Le meurtrier d'Alban Gervaise, médecin militaire tué à coups de couteau en 2022 devant l'école de ses enfants à Marseille, a été déclaré pénalement irresponsable, selon une décision de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Dans son arrêt daté du 25 juin, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Aix estime que "Mohamed L. se trouvait atteint au moment des faits d'un trouble psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes". En conséquence, elle le déclare "irresponsable pénalement" et ordonne son "hospitalisation complète" en psychiatrie, sans précision sur une éventuelle durée. En d’autres termes, il n'y aura pas de procès après cet homicide qui avait suscité une grande émotion, quand bien même la Chambre de l'instruction a estimé Mohamed L. "civilement responsable" et l'a condamné à verser aux parties civiles, l'épouse d'Alban Gervaise et leurs enfants, des sommes au titre de leurs préjudices. "La question de la responsabilité pénale ne peut pas varier en fonction de la charge émotionnelle ou sociétale d’une affaire", détaille auprès d’Aleteia Henri de Beauregard, avocat au Barreau de Paris.
Aleteia : Mohamed L., le meurtrier d’Alban Gervaise, a été déclaré pénalement irresponsable par la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ce mercredi 25 juin. Le fait d’être déclaré pénalement irresponsable signifie-t-il juridiquement que la personne n’est pas coupable de l’acte commis ?
Henri de Beauregard : L’article 122-1 du code de procédure pénale dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». C’est la mise en œuvre d’un principe qui existe depuis le droit romain, selon lequel on ne "juge pas les fous". Ce principe rejoint aussi des principes chrétiens, qui ne reprochent au pêcheur son péché qu’à partir du moment où celui-ci a été commis en pleine conscience. La question de la "culpabilité" diffère selon que l’on se place sur le terrain du fait ou celui du droit et que l’on entend le vocable de "culpabilité" au sens courant ou au sens juridique : en fait, il ne fait pas de doute que celui qui donne la mort à un autre est coupable de cette mort ; en droit, celui qui l’a donné sans en avoir conscience, n’en sera jamais déclaré "coupable". Avec le drame du sang contaminé, une expression avait accédé à la notoriété : "responsable mais pas coupable" ; disons que, dans ce genre de cas, l’auteur est "coupable mais pas responsable".
Si le discernement est aboli, la personne ne sera en principe pas responsable de ses actes.
Quels sont la définition précise et les critères concrets retenus pour établir une irresponsabilité pénale ?
Cette question échappe aux juristes. La connaissance du droit ne donne pas compétence pour apprécier le discernement d’un individu. De fait, les juristes sont contraints de s’en remettre aux psychiatres qui sont systématiquement sollicités pour dire si le discernement de la personne mise en cause était aboli ou altéré au moment des faits. Ils le font avec leurs critères, leurs grilles, leurs termes. Si le discernement est aboli, la personne ne sera en principe pas responsable de ses actes. S’il est seulement altéré, il demeure responsable mais la juridiction doit en tenir compte dans la détermination de la peine.
Comment les experts psychiatres peuvent-ils affirmer, a posteriori, que le discernement était aboli au moment des faits, surtout s’ils n’ont pas vu la personne immédiatement après l’acte ?
Il est assez rare que les experts soient péremptoires. Tous ont généralement conscience de la responsabilité qui pèse sur eux. J’ai même tendance à penser qu’avec les polémiques répétées sur des affaires médiatiques, les experts sont devenus particulièrement restrictifs dans l’appréciation d’une altération, et plus encore d’une abolition, du discernement. L’évaluation se fait à partir des faits eux-mêmes et de ce qu’ils révèlent de la logique ou de l’incohérence d’un comportement, de l’histoire médicale et des antécédents psychiatriques de l’individu, de son attitude immédiatement avant ou après les faits, des traitements auxquels il était éventuellement soumis, des éléments de personnalité communiqués par ses proches et, bien sûr, de ses propres explications, qui sont néanmoins toujours à prendre avec précaution, les simulations n’étant pas rares. C’est une des faiblesses de ces examens – mais comment pourrait-il en être autrement ? – c’est qu’ils reposent en bonne partie sur ce que l’individu exprime lui-même… et même si les experts disposent de grilles d’analyse leur permettant généralement de détecter la simulation, il ne s’agit pas d’une science exacte…
L’usage de stupéfiants constitue en effet une circonstance aggravante pour certaines infractions.
