Sale temps pour l’enseignement catholique, peut-on penser. Entre la mise en cause du directeur de l’Immaculée conception à Pau (finalement exonéré) et les pressions politiques contre le Collège Stanislas à Paris, les actions et discours politiques et administratifs laissent envisager une offensive en cours contre le "caractère propre" des établissements d’enseignement catholique sous contrat d’association avec l’État. Et le contexte n’aide pas, avec la multiplication des accusations de violences sexuelles et physiques commises dans les internats catholiques jusque dans les années 2000, déjà relevés par le rapport de la Ciase mais qui n’avaient pas suscité de particulière émotion. De là à penser que le "caractère propre" déterminé par la loi Debré de 1959, puisse être remis en cause, il n’y a qu’un pas.
La question de la liberté de conscience et des mœurs
Deux dimensions focalisent en fait les tensions. Il y a d’abord la liberté de conscience, au nom de laquelle les cours obligatoires de catéchisme, de religion ou de culture religieuses sont désormais contestés. Il y a ensuite la conformité aux programmes et objectifs de l’Éducation nationale en matière de "mœurs", où la prophylaxie des comportements sexuels "à risque" (de maladies, de grossesses), la licéité de l’avortement et l’égalisation des préférences et orientations sexuelles entrent en conflit direct avec les positions morales de l’Église.
La question de la liberté de conscience est ancienne. Elle a suscité une intense conflictualité entre la République et l’Église à partir des années 1870, approfondissant un conflit inauguré en 1789 entre le magistère catholique et le libéralisme philosophique assumé par les régimes politiques successifs. La question des "mœurs", plus récente, renvoie au libéralisme culturel, c’est-à-dire à la reconnaissance par la loi de la liberté de comportement en matière de mœurs du moment que cela ne trouble pas l’ordre public et la dignité humaine. Disparaît alors le privilège accordé à certains comportements moraux jugés plus conformes au bien de la société ou à des modalités d’existence humaine. Ce libéralisme moral, déjà présent depuis la fin du XVIIIe siècle, s’impose surtout à partir du milieu des années 1960. Le féminisme d’État est relayé et accentué à partir des années 1980-2000 par une politique de "démocratie sexuelle" qui égalise toutes les orientations sexuelles et débouche dans des politiques antidiscriminatoires.
Du conflit à l’entente cordiale
Or cette évolution prend en partie de court le magistère catholique qui voit se modifier sans qu’il puisse le contrôler son rapport au libéralisme, ce système idéologico-politique de l’autonomie humaine qui s’est imposé comme norme des sociétés avec la modernité à la fin du XVIIIe siècle. Jusque dans les années 1930, l’Église avait avec lui un rapport conflictuel, car il refuse qu’une autorité antérieure, extérieure et supérieure aux sociétés humaines puisse déterminer légalement les règles de vie en société et les comportements individuels et collectifs. Le XIXe siècle et le début du XXe siècle sont remplis de reculs catholiques face à la mise en place de législations désétablissant l’Église, s’opposant au rôle axial qu’elle revendique dans l’organisation sociale, la ramenant plus ou moins à un droit commun, voire cherchant à la cantonner à la sphère intime.
Les relations s’améliorent à partir des années 1930 et surtout après 1945. Les totalitarismes fascistes, nazis et soviétiques ont en effet montré que la démocratie devenue libérale et le libéralisme devenu démocratique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, malgré leur fondement et leur fonctionnement a-catholiques, offraient des garanties en matière de droits et de libertés pour les institutions religieuses. La démocratie libérale connaît aussi une forme de désidéologisation avec l’idée d’État de droit, de normes quasi transcendantes limitant le pouvoir de l’État et de la collectivité et garantissant l’expression religieuse collective. Enfin, la théologie politique catholique, notamment celle du Saint-Siège, intègre dans une certaine mesure des principes démocratiques et libéraux, notamment à Vatican II avec la constitution pastorale Gaudium et Spes et la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ (1965).
De la démocratie sociale à la démocratie sexuelle
Dans le contexte de la Guerre froide et de l’extension maximale du totalitarisme d’inspiration marxiste, il y a donc une sorte d’entente plus que cordiale entre Église catholique et libéralisme. Cependant, la chute du bloc soviétique sonne paradoxalement son glas, révélant en fait que des désaccords latents demeuraient ou se creusaient. La fin des Trente Glorieuses a d’abord vu s’évanouir l’accord établi en 1944-1945 sur une forme de justice sociale dans le cadre de la démocratie libérale et de la centralité de la production industrielle. Le ralliement des démocraties libérales au début des années 1980 à un néo-libéralisme mondialisé et intensément financiarisateur revivifie la distance catholique au libéralisme économique. De plus, les démocraties libérales accentuent depuis le milieu des années 1960 leur libéralisme culturel. Financièrement peu coûteuses, ne touchant pas à la répartition de la richesse, ne nécessitant pas de réformes des structures de production, symboliquement de plus en plus rentables, les politiques de démocratie sexuelle se substituent aux politiques de démocratie sociale à partir des années 1980-1990.
Regain d’anticléricalisme
Au début des années 1990 s’ouvre ainsi une nouvelle étape de l’arrachement de l’Occident à sa matrice chrétienne. Elle prend désormais la forme d’une pression plus nette des instances politiques sur le christianisme (et sur l’islam) pour le contraindre à muter vers une modernisation poussée, en intégrant le libéralisme culturel dans son discours, ses pratiques et ses institutions. Aussi peut-on penser que ce qui arrive à l’enseignement catholique sous contrat en France n’est sans doute pas près de s’arrêter, la dynamique de fond du libéralisme contemporain s’y opposant, surtout lorsqu’il est porté par la reviviscence d’une compréhension anticléricale de la République.