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Nikolas Tirrier : “Mon syndrome n’a jamais réellement atteint mon âme”

Nikolas Tirrier

Nikolas Tirrier, 25 ans, est atteint du syndrome de Treacher Collins.

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Anna Ashkova - publié le 03/07/25
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Si aujourd’hui Nikolas Tirrier dit être en paix avec sa maladie, le syndrome de Treacher Collins, il lui a fallu parcourir un long chemin avant de l’accepter. Un chemin semé d’épreuves, mais éclairé par la foi en Christ, sa résilience et l’amour de ses proches.

Ce qu’il porte sur son visage, il l’a longtemps porté dans son cœur : un sentiment de différence, parfois d’exclusion, parfois de mépris. Mais dans cette fragilité, le Christ l’a trouvé, et retrouvé dans les moments difficiles. "Il m’a consolé, relevé, éclairé. Il m’a appris, au fil du temps, que ce n’est pas la beauté visible qui fait la valeur d’une personne, mais la lumière intérieure que l’on reçoit de Lui et que l’on choisit de faire rayonner librement et paisiblement", confie à Aleteia Nikolas Tirrier, étudiant en master des Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF) à Montpellier et atteint du syndrome de Treacher Collins. Ce syndrome se manifeste de manière différente selon les personnes, mais il touche toujours la région du crâne : la mâchoire, le palais, les oreilles, la bouche… C’est une malformation osseuse. "Dans mon cas, la forme est plutôt légère : je souffre d’une absence partielle des pommettes et d’une absence des tempes, ce qui m’oblige à porter des appareils auditifs…", détaille le jeune homme de 25 ans.

Lorsqu’il est né en Roumanie, à Botosani, en 1999, les médecins ne savaient pas encore nommer ni reconnaître cette maladie rare et génétique. À l’époque, son diagnostic a suscité de nombreuses interrogations chez ses parents. Son père étant d’origine française, ils ont finalement décidé de déménager en France, pour que leur fils puisse bénéficier d’un meilleur suivi médical. Nikolas avait alors deux ans et demi, et son petit frère venait de naître. La famille s’est installée à Avignon, où le père de Nikolas, prêtre orthodoxe, a été admis dans un diocèse roumain.

En France, Nikolas a subi plusieurs interventions chirurgicales, de manière progressive : corrections dentaires, ajout de graisse au niveau des pommettes, et surtout des interventions chirurgicales sur le crâne, dont une pour poser une vis implantée. "J'ai eu entre deux et trois opérations sous anesthésie générale, sans compter quelques unes avec anesthésie locale. J'ai eu un suivi médical assez régulier. Jusqu’à l’âge de 13-14 ans, nous avons passé beaucoup de temps à l’hôpital, puis on y est retourné, mais cette fois-ci pour mon père", se souvient-il. Une nouvelle épreuve est en effet survenue pour la famille entre 2014 et 2015 : le père de Nikolas est tombé gravement malade. "Il était atteint d'une leucémie. Il est décédé rapidement, à l’âge de 39 ans." Cette période de la vie du jeune homme n’a pas été facile à vivre pour sa famille. "Celle qui a porté toute notre famille depuis notre arrivée en France, pour mes suivis médicaux puis ceux de mon père, notre éducation et notre scolarité à tous les deux, mon frère et moi, c'était notre mère, qui continuait à travailler pour assurer les besoins de la famille. Elle a été le pilier de notre famille. Une femme d’une force incroyable, qui a su tout tenir. La résilience est devenue une nécessité : elle n’avait pas le choix, on ne se posait pas de questions, il fallait qu'on avance", déclare-t-il d’un ton admiratif.

Le regard des autres, le soutien des proches et l’aide de Dieu

Adolescent, Nikolas a eu la chance de faire partie d’une génération qui n’avait pas de réseaux sociaux aussi développés qu’aujourd’hui. Il arrivait ainsi à se préserver des moqueries en ligne. "Je pouvais faire une coupure après l’école", confie-t-il. À la maison, il pouvait aussi compter sur l’amour inconditionnel de sa famille et sur ses cousins, ses premiers meilleurs amis. "Toute la famille de mon père est venue vivre en France. On les recevait souvent à la maison et on passait des vacances ensemble."

Il puise aussi sa force dans sa foi, notamment à travers le catéchisme. "J’étais dans un collège catholique privé et, toutes les vacances de Pâques, l’aumônerie organisait un grand pèlerinage de Saint-Jacques. Je suivais aussi le caté dans le monastère orthodoxe de Solan, où j’avais également pu créer des liens. Tout ceci constituait mes îlots d’oasis, je n’étais pas dans le désespoir. C’est important d’avoir des lieux chrétiens autour de soi où on peut se ressourcer", précise Nikolas, ravi d’avoir pu être bien entouré par des enfants mais aussi par des adultes. "J’avais des adultes autour de moi et des prêtres qui m’ont fait grandir et traverser des périodes difficiles. Ils m’aident encore aujourd’hui." Néanmoins, comme il le reconnaît lui-même : "tout allait bien et mal à la fois, ça n’empêchait pas ce paradoxe de coexister".

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Au collège, il lui arrive de vivre des moments de profonde solitude durant les récréations. Il trouve alors de la consolation dans la lecture de la vie des saints. "Je me disais : ce martyr se fait manger par des lions, un autre est ligoté et se fait trancher la tête, moi, ce n'est pas aussi grave… Ça m’aidait beaucoup. Je gardais aussi en tête ce que disaient les martyrs : "Vous pouvez faire ce que vous voulez à mon corps mais ça n’atteindra pas mon âme car elle appartient à Dieu."" Aujourd’hui, Nikolas peut enfin le dire lui-même, bien qu’il avoue que ce fut un vrai combat pour arriver à cette phrase : "Mon syndrome n’a jamais réellement atteint mon âme." "Je sais qu’encore aujourd’hui, j’ai des séquelles psychologiques de cette période. C’est toute une démarche d’en guérir, d’inviter Dieu à cette guérison et ça vient avec le pardon."

