Dans la Rome du XVIIIe, il était une liturgie qui faisait accourir princes et marquis au Vatican : celle de la Semaine sainte. En particulier "l’office des Ténèbres" du Mercredi Saint et du Vendredi Saint, voyait se presser toutes les têtes couronnées de l’Europe dans la chapelle Sixtine, où le chœur du pape, en présence du Souverain pontife, interprétait un bijou dont le poète Goethe louera la "beauté indicible" : le Miserere d’Allegri, composé dans les années 1630. Dans le lustre de la chapelle pontificale plongée dans l’obscurité et éclairée diffusément de 27 bougies, la crème de l’aristocratie retenait son souffle lorsque résonnait le morceau de polyphonie chanté a capella par deux chœurs. Un moment mystique qui restait dans les âmes du public, d’autant plus que l’air sacré était interprété uniquement en ce lieu.
Un certain mystère régnait donc autour de ce chef-d’œuvre porté par des voix de castrats montant dans des hauteurs d’une rare pureté céleste. L’empereur Léopold Ier avait eu la partition concédée par le Pape lui-même, mais n’avait pu parvenir au même résultat, car la façon d’interpréter les notes renfermait l’un des secrets qui en faisait une réussite unique éclipsant les fresques de Raphaël et de Michel-Ange – comme le glisse à Aleteia le vice-préfet de la Bibliothèque apostolique vaticane, le père Giacomo Cardinali dans un ouvrage retraçant l’aventure du jeune Mozart à Rome.
La légende d’une partition
Pour le commun des mortels, le Miserere d’Allegri était inatteignable. La légende voulait – et veut encore, puisque cette version persiste aujourd’hui – que le Souverain pontife ait menacé d’excommunication quiconque diffuserait la partition. Pourtant, aucune trace n’a été trouvée au Vatican d’une telle disposition, atteste le père Cardinali. En revanche, il existe bien un bref d’Innocent XI prévoyant l’excommunication de tout chanteur du chœur pontifical qui divulguerait un quelconque document du patrimoine musical des archives pontificales.
Défiant l’interdit, le jeune prodige Wolfgang Amadeus Mozart, entraîné dans un long périple européen par son père, a rejoint Rome en diligence, s’est glissé parmi les spectateurs ébahis du Miserere le 11 avril 1770, et en a retranscrit d’un trait chaque note et chaque mesure. De retour dans la chapelle Sixtine le 13 avril 1770, il l’a écouté de nouveau pour réajuster finement sa copie.
La rencontre avec le soliste du Miserere
Durant les mois d’isolement du Covid, le père Giacomo Cardinali, philologue et paléographe, a mené une recherche approfondie sur la collection de pièces administratives de la chapelle Sixtine, croisant l'histoire de Mozart avec la papauté de l’époque, les intrigues de cour, et la culture musicale de la Renaissance afin de distinguer le vrai du faux. Une enquête menée après que le chercheur a débouté un journaliste italien qui l’avait relancé à plusieurs reprises sur ce sujet. "Il y avait cette rumeur que Mozart avait écouté le Miserere et l’aurait retranscrit, mais cela restait une sorte de mythe sans reconstruction exacte. Je ne pensais pas pouvoir en trouver la trace dans les archives de la Bibliothèque apostolique vaticane", confie le père Cardinali, dont le livre devrait prochainement être traduit en coréen et en japonais.
Et puis en commençant à fouiller, le vice-préfet s’est laissé absorber par cette enquête "passionnante", à laquelle il a travaillé jour et nuit. Jusqu’à pouvoir narrer une rencontre inédite, concluant cet épisode digne des fioretti : quelques jours après avoir transcrit le Miserere, Mozart a joué les notes du célèbre morceau sur un piano lors d’une soirée mondaine, où se trouvait – heureux hasard – le castrat qui interprétait le soliste à la voix angélique.