L’usage de stupéfiants ou de substances altérant le comportement est-il un motif suffisant pour conclure à une abolition du discernement ?
Non. Depuis la loi du 24 janvier 2022, le législateur a expressément prévu que "l’irresponsabilité n’est pas applicable si l’abolition temporaire du discernement ou du contrôle des actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission". La même loi a prévu que la réduction de peine liée à une altération du discernement n’était pas applicable "lorsque cette altération résultait d’une consommation volontaire, de façon illicite ou manifestement excessive, de substances psychoactives". Pour les infractions spécifiques d’homicide, de viol, ou de tortures et actes de barbarie, le législateur de 2022 a encore créé de nouvelles infractions visant à sanctionner spécifiquement l’individu qui, ayant commis de tels actes, en a été déclaré irresponsable alors qu’il a consommé volontairement des substances psychoactives de manière illicite ou excessive en ayant connaissance du fait que cette consommation pouvait la conduire à les commettre.
Certains ne pourraient-ils pas considérer au contraire que cela constitue une circonstance aggravante si l’acte criminel est commis sous l’influence volontaire de drogues ?
L’usage de stupéfiants constitue en effet une circonstance aggravante pour certaines infractions. C’est le cas, bien sûr, pour des infractions routières mais c’est également pour le crime de viol (art 222-24-12°) ou pour celui d’homicide (art 221-4-11°). Mais la question de la responsabilité et celle des circonstances de commission d’une infraction sont deux choses différentes. Il est parfaitement possible qu’un individu commette un acte sous l’emprise de produit stupéfiant sans que cette emprise n’ait conduit à abolir son discernement. L’appréciation d’une circonstance aggravante (qui alourdit la peine) exige d’avoir au préalable considéré que la personne méritait d’encourir une peine… c’est-à-dire qu’elle pouvait être jugée responsable de l’acte.
La question de la responsabilité pénale ne peut pas varier en fonction de la charge émotionnelle ou sociétale d’une affaire.
Dans cette affaire, plusieurs éléments semblent indiquer une forme de conscience de l’acte chez Mohamed L. : ses propos tenus au moment des faits (« Je vais le finir. C’est le diable »), sa capacité à compter les coups portés à la victime, sa compatibilité avec une garde à vue immédiate et la présence présumée devant l’école quelques jours avant les faits (potentiel repérage). Pourquoi, selon vous, l’avis de certains psychiatres peut-il différer, voire contredire celui du premier expert ?
Il est toujours délicat de commenter un dossier que l’on ne connaît pas. Les éléments d’appréciation sont multiples, fins, parfois paradoxaux, et les éléments d’information qui sont diffusés le sont toujours avec l’intention de justifier ou, au contraire, de critiquer la décision rendue. Reste que le comportement de l’auteur fait partie des éléments d’appréciation de la cohérence de son projet criminel, de la logique de son action. Tout ce qui peut apparaître comme accréditant l’idée d’une organisation, de gestes ordonnés, d’un fil logique doit entrer dans l’appréciation globale du comportement de l’individu. S’agissant de la compatibilité de l’état avec la garde à vue, il s’agit généralement d’un examen très succinct qui ne peut pas réellement présager des expertises ultérieures.
Que prévoit la loi dans ce cas ? Mohamed L. peut-il à terme recouvrer la liberté ?
Oui mais, à vrai dire, aurait-il été jugé et condamné qu’il le pourrait aussi. La question est moins celle du "si" que celle du "quand".
Pensez-vous que le dispositif actuel encadre suffisamment l’irresponsabilité pénale, notamment dans les affaires à forte charge émotionnelle et sociétale ?
La question de la responsabilité pénale ne peut pas varier en fonction de la charge émotionnelle ou sociétale d’une affaire. Mon impression est que, de manière générale, les experts sont extrêmement prudents ; les polémiques importantes suscitées par plusieurs affaires retentissantes, parmi lesquelles en particulier l’affaire Halimi, ou de crimes perpétrés par des individus préalablement jugés irresponsables, les ont rendus particulièrement prudents.
