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Quittant un lycée de la périphérie lyonnaise après avoir interrogé en mathématiques une dizaine de candidats aux oraux de rattrapage du baccalauréat, je songe avec tristesse à l’avenir de ces jeunes envers qui j’aurai exercé, selon les recommandations d’une inspectrice, la vertu de "bienveillance" : l’octroi d’un diplôme sans valeur et l’échec assuré à l’université pour des bacheliers repêchés in extremis alors qu’ils savent à peine lire, écrire et compter.
Faute de maîtrise élémentaire de la langue
Ce jour-là, hormis un candidat ayant quelques connaissances du programme et une certaine aisance calculatoire, j’ai dû m’employer à interroger des jeunes gens qui, de toute évidence, n’avaient réellement intériorisé aucune notion mathématique depuis le collège. Non seulement le moindre calcul les déroutait, mais les concepts les plus élémentaires du lycée semblaient n’avoir jamais été rencontrés. Ces grands adolescents m’apparaissaient pour la plupart sérieux, mais dépourvus de la maîtrise élémentaire de la langue française indispensable pour argumenter, quelle que soit la discipline. Essayant de les mettre sur le chemin d’un raisonnement par des questions aussi simples que possible, je n’avais pour réponse que des balbutiements tels que : "On fait xx’+yy’… ", "On fait la dérivée"… et lorsque je demandais : "Mais que représente ce calcul xx’+yy’ ?", un silence gêné ou bien : "Je ne comprends pas la question."
Misère d’un enseignement général qui, ne pouvant s’appuyer sur l’appropriation de concepts par le langage, se dégrade en séries de recettes appliquées mécaniquement, quand elles ne sont pas sous-traitées à la calculatrice. C’est ainsi qu’une certaine pédagogie des "savoir-faire" a remplacé la réflexion personnelle par le recours réflexe à des procédures machinales, vides de sens et réductibles à des instructions sur un clavier. Bien avant ChatGPT, nous avons produit en série nos propres intelligences artificielles.
Égalité des chances ou nivellement par le bas ?
J’enseigne les mathématiques depuis 1988 et, de réforme en réforme (j’en suis à mon vingtième ministre de l’Éducation nationale !), j’ai vu le rouleau compresseur du nivellement par le bas à l’œuvre. Au-delà de variations de programme plus ou moins arbitraires, et surtout de sujets d’examens de plus en plus routiniers, les deux étapes les plus nuisibles du point de vue de l’enseignement scientifique furent à mon sens, premièrement la disparition des filières C et D en 1994, fusionnées en filière S, alors que cette dualité permettait d’accompagner de manière plus ajustée des élèves scientifiques de profils différents (enseignement plus abstrait en C, plus expérimental en D) ; deuxièmement, la suppression de la filière S par la réforme Blanquer en 2020 qui a disséminé les élèves à profil scientifique au sein de groupes aux niveaux encore plus hétérogènes, sans compter que cet éclatement des classes en multiples et éphémères entités a transformé les lycées en hall de gare, empêchant l’accompagnement cohérent des élèves.
La coïncidence de la réforme Blanquer avec l’apparition du Covid a en outre légitimé des sujets d’un genre nouveau, soigneusement stéréotypés, pures restitutions d’exemples élémentaires traités en cours, selon le modèle des épreuves de filières technologiques. Malheureusement la sortie du Covid n’a permis qu’une molle réaction pour renforcer ces sujets que les bons élèves se sont habitués à mépriser.
La hausse artificielle des moyennes
Par ailleurs, le baccalauréat incluant 40 % de contrôle continu, la course à l’échalote était lancée entre établissements, chacun s’efforçant de "ne pas désavantager" ses élèves, provoquant de façon mécanique une hausse artificielle des moyennes et, de surcroît, une perte de lisibilité des dossiers scolaires pour la sélection sur Parcoursup. Bien avant la réforme Blanquer, les élèves étaient surnotés au bac afin que les plus faibles aient une chance de le décrocher, mais selon une hiérarchie des résultats et des mentions conforme à la hiérarchie réelle. Depuis cette réforme, une mention "Bien" dans tel établissement n’équivaut plus à la même mention dans tel autre.
Quelles sont les conséquences de ces décennies de rafistolage à l’aveugle ? S’agissant du bac général, les élèves les plus doués n’y sont plus vraiment stimulés. En mathématiques, jusqu’à la première, les quatre heures hebdomadaires ne leur demandent que peu de travail, et il faut attendre la terminale et surtout l’option "mathématiques expertes" pour passer brutalement de quatre heures à neuf heures (étonnant sens pédagogique !) et affronter enfin des défis consistants. Mais la faiblesse des évaluations durant l’année, et la banalisation des notes très hautes qui s’ensuit, ne permet plus de distinguer les dossiers des très bons élèves de ceux des bons ou assez bons. Surtout, ces élèves plus doués auront été maintenus trop longtemps en dessous de leur potentiel, gaspillant ainsi leurs ressources.
Mirage égalitaire
Du côté des élèves les plus faibles, il conviendrait par justice de les aider de manière spécifique, quitte à recourir à des redoublements bien accompagnés ou des orientations ajustées dans les filières techniques (hélas toujours dévalorisées aux yeux des parents). Au nom de l’égalité, et par un souci cynique d’économie, on préfère les faire passer de classe en classe, chaque nouvelle année empilant de nouvelles lacunes sur les précédentes, jusqu’à la caution ultime mais illusoire d’un baccalauréat sans valeur intrinsèque. Ce mensonge systémique n’aboutit qu’à d’immenses frustrations, lorsque l’élève estimé en terminale à un "niveau convenable" découvre qu’on l’a trompé depuis son collège et qu’il n’a pas sa place dans les études supérieures.
Voilà à quoi aboutit le mirage égalitaire du Bac pour tous, déguisé en "bienveillance" : à la pire des injustices par le creusement des inégalités (les familles plus favorisées connaissent parfaitement les stratégies de la réussite) et au darwinisme éducatif dont la France, pays de l’égalité, détient désormais la palme européenne.
Hiérarchiser les apprentissages
Pour inverser cette spirale infernale, une des clefs serait la réorganisation des disciplines niveau par niveau en tenant enfin compte de leur hiérarchisation : car la non-maîtrise du français de plus en plus généralisée (notamment du fait de la perte du goût de la lecture et de l’abrutissement causé par l’hyper-connexion) pénalise également toutes les matières. Consacrer plus de temps et le plus tôt possible à la maîtrise de la langue, c’est renforcer par avance toutes les disciplines à venir ! Il conviendrait donc de renoncer au collège aux enseignements périphériques, limités à moins de deux heures par semaine, saupoudrages que les élèves négligent instinctivement et qui encombrent les emplois du temps, pour donner la part maximale au français (environ six heures par semaine), une part importante aux mathématiques (cinq heures par semaine) et une part significative à l’histoire-géographie et à l’anglais (quatre heures par semaine). Les bases de la lecture, de l’écriture, de l’abstraction et de la culture générale seraient ainsi consolidées, favorisant par la suite l’apprentissage de nouvelles disciplines, progressivement ajustées au profil des élèves.
J’ai souvenir qu’en 1984, le ministre Jean-Pierre Chevènement avait fixé comme objectif 80 % de bacheliers dans une classe d’âge. L’humoriste Jacques Faizant avait moqué l’injonction par un dessin dont la légende était : "80 % des bacheliers sauront lire, écrire et compter." J’avais beaucoup ri à l’époque. Mais 40 ans plus tard, nous y sommes.












