En France, pas moins de 170.000 scouts, tous âges et tous mouvements confondus, s’apprêtent à partir en camp cet été. Ils suivent en cela les traces du fondateur du scoutisme, Lord Robert Baden-Powell, qui a ouvert la voie en 1907 en animant le premier camp scout de l’histoire. Il s’agissait pour l'heure d’un camp "expérimental". Baden-Powell tenait à tester grandeur nature ses intuitions pédagogiques. Fort du succès du camp, il les publiera quelques mois plus tard, en janvier 1908, dans son manuel Scouting for boys.
Pour mener à bien son expérience, Baden-Powell cherche un lieu adéquat, loin des regards des journalistes et des curieux. Il demande à des amis, les van Raatle, qui possèdent une maison de campagne à Brownsea Island, s’il peut camper là-bas une dizaine de jours avec vingt garçons. Il écrira à propos du choix de Brownsea : "Je tenais absolument à m'éloigner des curieux, des reporters et autres "vermines", à un endroit où je pourrais mener mon expérience sans interruption." Ayant enfant navigué dans le secteur avec ses frères, Baden-Powell connaissait l’endroit et savait qu’il était difficile d'accès, tout en étant proche de la civilisation, ce qui constituait un emplacement idéal pour un camp.
20 scouts répartis dans quatre patrouilles
L’organisation et le déroulement du camp de 1907 ne diffèrent pas beaucoup de ceux d’aujourd’hui. Il réunit 20 garçons de milieux sociaux différents, qu’il répartit dans quatre patrouilles : les Corbeaux, les Courlis, les Loups et les Taureaux. Ils ne portaient pas encore d’uniforme mais tous reçurent un foulard kaki et un flot en laine qu'ils placèrent sur leur épaule gauche, d'une couleur différente pour chaque patrouille. Chaque garçon reçut également une fleur de lys en bronze, qu'ils épinglèrent sur leur poitrine.
Certains garçons étaient des enfants d’amis ou de relations de Baden-Powell, scolarisés dans de prestigieux pensionnats comme Eton et Harrow, tandis que d’autres venaient des quartiers populaires de Bournemouth et de Poole. Si le recrutement de garçons issus de milieux populaires a été plus difficile, Baden-Powell y tenait beaucoup car il souhaitait observer le comportement de garçons venant de milieux différents, seulement liés par des activités communes. En plus de ces vingt premiers scouts de l'Histoire, Baden-Powell était accompagné de son neveu Donald Baden-Powell, alors âgé de 9 ans, en tant qu'ordonnance de son oncle, et de trois assistants.
Des journées bien rythmées
Le camp de Brownsea s’éveille tôt ! Dès 6h, les scouts sont réveillés au son du koudou, cor taillé dans une corne ramenée par Baden-Powell de sa campagne de 1896 contre les Matabélés. Après un chocolat chaud, place aux exercices physiques, que l’on appelle aussi "dérouillage" aujourd’hui. À 7h, présentation des activités du jour. À 8h, levée des couleurs et prière, puis petit déjeuner. Les activités scoutes du matin démarrent à 9h. Ile oblige, un temps de baignade est prévu chaque jour vers midi.
Après le déjeuner, sieste obligatoire, et la reprise des activités se fait à 14h30. Les scouts britanniques ne font pas l’impasse sur le "tea time", à 17h. Le dîner est pris à 20h, suivi de la veillée. Arthur Primmer, qui restera longtemps impliqué dans le scoutisme, garde des veillées animées par Baden-Powell un souvenir mémorable : "Baden-Powell nous racontait ses aventures en Inde et en Afrique... Par une belle nuit d'été, lui debout au milieu du cercle, nous racontant ces histoires... C'était le clou du camp." Extinction des feux à 21h30.
Activités : campement, observation, jeux…
Quant aux activités, elles ne sont pas si éloignées des activités scoutes actuelles : installations, apprentissage des nœuds et de l'allumage d'un feu, construction du mât..., pour ce qui est du campement en lui-même. Baden-Powell consacrait un jour à l’initiation au pistage et aux signes de piste. Son neveu, Donald Baden-Powell, racontera, en 1929, à l'occasion du troisième jamboree : "Une des premières choses que nous fîmes fut le pistage, car le sable était très bien pour ça. Nous avons appris à distinguer les traces d'un homme qui court de celles d'un homme qui marche, et celles de divers animaux et oiseaux. [...] Un concours fut organisé pour voir quel garçon serait capable de ramasser le plus grand nombre de feuilles, que nous devions aussi dessiner en un temps imparti."
Les scouts apprennent aussi à observer ce qui les entoure : les animaux, les oiseaux, les plantes, les arbres, les étoiles et même les gens ! Le père du scoutisme invite à noter les détails de la tenue des personnes rencontrées, et à savoir en déduire leur caractère et leur condition. Une journée est dédiée à la chevalerie et à la découverte de valeurs telles que l’honneur, le désintéressement, le courage, la loyauté envers les chefs, la courtoisie envers les femmes, la charité, notamment à travers la bonne action quotidienne. Un jour est aussi consacré à l’apprentissage des gestes de premiers secours. Le sport et les jeux ne sont pas en reste.
Un "grand succès"
Le camp est un succès. Baden-Powell écrit dans son carnet, au dernier jour du camp, le 9 août 1907 : "J'ai levé le camp. Le camp a été un grand succès, un travail assidu." Si Brownsea est considéré comme un camp "expérimental", le premier camp officiel destiné à valider la méthode scoute eut lieu l'année suivante à Humshaugh, toujours en présence de Baden-Powell. Ce dernier aura ainsi marqué des centaines de scouts, à l’instar de Percy Everett, qui s'occupait de l'intendance à Brownsea et qui témoigne : "Je le vois encore, tel qu’il se tenait devant la flamme vacillante du feu, silhouette alerte, pleine de joie de vivre, tantôt grave, tantôt gai, répondant à toutes les questions, imitant les cris des oiseaux, montrant comment suivre à la trace un animal sauvage, sortant tout à coup une petite histoire, dansant et chantant autour du feu, ou donnant un enseignement moral, non pas avec des mots, mais d’une manière si fine et pourtant si convaincante que chacun était prêt à le suivre à l’autre bout du monde…" Une manière qui a porté ses fruits, que des milliers de jeunes cueillent encore aujourd’hui.