Avec 118 sélections en équipe de France, Fabien Pelous est l’un des plus grands noms du rugby hexagonal. Capitaine emblématique du XV de France, il a remporté plusieurs Tournois des Six Nations, dont deux Grands Chelems (1997, 2004), et marqué l’histoire du Stade Toulousain avec trois titres de champion de France et une Coupe d’Europe. Reconnu pour son sens du collectif, son exemplarité et sa force tranquille, il incarne un certain esprit du rugby : enraciné, loyal, tourné vers les autres. Aujourd’hui, loin des terrains, il poursuit un autre engagement : la défense du patrimoine. Très attaché à son village natal de Garidech (Haute-Garonne), il a contribué récemment à la fonte de deux nouvelles cloches pour l’église locale, rassemblant toute la communauté autour de cet événement symbolique. Sensible aux traces de l’histoire, il se mobilise aussi pour la préservation du canal du Midi ou des édifices anciens, convaincu de la nécessité de préserver cet héritage précieux. Ni nostalgique ni muséifié, son rapport au patrimoine est vivant, populaire, profondément ancré dans le réel. Un autre terrain, peut-être, mais le même esprit de transmission.
Aleteia : On vous connaît sur les terrains, capitaine, guerrier… désormais, c’est un autre terrain de jeu : comment vous passez du rugby à la défense du patrimoine ?
Fabien Pelous : Je dirais que c’est avant tout un trait de personnalité. Cela dit, dans le rugby, on défend un territoire. C'est peut-être le point commun entre ce sport et le patrimoine. Mais qui me touche profondément, c’est l’histoire, et les symboles qui en restent : ces bâtiments qui traversent les âges. Ils nous parlent, ils nous relient les uns aux autres. Nous sommes, chacun à notre manière, des "passeurs", des transmetteurs : de patrimoine, de savoir-faire. Quand je m’investis dans la rénovation d’un clocher ou la sauvegarde des derniers platanes du canal du Midi, j’ai le sentiment de passer le relais à la génération suivante.
Vous auriez pu choisir un tout autre mode de vie. Pourquoi ce choix ?
Je dirais que ça n'a rien de très surprenant. Je viens d’un sport collectif, j’ai toujours eu besoin de m’investir pour les autres. Cela se traduit aussi par des engagements associatifs, notamment auprès d’enfants hospitalisés. A ce moment de ma vie, j’ai ressenti le besoin de mettre mon énergie dans des choses durables, concrètes, en faveur de la transmission. J’ai toujours voulu que mon image serve aux autres, et pas uniquement à moi-même.
Vous avez été un acteur clé de la fonte de deux nouvelles cloches pour l’église Saint-Jean-Baptiste de Garidech. Pourquoi ce projet vous tenait-il tant à cœur ?
C’est tout simple : je voulais valoriser le plus vieil édifice de mon village. La mairie avait déjà engagé une belle restauration de l’église, mais il manquait deux cloches sur cinq. On ne sait pas ce qu’elles sont devenues. Je me suis dit que ce serait un beau symbole de les lui redonner pour ses 500 ans. Pour moi, ce projet devait être à la fois religieux, patrimonial et communautaire. Alors on a fait fondre les cloches sur place, avec les écoles, les personnes âgées… tout le monde a pu les voir, les toucher - pas au moment de la fonte évidemment ! - (rires). C’était un événement à vivre ensemble. On a rassemblé entre 600 et 700 personnes dans un village de 1.700 habitants, c’était très fort.
La préservation du patrimoine, c’est un travail de longue haleine. Il faut savoir faire par étapes, avoir confiance dans ceux qui prendront le relais. Les bâtisseurs de cathédrales ne les ont pas terminées en une nuit !
Cet attachement au patrimoine religieux est-il aussi lié à un parcours spirituel ou à une éducation catholique ?
Je suis croyant, mais pas pratiquant assidu. Le côté religieux me parle, oui, mais c’est aussi une sensibilité culturelle. Le lien entre générations que j’évoque, je le ressens aussi dans ce patrimoine-là. En France, le patrimoine religieux est immense, il représente quelque chose de fondamental. Le préserver est une évidence, c'est entretenir ce double lien : historique et spirituel.
Y a-t-il un lieu en particulier, dans votre région, qui vous touche plus qu’un autre ?
Oui, le canal du Midi. C’est un lieu qui m’impressionne par le génie humain qu’il incarne. Quand on le suit, on découvre des ouvrages magnifiques, souvent très pratiques, mais aussi très beaux. Ce sont de véritables pépites du patrimoine, et on sent à quel point les bâtisseurs ont été ingénieux à travers les siècles.
De nombreux rapports alertent aujourd’hui sur l’état préoccupant du patrimoine en France, en particulier religieux. Face à ces constats parfois décourageants, qu’est-ce qui vous donne malgré tout de l’espoir pour l’avenir de ce patrimoine ?
L’envie des gens. Il faut toujours un porteur de projet, quelqu’un qui mobilise, mais je sais qu’en France, il y a beaucoup de personnes prêtes à s’investir. Certes, on ne pourra pas tout sauver. Des églises vont évidemment disparaître, d’autres changeront de fonction… On ne peut pas vivre dans un musée. Mais il y a une vraie mobilisation, surtout autour des églises, parce qu’elles sont très identitaires, très symboliques. Quand on entre dans une église, un château, un vieux bâtiment, on se sent souvent dépassé par le poids de l'héritage. Il y a une forme de respect, d’admiration qui me saisit. On s’inscrit alors dans cette idée de passeur de patrimoine. C’est ce que je ressens à chaque fois : "ça, il ne faut pas le laisser dépérir". C’est notre responsabilité de faire en sorte que cette émotion perdure dans 20 ou 100 ans. Et ça ne se fait pas du jour au lendemain. La préservation du patrimoine, c’est un travail de longue haleine. Il faut savoir faire par étapes, avoir confiance dans ceux qui prendront le relais. Les bâtisseurs de cathédrales ne les ont pas terminées en une nuit ! On vit dans une époque d’immédiateté, alors que le patrimoine demande de la patience, de la vision, et de l'endurance. Comme au rugby, finalement.