Si l’expression "laissez faire, laissez passer" définit le libéralisme économique, elle pourrait tout aussi bien s’appliquer à Audrey Destang. En effet, la jeune femme témoigne d’une incroyable capacité à harmoniser sa vie et à ne pas mettre de barrières. Ni entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle, ni entre sa mission en tant que chef d’entreprise et celle en tant que catholique. C’est en cela qu’elle casse les codes. Au-delà d’un marketing drôle et décalé sur les réseaux, la jeune entrepreneuse affiche une vraie liberté dans la manière de mener de front vie personnelle, ambitions professionnelles et vocation chrétienne.
Diplômée de l’ESSEC, Audrey Destang a fondé Popee en 2019, une entreprise de papiers d’hygiène écologiques. Forte d’une petite dizaine de salariés, l’entreprise collecte et recycle en France les papiers jetés dans les corbeilles de bureaux afin de produire du papier toilette, des mouchoirs et des essuie-tout sans chlore, ni colorant ou décolorant. L’ambition est aussi de sauvegarder la planète en évitant de couper des arbres inutilement. En 2022, elle a participé à la saison 2 de "Qui veut être mon associé ?" sur M6 qui lui a procuré une belle visibilité. La même année, elle a reçu le prix de l’entrepreneuse de l’année 2022 par le label Origine France Garantie. Depuis sa création, Popee cumule 5 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Aleteia : Comment est née votre envie d’entreprendre ?
Audrey Destang : En sortant de mes stages, je ne me voyais pas travailler comme salariée dans une grosse entreprise. J’avais la volonté d’être décisionnaire de ce que je ferai dans mes journées, pas au niveau de mes horaires ou de mon planning, mais dans les prises de décision. Je me suis d’abord associée avec deux garçons qui avaient monté une agence de notations de start-ups, c’était très formateur, et en parallèle, j’ai commencé à développer Popee. Ce qui était d’abord un passe-temps est devenu une véritable entreprise. Vendre mes parts m’a ensuite permis de financer Popee.
Pourquoi le papier toilette ?
Ma famille possède des forêts de pins dans les Landes, c’est mon père qui les entretient. Régulièrement, il faut nettoyer la forêt donc on coupe du petit bois entre les lignes de pins. J’ai d’abord voulu réutiliser ce bois. J’ai donc pensé au papier, et quel est le papier qui est utilisé tous les jours et par tout le monde ? Le papier toilette ! Mais comme ce bois était de trop mauvaise qualité, nous nous sommes tournés vers le recyclage des déchets des corbeilles à papier.
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Quel esprit cherchez-vous à insuffler à votre entreprise et à vos salariés ?
La dimension écologique fait partie de l’ADN de la boîte. Pas comme un engagement politique mais comme du bon sens collectif. L’idée est de préserver la création, qui nous a été donnée. Ceux qui rejoignent Popee ont cette sensibilité. Je mets aussi en avant des valeurs fortes qui me permettent de prendre des décisions, comme le pragmatisme, le fait d’aller de l’avant. Une deuxième valeur est l’ambition, le fait d’utiliser nos talents. On en a forcément un qui traîne ! J’invite à l’utiliser au maximum ! L’efficacité aussi, ce n’est pas une option mais une valeur qu’on s’impose pour pouvoir tout faire dans une journée et se sentir fier de soi à la fin. Et enfin, la légèreté, toute personne qui fait partie de l’équipe a envie de s’amuser !
Chef d’entreprise et mère de famille, comment faites-vous pour tout concilier ?
Mon mari et moi sommes tous les deux entrepreneurs, on est dans une logique 50/50 pour le temps passé avec nos enfants. Nous avons fait le choix de ne pas prendre de nourrice et de se partager équitablement le temps dédié à la famille. Alors c’est sûr, au bureau, on arrive après tout le monde et on part avant tout le monde, mais on s’y remet le soir. Je ne décroche jamais de mon travail, je prends peu de vacances, mais je ne considère pas mon travail comme une corvée et j’espère que mes fils auront une vision du travail qui est positive. Avant, j’étais attachée à mettre des frontières entre le pro et le perso, mais j’en mets moins car ce serait mentir de croire qu’il y en a : si un client ou un fournisseur m’appelle à 20h30, je me sens responsable et vais prendre cet appel. Pour autant, je passe mes soirées avec mes enfants, c’est juste que la frontière est poreuse. Mon seul regret est de n’avoir pas pu prendre de congés maternité pour les deux aînés. C’était une période où Popee ne pouvait pas se passer de moi. Là, pour le troisième, je m’organise pour prendre un congé maternité.
En tant que chrétien, je considère que c’est notre rôle de faire connaître le message du Christ.
Vous assumez publiquement votre foi, contrairement à l’idée de la réserver à la sphère privée, vous en parlez très librement, notamment dans votre entreprise, d’où vient cette aisance ?
Oui je parle beaucoup de ma foi, je considère que c’est une activité comme une autre, je ne considère pas que ce soit quelque chose d’intime ou à garder pour soi, au contraire. Je pense que c’est l’erreur qu’ont faite beaucoup d’entrepreneurs et de dirigeants chrétiens ces dernières décennies. Ils estimaient qu’il ne fallait pas en parler. Résultat, plus personne n’en parle, tout le monde a honte et personne n’ose dire qu’il a été à la messe le dimanche, alors que je ne vois pas le problème avec le fait d’aller à la messe ! Parler de ma foi fait partie d’une de mes missions de chef d’entreprise. En tant que chrétien, je considère que c’est notre rôle de faire connaître le message du Christ, on est tous appelé à ça, je pense même que c’est un devoir.
Avez-vous été élevée dans la foi catholique depuis toute petite ?
Je n’ai pas été élevée dans la foi, mais plutôt dans les Écritures et la culture chrétienne. J’ai toujours été croyante et mes parents ne m’ont pas interdit de l’être. J’ai été baptisée à ma demande à 8 ans. Mes parents sont professeurs de philosophie, ils connaissent très bien la théologie et la civilisation chrétienne, sans être croyants. Et dans mon école publique, j’avais beaucoup d’amis catholiques, je suis allée au catéchisme parce que mes amis y allaient.
Votre foi vous aide-t-elle dans votre mission de chef d’entreprise ?
Oui, il y a plein de moments où ce qu’il faut faire n’est pas écrit noir sur blanc. Quelqu’un m’avait dit un jour : « quand tu rentres en réunion, pose-toi la question de savoir qui est avec toi, qui t’accompagne et qui va te permettre de décider ». Dans ces occasions je pense souvent à Dieu ! Quotidiennement même. Je lis tous les jours un passage de la Bible, c’est très important pour moi parce que cela m’aide à décider.