Aujourd’hui, il vit avec le regard des autres et encourage d’ailleurs à ne pas en faire un tabou. Il étudie pour devenir conseiller principal d'éducation (CPE). L'été, il contribue bénévolement depuis bientôt dix ans en tant qu'organisateur et animateur dans les camps d'été orthodoxe en France et en Suisse. Ce sont des moments où il rencontre des parents et leurs enfants pour la première fois. Ces derniers sont parfois surpris par son visage et ne savent pas quoi dire en le voyant. Les enfants quant à eux disent spontanément les choses à voix haute. "Les parents sont alors gênés et essaient de les faire taire mais je leur dis : "surtout ne les faites pas taire!". Si on dit à un enfant de ne pas en parler car ça peut être malpoli ou gênant, cela risque de couper leur envie de créer du lien avec l’adulte. En les faisant taire, on crée tout d’abord de la frustration chez l’enfant qui n’a pas pu vivre un vrai dialogue authentique et par la suite on les handicape émotionnellement dans leur comportement pour d’autres rencontres."

La beauté de toute existence, même marquée par la souffrance

Alors que la loi sur la fin de vie a été adoptée par l’Assemblée nationale le 27 mai 2025 et doit être étudiée au Sénat en automne, Nikolas se demande si "on a réellement tout fait pour être en vie, pour offrir la vie et pour que la vie soit belle et vaille le coup d’être vécue pour tous ?" "A-t-on tout fait avant d’arriver à cette solution drastique ? Cette question ne doit-elle pas se poser à la toute fin quand nous avons épuisé toutes réflexions et solutions ? Avons-nous mis à disposition un bon accompagnement pour tout le monde, surtout les jeunes ?", questionne-t-il.

S’il estime que chaque vie est un don, il est aussi convaincu que s’il est là aujourd’hui, c’est que des personnes ont cru en lui. "Et je ne parle pas que de mes parents. Ce sont aussi des figures spirituelles que j’ai connues, des amis et des proches… Même ceux qui avaient un regard de bienveillance mais qui n’ont pas eu le courage de venir me voir quand j’étais seul. Je sais que souvent, surtout quand on est ado ou jeune, on se dit que si je m’approche de celui qui est isolé, je risque de le devenir à mon tour. Je n’ai aucune rancune envers ces personnes, elles suivent un système qui existe dans notre société malgré elles". C’est d’ailleurs ce qui motive Nikolas d’être à son tour présent auprès des jeunes à travers diverses actions et activités avec les enfants et les ados dans les camps, dans les collèges et lycées par ses études, mais aussi dans la communauté par son implication dans l’association de jeunesse orthodoxe, Nepsis, où il est vice-président. "Tous ces différents espaces et milieux créent des îlots d’oasis où les jeunes peuvent goûter à la véritable rencontre authentique avec eux-mêmes, le prochain et le Christ, de pouvoir offrir de la joie, de la foi et de l’amitié autour d'eux", précise-t-il.

Le plus grand défi que je vis en ce moment, c’est d’enfin accepter d’être aimé par Dieu et le prochain.

Avec sa voix douce et un discours qui appelle à la paix, Nikolas affirme pourtant avoir connu des périodes de révolte envers Dieu, accompagnées de la même question : "Pourquoi avoir permis cette maladie ? Dieu, peux-Tu vraiment m’aimer ?" "Je voyais la vie difficile de mes parents, les efforts et les sacrifices qu’ils faisaient. Inconsciemment, je m’étais infligé une forme de culpabilité. À un moment donné, ça s’est transposé à la réalité que Dieu ne m’aime pas", se souvient-il. "Ça fait souffrir de voir qu’on fait souffrir son prochain, qu’on est un poids, mais je pense que c’est aussi l’occasion que Dieu permet pour que le prochain se sanctifie en toute humilité. Ça se fait simplement et naturellement. Ainsi, ensemble, on se rapproche du Christ qui nous aime personnellement de manière unique." Un jour, alors qu’il était devenu insensible à ce qui était mauvais, et même à ce qui était bon dans sa vie, un moine lui a dit : "Garde ton cœur ouvert !". Nikolas avait 21 ans à l’époque, cette phrase est restée ancrée dans son esprit depuis.

Plus tard, il découvre aussi la réponse à sa souffrance à travers une phrase que le Seigneur nous dit et qui est rapportée par le théologien roumain du XXe siècle récemment canonisé en Roumanie, saint Dumitru le Confesseur (Staniloae) : "Ose comprendre que je t’aime." "Le plus grand défi que je vis en ce moment, c’est d’enfin accepter d’être aimé par Dieu et le prochain. La paix, ça se gagne par le combat, ce n’est pas quelque chose qui vient de façon magique. Il m’arrive encore aujourd’hui de sombrer", reconnaît-il, ajoutant avoir vu que Dieu lui proposait le pardon, la paix et l’amour. Et de conclure humblement : "Si aujourd’hui je peux parler de vie, d’amour, de paix, c’est parce que j’ai compris ou j’essaie d’oser comprendre que le Christ m’aime aussi et que de Sa main, Il nous mène sur un chemin de liberté et de résurrection, au cœur même de nos blessures, avec paix, amour et espérance".

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