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Pourquoi ne pas bouder le 14 juillet

Pourquoi ne pas bouder le 14 juillet

Le défilé militaire du 14 juillet 2025, sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris.

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Jean Duchesne - publié le 14/07/25
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Si imparfaite qu’elle soit, la nation est en un sens une mère. La fêter est simplement réaliste, observe l’essayiste Jean Duchesne, qui précise : c’est aussi aimer le prochain sans attendre qu’il soit parfaitement aimable.

Quatorze juillet : c’était la fête nationale. Jour férié. On n’y a pas coupé. Mais qu’est-ce qu’on a célébré exactement ? Est-ce qu’on a subi en en profitant pour prendre un peu de bon temps qui ne coûte pas grand-chose ? 0u bien est-ce qu’il y a lieu ce jour-là de participer, de partager — c’est-à-dire de prendre conscience de recevoir et d’avoir en même temps un peu à offrir ? La réponse n’est pas si évidente. 

1790 ou 1789 ?

Ce n’est pas tant la fête qui pose problème : expériences, envies et recettes ne manquent pas. C’est plutôt l’idée de nation qui interroge. Le mot vient du latin nasci, qui signifie "naître", et désigne donc l’ensemble des gens nés au même endroit et qui ont ainsi une origine commune. C’est cependant plus compliqué, en raison d’une multiplicité de facteurs. D’abord la nation ne peut plus être définie comme un groupe strictement ethnique, "propriétaire" d’un territoire bien défini : les populations bougent, les frontières aussi. Et puis les États ne constituent pas tous des nations homogènes : il arrive qu’il n’y ait pas d’unité linguistique, sans parler des divisions philosophico-religieuses et des divergences sur l’histoire qui a façonné le pays.

En ce qui concerne la France, la fête nationale a été en 1880 fixée au 14 juillet, non sans ambiguïtés. À l’époque (celle des débuts contestés de la IIIe République), on s’est explicitement référé non pas à la prise de la Bastille en 1789, mais aux festivités grandioses un an après sur le Champ-de-Mars à Paris : un bref (et vain) moment de consensus, avec des serments vite oubliés et une messe bâclée par un évêque (Talleyrand) qui n’avait sans doute pas la moindre vocation sacerdotale. La culture populaire a en tout cas associé la date non pas à cette célébration en 1790 de la notion vite périmée de "Fédération", mais à la sanglante émeute pas si glorieuse qui avait douze mois plus tôt enclenché le renversement de la monarchie, mais aussi la Terreur révolutionnaire de 1792-1795, dont il est tout de même rétrospectivement difficile de se féliciter unanimement et sans réserve.

Bellicisme et cocardisme

Pour ne rien arranger, le patriotisme exalté chaque 14 juillet à partir de 1880 a des connotations militaires, si ce n’est belliqueuses. Il s’agissait de réparer l’humiliation de la défaite de 1870-1871 face aux Prussiens et à leurs alliés et bientôt vassaux allemands, et de leur reprendre l’Alsace et la Lorraine. Un grand défilé des troupes a donc dès le départ fait partie des festivités. D’ailleurs la martiale Marseillaise, primitivement "Chant de guerre pour l'armée du Rhin", avait été instituée comme hymne national l’année précédente, en 1879 : comme en 1792, les ennemis de la République étaient au nord-est. Il y a eu depuis deux guerres mondiales, où la France a pris sa revanche (1914-1918) et gagné "la belle" (1939-1945) dans le sillage des Anglo-Américains et des Soviétiques, non sans un nouvel effondrement en 1940.

Aujourd’hui, on n’entend plus "mugir dans nos campagnes" de "féroces soldats, qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes", obligeant à crier : "Aux armes, citoyens !" La défense, toujours reconnue comme une nécessité, est redevenue un métier, et l’on n’enseigne plus aux enfants ce qu’affirmait un héros de Corneille : "Mourir pour le pays est un si digne sort qu’on briguerait en foule une si belle mort" (Horace, acte II, scène 3). Reste un esprit cocardier, fier des exploits des compétiteurs sous pavillon bleu-blanc-rouge, déçu voire vexé que leurs performances ne soient pas plus régulièrement les meilleures.

