils s’adressent à l’intelligence des élèves, sans présupposer une quelconque adhésion de foi ou position spirituelle chez ceux-ci. Cela n’empêche pas le professeur d’aborder le phénomène religieux dans ce qu’il a de plus intime. Ainsi, le Mémorial retraçant l’illumination mystique de Pascal figurait-il comme objet d’étude dans le célèbre et aconfessionnel Lagarde et Michard.
Deuxième condition : accordant à la culture chrétienne une place primordiale, du fait de ses liens avec l’histoire occidentale, mais aussi de la mission chrétienne de l’établissement, ces cours doivent assumer une position d’ouverture éclairée vis-à-vis des autres traditions, de l’athéisme, et de toutes les questions et objections venues des élèves.
Dans un dialogue respectueux
En conclusion, la laïcité ne saurait consister en la mise entre parenthèses des questions religieuses à l’école : cela ne conduirait qu’au creusement de l’inculture générale des élèves, tout en favorisant les préjugés entre communautés croyantes (ou non). C’est au contraire par une présentation raisonnée, à la fois distanciée et respectueuse, des diverses positions spirituelles, que les élèves apprendront à se connaître eux-mêmes et entre eux, et par conséquent à se respecter mutuellement.
Quant aux écoles catholiques, elles se doivent de promouvoir et de nourrir la liberté de conscience de leurs élèves, incroyants comme croyants : elles le feront en donnant à connaître le christianisme sans exclusive, dans un débat exigeant entre foi et raison, et dans un dialogue respectueux avec les autres traditions. N’est-ce pas en assumant de manière argumentée une position particulière que l’on peut entrer dans un débat loyal avec autrui ?












