"Quand vous priez, dites… " C’est un commandement simple qui nous est donné par le Christ et qui va un peu à l’encontre de toutes nos écoles de prière. Quand les disciples s’adressent à Jésus pour lui demander qu’il leur apprenne à prier, Jésus ne leur donne pas une méthode, il ne leur propose pas un parcours en quatre soirées qui balaie toutes les traditions spirituelles de son temps, mais il leur donne des mots. Une prière toute simple. Sa prière.
Cela ne s’invente pas
En préparant cette homélie, je me suis amusé à parcourir des fiches de pédagogie moderne. Invariablement, dans chacune de ces fiches, un des objectifs pédagogiques cité est celui-ci : permettre à l’apprenant de dire la chose avec ses propres mots. C’est quelque chose que nous avons tous dans un coin de notre tête : nous nous sommes approprié pleinement une notion dès lors que nous pouvons l’exprimer avec nos propres mots. Or voici que Jésus, qui est le maître, le pédagogue par excellence, se révèle comme étant celui qui vient nous donner les mots pour dire ce que nous ne comprenons pas encore.
Si Jésus nous donne les mots de sa prière, c’est d’abord parce qu’il est tellement difficile de savoir quoi dire à Dieu. Nos mots et nos idées de Dieu sont si éloignés de la réalité qu’il est compliqué pour nous de parler à Dieu sans dire de bêtises. Parler à Dieu, comme parler de Dieu, cela ne s’invente pas mais cela s’apprend. En cela, la liturgie est certainement la meilleure école de prière car elle nous donne, à la suite de Jésus, les bons mots pour demander les bonnes choses.
Ce que nous pouvons désirer avec rectitude
Comme le dit saint Augustin, dans le don du "Notre Père", Jésus nous enseigne deux choses : il nous apprend à demander ce que nous désirons et il nous apprend à désirer ce que nous devons demander. Cette prière est à la fois une école de l’audace qui nous pousse à demander avec courage et insistance ce que nous désirons, mais aussi une école d’humilité qui nous conduit à purifier nos désirs pour les conformer à la volonté de Dieu. Ainsi, la prière du Seigneur est véritablement la règle de toute prière chrétienne : "En elle, non seulement nous demandons tout ce que nous pouvons désirer avec rectitude, mais encore selon l’ordre où il convient de le désirer" explique saint Thomas d’Aquin (Somme théologique, IIa-IIæ, a.83, q.9), de sorte que toutes nos prières doivent être liées d’une manière ou d’une autre aux demandes du Notre Père.
Une manière nouvelle de prier
Mais l’intérêt de l'oraison dominicale n’est pas seulement pédagogique. Cette prière inaugure aussi une manière complètement nouvelle de prier. Ce qui est radicalement nouveau dans cette prière, ce sont ses deux premiers mots : Notre Père. La clé de la prière du Notre Père n’est pas seulement de nous donner les bons mots pour demander les bonnes choses, mais plutôt nous faire entrer dans une nouvelle relation à Dieu. Jésus nous apprend à appeler son Père, notre Père et par là même il nous fait entrer dans le mystère de sa relation avec le Père.
Dans une vision symbolique et anthropomorphique de la paternité divine, nous la rapprochons spontanément de la relation de création et d’origine. Notre père humain est celui qui donne la vie ; par analogie, Dieu peut être appelé Père parce qu’il est l’origine de toute vie, celui qui nous a créés. Puisque nous partageons cette origine commune, nous sommes tous frères et sœurs, enfants d’un même Père. Cette approche universelle et symbolique de la paternité divine doit être complétée par une perspective spécifiquement chrétienne, que Jésus Christ nous révèle.
Une relation d’adoption
Car la paternité divine qu’il nous fait découvrir n’est pas seulement symbolique : elle touche à l’identité même de Dieu. Dieu est Père ; il est le Père de Jésus, et Jésus est le Fils dans l’Esprit. C’est dans le mystère de la Trinité que réside le sens profond de la paternité divine, dont nos paternités humaines ne sont qu’un lointain écho. En se révélant à nous, Jésus nous fait entrer dans la relation qui l’unit à son Père, nous invitant à l’appeler par ce nom. "Quand vous priez, dites : Père" (Lc 11, 2). Pour le chrétien, la filiation divine dépasse la simple filiation universelle liée à la création. Elle ne se fonde pas principalement sur une relation d’origine, mais sur une relation d’adoption, qui passe par la personne du Fils unique, Jésus Christ.
La liturgie eucharistique éclaire ce sens nouveau de la filiation divine. La prière du Notre Père suit immédiatement la grande doxologie qui conclut la prière eucharistique, où nous prions "par Lui, avec Lui et en Lui" — par Jésus, avec Jésus et en Jésus. C’est uniquement ainsi que nous pouvons dire "Notre Père" : par Lui, car le Christ nous ouvre cette relation nouvelle ; avec Lui, car c’est lui qui nous enseigne cette prière ; en Lui, car c’est dans son corps, l’Église, que cette prière s’élève.
La prière du Christ
Quand nous disons le Notre Père, non seulement nous disons la prière du Seigneur, nous utilisons ses mots pour nous adresser à Dieu, mais en plus, nous sommes introduits dans la relation du Père et du Fils, si bien que notre prière devient celle que le Christ adresse à son Père. Nous prions, mais c’est le Christ qui prend notre prière et la présente à son Père et Notre Père.
Lectures du 17e dimanche du temps ordinaire :











