Le suicide de don Matteo Balzano, du diocèse italien de Navaro, a suscité un peu partout émotions et commentaires. Le ministère confié au nouveau chancelier du diocèse de Toulouse après qu’il ait purgé une peine de prison pour viol sur mineur provoque colère et indignation. Deux faits, bruts, qui disent aussi bien des choses sur la crise que traverse le corps sacerdotal. Une amie me confiait l’autre jour son désarroi : "Comment se fait-il que nos prières pour les vocations, depuis si longtemps, portées par autant de monde, ne soient pas exaucées ?", s’interrogeait-elle avec émotion.
À qui s’adresse notre prière ?
Force est en effet de constater qu’année après année le nombre d’entrées dans les séminaires s’est effondré. Bien sûr, les esprits revanchards pensent trouver l’argument : il suffit de remettre du latin pour les uns, d’accueillir des hommes mariés pour les autres. C’est faire peu de cas de la liberté et de l’intelligence des candidats possibles que d’imaginer que l’une de ces solutions puisse suffire. "Priez donc mon Père, le maître de la moisson, d’envoyer des ouvriers pour sa moisson" (Mt 9, 35-38). Quelle est donc notre prière ? À qui s’adresse-t-elle ?
La formule litanique entendue souvent résume les choses de manière lapidaire : "Seigneur, donne-nous des prêtres, donne-nous des saints prêtres !" Il n’est certes pas mauvais de demander la sainteté pour les autres, mais il serait plus judicieux de commencer par la souhaiter pour soi-même ! et de poser des actes qui manifestent notre désir d’y parvenir. En comprenant bien d’abord que la sainteté n’est pas la perfection, mais le désir de suivre le Christ sans rêver à une marche en ligne droite, mais en comprenant bien que cette suite s’opère dans les chutes, dans les doutes et dans les reniements aussi, portés par la miséricorde qui ne nous réduit jamais à ce que nous pensons être, mais qui nous ouvre à cette foi que Dieu a en nous.
Prêtre pour servir
Tant que le prêtre sera perçu comme le "fruit" de la prière des baptisés, la charge qui lui incombe ne peut que le déshumaniser ou le désespérer. Tant que le prêtre sera présenté comme le seul ouvrier possible pour la moisson, alors rien ne changera car quel homme raisonnable peut-il en conscience se représenter ainsi ? Les deux prêtres dont les noms agitent en ce moment nos conversations et amplifient notre tristesse manifestent sans doute cet écueil.
Vertige du premier de ne pas se reconnaître dans l’image d’Épinal du héros valeureux et intègre qu’une certaine "culture" catho véhicule aujourd’hui tragiquement. Non, le prêtre n’est pas l’homme parfait qui porterait aux autres la consolation de leurs médiocrités. Vertige du second, tant il semble attaché à un sacerdoce sans lequel il ne pourrait se définir. Non, être prêtre n’est pas une identité sacrée et quasi magique à laquelle il faudrait coûte que coûte s’accrocher, même quand on a commis des crimes qui en d’autres circonstances interdiraient à son auteur de poursuivre l’exercice de son métier (enseignant par exemple). L’expression "réduire à l’état laïc" — qu’il conviendrait de traduire plus correctement du latin par "reconduction à l’état laïc" — manifeste bien ce degré d’inconscience dans lequel nous sommes tombés collectivement. Car quelle que soit la traduction utilisée, il s’agit bien d’un mouvement de retour, de régression, comme si l’état clérical était "au-dessus" de celui du laïc, alors qu’il lui est ordonné, c’est-à-dire qu’il est à son service. On ne devient pas prêtre pour soi-même, mais pour servir. Au service d’un peuple, d’une communauté, non pour y être vénéré ou craint mais pour essayer de permettre au Christ à travers nos petites forces et au-delà de nos grandes faiblesses, de manifester l’immensité de son Amour.
Quel besoin de prêtres ?
Au XIXe siècle, les auteurs romantiques ont produit des ouvrages magnifiques proclamant le culte du moi et l'expression des sentiments jusqu’aux passions. Il s’en suivit, dans nos pays, différents effets, dont deux, aujourd’hui, interrogent : on se marie par amour, on entre au séminaire par appel. Nul ne peut se plaindre que le sentiment amoureux prévale dans notre société lorsque deux personnes s’unissent. Mais il faut aussi en constater l’immense fragilité.

Il n’est pas question non plus de suspecter la franchise de ceux qui se disent appelés à devenir prêtres, mais peut-être davantage la claire vision de ceux qui ont la charge redoutable de les recevoir. Peut-être pourrait-on songer au besoin de prêtres que l’on a ? Pour quoi ? Pour qui ? Faute de quoi on entretient le mythe d’un sacerdoce druidique, figé dans une image narcissique de lui-même, autoritaire et obsédé par sa propre justification.
Spiritualité et théologie du sacerdoce
Le pape François, à différentes reprises, insistait par exemple sur l’importance de choisir parmi les candidats au sacerdoce ceux qui manifestaient une capacité à la synodalité. Je ne sais quels critères objectifs en tirer, mais il n’est pas interdit de chercher des profils en correspondance avec ce que l’Esprit veut donner à l’Église comme direction et comme perspective de conversion. Nul ne devient prêtre pour lui-même ou pour manifester tel ou tel idéal. La phrase de saint Augustin reprise par le nouveau pontife, Léon XIV, le manifeste bien : "Baptisé avec vous, évêque pour vous." Au travers du drame humain d’un suicide ainsi que les multiples réactions qui en découlent et qui traduisent le désarroi de nombreux prêtres, il est permis d’interroger la spiritualité du sacerdoce. Ce qu’elle induit parfois comme fourvoiement chez les clercs comme chez les laïcs, comme démesure prométhéenne. Au travers de l’incompréhension ressentie par beaucoup d’un ministère confié à un prêtre reconnu coupable de crime, il est permis d’interroger la théologie du sacerdoce. Ce qu’elle permet parfois comme lecture contraire aux évangiles lorsqu’elle est comprise comme seul chemin de sainteté possible pour un homme.










