Dans les sentences des Pères du désert, il n’y a pas que les ermites qui nous instruisent, il y a aussi des fils spirituels de saint Pacôme (292-348), le fondateur des monastères cénobitiques, c’est-à-dire des communautés de moines vivant ensemble selon une même règle. Psenthaisios et ses deux frères, Abba Souros et Abba Psoios, étaient de ceux-là. Ils nous racontent que pendant longtemps, ils avaient eu une vision simpliste de la condition humaine.
Tous faits ainsi par Dieu
Les trois frères pensaient ainsi que la sainteté ou le péché n’étaient pas l’effet d’un choix libre :
"Quand nous entendions les paroles de notre père l’abbé Pacôme, nous en retirions grand profit et notre zèle pour les bonnes œuvres en était excité. Et quand nous considérions sa pratique qui était une parole, même lorsqu’il gardait le silence, nous étions dans l’admiration, nous disant les uns aux autres : Nous pensions que tous les saints avaient été faits ainsi par Dieu, saints et impeccables, dès le sein de leur mère et sans l’exercice de leur liberté ; nous pensions que, de leur côté, les pécheurs étaient incapables de vivre pieusement, Dieu les ayant créés ainsi. Mais maintenant nous voyons clairement la bonté de Dieu sur notre père. Car, né de parents païens, il est devenu si pieux et orné de tous les commandements de Dieu. Donc nous aussi et tous, nous pouvons le suivre, comme lui-même a suivi les saints. C’est là vraiment ce qui est écrit : "Venez à moi, vous tous qui peinez et êtes accablés, et je vous donnerai le repos" (Mt 11,28). Mourons donc et vivons avec cet homme, car il nous conduit droit à Dieu."
La liberté de choisir
Pour Psenthaisios et ses frères, chacun avait sa place marquée par Dieu et les saints étaient faits pour être des saints, des gens comme cela auraient reçu dès leur berceau tout ce qu’il fallait pour grandir en sainteté. Mais il y en aurait d’autres à qui ce n’était pas donné et qui iraient croupir dans la médiocrité tout au long de leur vie. Or voilà que la fréquentation d’un vrai saint — saint Pacôme — leur avait révélé leur erreur : il y avait d’authentiques amis du Seigneur qui n’étaient pas nés dans la foi et qui avaient bifurqué tout un coup pour accueillir la Bonne Nouvelle et il y avait aussi, hélas ! des chrétiens qui s’étaient détournés de leur premier amour.
Faire un pas en avant
C’est une découverte essentielle, à rebours de ce que nous croyons trop facilement. Nous pensons que les saints sont d’une espèce spéciale qui peut tout supporter, qui prie jour et nuit, qui se laisse massacrer avec le sourire. Mais c’est pour dire aussitôt que tout cela n’est pas pour nous, que nous ne pouvons pas donner plus que nous avons reçu, et que nos moyens limités ne nous permettent pas de viser la sainteté : c’est déjà très beau si nous vivons une vie chrétienne pas trop exigeante. Mais quelle triste résignation ! Faibles, nous le sommes tous, mais il faut savoir si on s’y résigne ou si l’on va demander à Dieu de nous donner la force de bousculer nos limites, de rallonger notre prière, d’accepter des sacrifices, petits au début, mais plus sérieux quand nous y serons appelés. Surtout il faut lui demander de nous apprendre à l’aimer comme il veut l’être. Or l’amour est exigeant. Il nous veut tout entier et ne tolère pas le partage. Il faut faire un pas en avant pour lui montrer que nous voulons profiter de son projet sur nous. Et ensuite persévérer.










