"Je suis un fils de saint Augustin" : ces mots de Léon XIV, dès sa première apparition à la loggia de la basilique Saint-Pierre au soir de son élection, ont donné le ton d’un pontificat "augustinien", tout comme celui de François fut "ignatien". Robert Francis Prevost, qui fut le prieur général de l’Ordre de Saint-Augustin de 2001 à 2013, a en effet forgé sa vocation et son parcours dans le sillage de ce Père de l’Église qui a durablement structuré la pensée chrétienne, en insistant sur la foi, la grâce divine et la conversion.
Depuis le XIXe siècle, la formation du clergé a plutôt mis l’accent sur saint Thomas d’Aquin, qui propose une conception du lien entre foi et raison inspirée de la philosophie grecque, et notamment d’Aristote. Dans la réflexion thomiste, l’observation de la nature et la connaissance de l’histoire doivent conduire à une éthique vertueuse et à une démonstration rationnelle de l’existence de Dieu. Saint Augustin, qui n’était pas à proprement parler un helléniste, insiste plutôt sur l’expérience de la Révélation et de la conversion, dans une perspective d’unité avec le divin. Marqué par les invasions barbares et l’effondrement des institutions héritées de l’Empire romain, il propose une conception de l’histoire qui laisse apparaître une lutte dramatique entre la Cité de Dieu et la cité terrestre.
Avec saint Augustin, une inflexion théologique
Le magistère des papes de l’époque contemporaine a généralement suivi la trame thomiste, à l’exception notable de Benoît XVI, qui a soutenu une thèse sur saint Augustin lorsqu’il était jeune prêtre, en 1953. Il a souligné à de nombreuses reprises son affection pour ce Père de l’Église. "Lorsque je lis ses écrits, je n’ai jamais l’impression qu’ils sont ceux d’un homme mort il y a 16 siècles. J’y trouve un homme contemporain, un ami qui me parle, qui nous parle, avec une foi fraîche parfaitement actuelle", confiait Benoît XVI lors d’une catéchèse en 2008.
Léon XIV pourrait certainement reprendre à son compte ces mots du pape allemand, tant saint Augustin structure sa pensée et ses discours. Le 12 mai, lors de sa première rencontre avec le monde des médias, le nouveau pape confiait ainsi qu’il "ne peut y avoir de communication et de journalisme hors du temps et de l’histoire", reprenant cette célèbre citation d’un discours de saint Augustin : "Vivons bien, et les temps seront bons. Nous sommes les temps." Le "temps" de ce nouveau pontificat s’est donc ouvert avec une tonalité augustinienne prônant l’unité. "L’Église est constituée de tous ceux qui sont en accord avec leurs frères et qui aiment leur prochain", a assuré Léon XIV en citant un discours de saint Augustin lors de sa messe d’installation, le 18 mai. Le nouveau pape entendait ainsi promouvoir "une Église fondée sur l’amour et signe d’unité".
Le 19 mai, dans son discours aux délégués des autres Églises et des autres religions qui avaient participé à sa messe d’installation la veille, Léon XIV revenait sur le sens de sa devise : In Illo uno unum, une expression de saint Augustin d'Hippone qui signifie que ‘dans l'Unique – c'est-à-dire le Christ – nous sommes un’. Le 21 juin, dans son discours pour le Jubilé des responsables politiques, le pape rappelait l’importance de la liberté religieuse et du dialogue interreligieux en soulignant que "croire en Dieu, avec les valeurs positives qui en découlent, constitue une immense source de bien et de vérité dans la vie des personnes et des communautés". Il s’appuyait sur la Cité de Dieu de saint Augustin, "une société dans laquelle la loi fondamentale est la charité et pour laquelle l’homme doit passer de "l’amour égoïste de soi, fermé et destructeur" à "l’amour gratuit, enraciné en Dieu et conduisant au don de soi".
Aimer l’Église
Devant le clergé de Rome, le 12 juin, Léon XIV s’appuyait aussi sur saint Augustin pour lancer cet appel vibrant aux prêtres de la capitale italienne : "Aimez cette Église, vivez en elle, formez-la telle qu’elle vient de vous apparaître (...). Priez aussi pour les brebis dispersées ; qu’elles reviennent aussi, qu’elles reconnaissent aussi et aiment la vérité, afin qu’il n’y ait plus qu’un troupeau et qu’un pasteur". L’actuel prieur général des Augustins, le père Alejandro Moral Anton, soulignait récemment dans un entretien à I.Media que trois paroles essentielles résument la spiritualité augustinienne : la recherche de la vérité, la pratique de la charité, et l’unité. Augustin parle aussi beaucoup de l’intériorité, affirmant que Dieu est "plus intime que l’intime de moi-même". Celui qui a succédé au père Prevost en 2013 considère que "le pape Léon XIV porte ces dimensions spirituelles avec force, ce dont l’Église a grand besoin aujourd’hui".
Cette théologie augustinienne donne aussi une place importante aux émotions : en laissant pointer quelques larmes, notamment lorsqu’il a reçu l’anneau du pêcheur durant sa messe d’installation le 18 mai, Léon XIV s’est d’une certaine façon inscrit dans la filiation de saint Augustin, parfois surnommé le "docteur des larmes". La dimension de "la grâce des larmes" est très présente dans ses écrits, qui font notamment référence à celles de sa mère, sainte Monique, qui pria intensément et douloureusement pour la conversion de son fils.
[EN IMAGES] Léon XIV renoue avec la tradition du rite d’imposition du pallium