La nation en procès

Bref, tout cela ne semble guère justifier un jour annuel de réjouissances. D’autant que l’on peut, indépendamment d’épisodes sombres si ce n’est ignominieux du passé, déplorer des options plus récentes dans le champ "sociétal" (avortement, euthanasie, transsexualité…), s’en inquiéter, s’en désolidariser même, et chanter comme Brassens : "Le jour du Quatorze-Juillet, je reste dans mon lit douillet. La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas."

ARC DE TRIOMPHE

Mais voilà : on ne peut pas renoncer à sa nationalité et se déclarer apatride, comme certains renvoient leur légion d’honneur quand le gouvernement a pris une mesure jugée révoltante. Qu’on le veuille ou non, il est pratiquement impossible de s’isoler dans une autonomie totale : sans aide de personne, ou sans autre compagnie que des âmes-sœurs du même avis sur tout. On peut bien sûr changer de nationalité, se faire « naturaliser » citoyen d’un autre pays, de même qu’on peut faire modifier son nom. Mais il y a bien des conditions et quantité de démarches, et cela ne fait que remplacer une définition, une appartenance ou une allégeance par une autre. 

« Désamour de la patrie »

"Naturalisation" est d’ailleurs encore un dérivé du latin nasci, car l’être humain ne se produit pas tout seul et doit naître, mais aussi grandir et se socialiser. Notons qu’alors que "patrie" vient de pater (père : celui qui transmet l’identité qu’il a lui-même reçue), le mot est féminin : la nation dont on est issu joue un rôle que l’on peut dire maternel : éducatrice, pourvoyeuse de règles et de soins assurant un fonctionnement coopératif au service de ses "enfants". Mais, dans les sociétés contemporaines, le "système" favorise l’épanouissement des libertés individuelles, si bien que les "valeurs" héritées des générations précédentes, censées cimenter l’unité de la communauté, sont plus ou moins ouvertement remises en cause. 

C’est ainsi que, dans certaines des nations au niveau de vie le plus élevé, désormais composées uniquement de minorités insatisfaites, apparaît et se répand un "désamour de la patrie". À quoi s’ajoute le discrédit du nationalisme, accusé de chauvinisme égoïste et myope par les élites humanistes qui se flattent d’être pacifistes, cosmopolites et transculturelles. Le patriotisme est alors classé ringard et la fête nationale est réputée n’intéresser que des beaufs.

Réalisme et Évangile

Or ce mépris n’est pas moins borné que la xénophobie qu’il dénigre. La nation est une réalité qui, bien qu’elle ne soit certainement pas éternelle, transcende l’État du moment, et encore plus les orientations récemment prises dans le jeu politique ou dans le domaine culturel. Il est aussi futile de refuser d’être en quelque sorte l’enfant de la nation à laquelle on appartient que de nier avoir une mère. La question est de savoir s’il convient de lui souhaiter sa fête. Il y a, pour justifier l’indifférence, des marâtres et, à l’inverse, des sevrages réussis. Reste que prendre conscience de ce que l’on doit à cette étrange entité d’un genre indéterminable qu’est "la mère-patrie", requiert quelque lucidité sans pour autant condamner à la passivité : c’est manifester que la nation n’appartient pas qu’à ceux qui y tiennent à présent le haut du pavé.

Et c’est également, peut-être sans tambour ni clairon, mais réellement, se laisser inspirer par l’Évangile, qui commande de ne pas aimer uniquement ceux dont on est déjà aimé (Mt 5, 46-47 ; Lc 6, 32). Si ce que devient mon pays ne me plaît pas, c’est en un sens une raison de plus pour lui souhaiter publiquement de continuer à transmettre les dons qu’il a reçus. Assister au défilé de la fanfare, au feu d’artifice et au bal sous les lampions, c’est après tout se rappeler que Jésus n’a pas eu peur d’aller s’assoir et festoyer avec les païens et les pécheurs (Mt 9, 10-11).

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