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Un vent d’intolérance ?

Procession en l'honneur de la Vierge Marie protectrice des enfants, Châteauneuf (Berry), 15 août 2024.

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Michel Cool - publié le 30/06/25
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C’est un 1er juillet que le chevalier de La Barre fut exécuté pour blasphème, en dépit du droit. Aujourd’hui encore, regrette l’écrivain Michel Cool, un vent d’intolérance souffle encore.

J'habite près d'Abbeville en Picardie maritime. Cette ville située dans l'arrière-pays de la Baie de Somme est une rescapée de la Seconde Guerre mondiale. Elle fut massivement bombardée par l'aviation alliée pour anéantir la défense allemande. Seules échappèrent à la ruine les tours altières de la collégiale Saint-Wulfran. Comparable à une falaise sculptée dans la pierre du pays, elle est le reliquaire d'une vieille cité qui, si elle a perdu son trésor patrimonial, n'a pas perdu son âme portuaire : au Moyen Âge, la capitale du Ponthieu fut en effet un port commercial prospère. La ville conserve encore quelques autres vestiges de ses riches heures passées. Près de la gare, à côté du pont enjambant le canal de la Somme, il y en a un dont ma vue ne peut se distraire : c'est le monument érigé en 1907, par souscription publique, à la mémoire du chevalier de La Barre. Les férus d'histoire et les lecteurs de Voltaire n'ont pas oublié ce nom ni sa portée symbolique.

Condamné pour blasphème

Le 1er juillet 1766, un jeune noble du nom de François-Jean Lefebvre de La Barre est conduit en charrette, en chemise et la corde au cou, dans les rues d'Abbeville jusqu'au lieu de son supplice. Le tribunal abbevillois et le Parlement de Paris, qui avait été saisi de l'affaire, l'ont jugé coupable "d'avoir passé à vingt-cinq pas d'une procession sans ôter son chapeau qu'il avait sur sa tête, sans se mettre à genoux, d'avoir chanté une chanson impie, d'avoir rendu le respect à des livres infâmes au nombre desquels se trouvait le dictionnaire philosophique du sieur Voltaire". Le verdict des juges est impitoyable : le nobliau est condamné à être torturé puis exécuté pour blasphème et sacrilège. 

Cette affaire fait grand bruit dans le royaume. La sévérité du jugement contredit en effet la décision prise par Louis XIV, en 1666, de ne plus sanctionner le blasphème par une sentence de mort. Louis XV, pour d'obscures stratégies politiques, refuse néanmoins d'accorder sa grâce au condamné. Celui-ci, après avoir subi la torture des brodequins (on lui broie les jambes), est exhibé en public sur un chariot. Son courage impressionne les gens, au point que ses bourreaux renoncent à lui arracher la langue. Il meurt décapité d'un coup de lance. Son cadavre, sur lequel on a cloué un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire, est jeté au bûcher. François-Jean Lefebvre de La Barre avait 20 ans. Il est le dernier condamné à mort pour blasphème en France.

Victime collatérale d’une guerre politico-religieuse

Le nom du chevalier de La Barre est resté dans la postérité grâce à Voltaire. Le philosophe lui rendit son honneur posthume en rédigeant un récit documenté et critique de cette affaire. En une vingtaine de pages, l'exilé de Ferney démontre l'inanité du procès. Il dénonce la disproportion qui existe entre la faute commise — une provocation de jeune homme qui n'entraînait plus la peine capitale dans la législation française — et les conditions atroces de son exécution. La publication de la démonstration protestataire de Voltaire, fait semble-t-il forte impression. Le tribunal d'Abbeville met fin à ses poursuites contre d'autres prévenus soupçonnés eux aussi d'actes présumés sacrilèges. Mais ses réclamations auprès de Louis XV, puis de Louis XVI pour rétablir l'honneur perdu du chevalier de La Barre resteront vaines. Le philosophe lui a cependant sculpté une statue de martyre de l'arbitraire judiciaire, de l'obscurantisme ecclésiastique et de l'intolérance s'exerçant comme une tyrannie.

Il faut nécessairement rattacher cet épisode dramatique dans son contexte historique. La France sert alors de champ de bataille à trois grands courants intellectuels influents qui se disputent âprement sur les prérogatives de la monarchie absolue : les pro-jansénistes gallicans, les pro-jésuites ultramontains et les philosophes. L'expulsion des jésuites du royaume en 1763 marque le triomphe du camp janséniste anti-absolutiste. D'une certaine manière, le chevalier de La Barre est une victime "collatérale" de cette guerre politico-religieuse dont les jansénistes remportent un certain nombre de batailles, dont celle de son exécution barbare à Abbeville. Son supplice inflige aussi une défaite au camp des philosophes qui, dans toute l'Europe d'alors, se dressent contre toutes les formes d'ignorantisme et d'autocratisme qui, selon eux, entravent l'intelligence et la dignité humaine. On les qualifiera de "philosophes des Lumières", à cause justement de leur combat contre l'obscurantisme.

Un point de ralliement

Ce monument érigé à Abbeville à la mémoire du Chevalier de La Barre n'a pas été lui-même épargné par l'intolérance contre laquelle il est pourtant censé symboliser la résistance. Récupéré par des associations de militants laïques et de libres-penseurs, il a pu servir de point de ralliement à des manifestations profondément anti-religieuses et présentant un sectarisme visant les confessions religieuses, contraire aux principes de liberté et d'égalité de la loi de séparation entre l'Église et l'État de 1905. À l'opposé, ce monument a fait les frais d'un courant catholique persévérant à se mettre hors-jeu de la règle démocratique et républicaine. Le régime de Vichy fit enlever le bas-relief de bronze représentant le supplice du chevalier de La Barre pour être fondu et transformé en canon à la demande des Allemands. Mais grâce à un cheminot qui le dissimula dans un ruisseau, il put retrouver sa place après la guerre. Le monument fut vandalisé plusieurs fois, notamment en 2013, avec des croix et des cœurs surmontés d'une croix dessinés à la peinture noire.

Un vent d’intolérance

Pourquoi raconter cette histoire ? On approche du 1er juillet et donc du 259e anniversaire de la mort d'un homme qui fut sauvagement assassiné, pour des raisons semblables à celles qui poussent actuellement des régimes théocratiques en Iran ou dans le golfe arabique à couper des mains, des pieds, des têtes à celles et ceux qui n'obtempèrent pas à la loi religieuse. Je raconte aussi cette histoire, parce qu'un vent d'intolérance, regrettable et inquiétant, souffle parfois ces temps-ci chez les catholiques en France : ici on réclame en haut lieu des sanctions contre le clergé qui a donné la communion à l'épouse du président de la République lors de la messe d'inauguration de Notre-Dame restaurée en décembre 2024. Là on s'étouffe d'indignation et de colère devant la personnalité et les engagements politiques de la nouvelle présidente des Scouts et Guides de France. Ce vent d'intolérance souffre furieusement d'incohérence évangélique. "L'instruction, la persuasion et la prière, voilà les seuls moyens légitimes d'étendre la religion. Tout moyen qui excite la haine, l'indignation et le mépris, est impie", recommandait le philosophe Denis Diderot dans son fameux Dictionnaire. Il ajoutait : "Ne traitez point en ennemi celui qui n'a pas les mêmes sentiments que vous, mais avertissez-le en frère. Intolérants, est-ce là ce que vous faites ?" La question n'a hélas pas perdu de son actuel.

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