L’élection, largement commentée, de Marine Rosset à la présidence des Scouts et Guides de France n’a fait qu’entériner une évidence objective, qu’il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour nier : le mouvement en tant que tel ne considère en aucun cas la transmission de l’enseignement de l’Église comme une priorité, ni même comme un but. La simple consultation du projet éducatif sur le site officiel le manifeste sans fard. Vous n’y trouverez pas les cinq buts du scoutisme du père Sevin, mais "quatre axes" : "Construire sa personnalité", "Vivre ensemble", "Éduquer des garçons et des filles", "Habiter Autrement la Planète".
Le sens de Dieu
Les sites des Scouts Unitaires de France et de l’Association des Guides et Scouts d’Europe indiquent en revanche cinq buts ou cinq piliers, le cinquième étant "le sens de Dieu". Sur le site de l’AGSE, ce sens de Dieu est expliqué ainsi : "Le scoutisme aide chaque jeune à rencontrer personnellement le Christ et à reconnaître la présence de Dieu dans le monde qui l’entoure." Création plutôt que chic planète, donc. Le site ajoute : "Les activités proposées permettent à chacun de grandir dans la foi, à son rythme, à la lumière de l’Évangile et de l’enseignement de l’Église catholique." Voilà une fin de phrase qu’on chercherait en vain dans le projet éducatif des Scouts de France : l’Évangile, d’accord, du moins tant que le Christ est citoyen et démocrate, mais l’enseignement de l’Église catholique, n’exagérons pas ; non seulement il n’a pas substitué les "progrès sociétaux" aux interrogations morales, mais, sur certains points, il sent l’extrême droite à plein nez.
De son côté, le site des SUF commente "le sens de Dieu" ainsi : "Plus qu’un sens c’est une finalité. Trouver Dieu dans sa vie… le scoutisme y contribue ou du moins pose des jalons. Les activités d’année et le camp sont alors un formidable lieu d’épanouissement pour vivre sa foi au jour le jour." Le cinquième but du scoutisme est alors présenté comme la clé de voûte de l’ensemble : "Les quatre premiers sens sont sous-tendus par cette dimension ultime : quelle place j’accorde à Dieu dans ma vie ? Comment concilier ma vie scoute et ma vie de jeune chrétien ? Quelles passerelles puis-je mettre en place entre elles ? C’est la raison pour laquelle les premiers buts ne prennent tout leur sens que sous le regard de Dieu."
Choisir librement
De Dieu ou du Christ, pas un mot dans les quatre axes du projet éducatif mis en avant par le site des Guides et Scouts de France, c’est un fait. Le seul endroit où on peut percevoir la présence divine en creux est l’axe "vivre ensemblez, qui inclut un point "inter-religieux" : "La rencontre entre religions est ferment de paix. Elle conduit chacun à se découvrir." C’est objectivement assez différent de "rencontrer personnellement le Christ" ou de "trouver Dieu dans sa vie".
L’habitude de masquer les divergences derrière" la grande famille scoute" fera peut-être passer cette comparaison de projets pour une vaine polémique. La tendance inverse (exacerber les désaccords, soit pour opposer colonie de vacances et jeunesses hitlériennes, soit pour affirmer que seul un mouvement a préservé le scoutisme authentiquement fidèle aux fondateurs) jugera peut-être, au contraire, ce propos trop modéré. Il se fonde pourtant sur trois sites officiels, qui exposent leur projet à des parents qui veulent choisir librement.
La place de l’enseignement moral
Bien entendu, l’Esprit saint souffle où il veut et, au nom d’un faux consensus paresseux, beaucoup croiront travailler à l’unité en concluant que "de toute façon, ça dépend des chefs… ". Qui prétendra, pourtant, que les buts affichés d’une association sont sans la moindre incidence sur ce qui se vit sur le terrain ?
En réalité, la seule question nouvelle que pose l’élection de Marine Rosset par 22 voix sur 24 ne porte pas sur la différence entre les mouvements, connue depuis longtemps par tous. Elle ne porte que sur l’évolution des Scouts et Guides de France. Cette question, la voilà : les vingt-deux membres du conseil d’administration envisageaient-ils que cette élection pourrait faire réagir quelques membres (y compris parmi les aumôniers du mouvement) ou considéraient-ils que l’enseignement moral de l’Église est tellement périmé et étranger à leur existence que ça ne leur est même pas venu à l’esprit ? La réponse nous intéresse réellement, au cas où quelqu’un nous demanderait un conseil pour choisir un mouvement en pleine connaissance de cause. Le site des Scouts et Guides de France la donnera-t-elle ?
Des familles éloignées de l’Église
Le père Benoît de Sinety notait un jour sur Aleteia un point qu’il jugeait objectif : les Scouts de France sont ceux qui réussissent le mieux à toucher des familles éloignées de l’Église. S’il connaissait le travail des patrouilles libres de l’AGSE dans la France dite du vide, par exemple, il aurait sans doute quelques surprises, mais son constat est indéniable dans les grandes villes qu’il semble mieux connaître. Reste à savoir si la nouvelle présidente des Scouts et Guides de France a pour but d’éloigner un peu plus ces familles de l’Église ou de les en rapprocher. Car déclarer que "les droits des femmes, des homosexuels, [notamment la PMA], le droit à avorter" sont mis en péril par "la peste brune" du Rassemblement national, revient, qu’on le veuille ou non, à considérer tous les derniers papes et un bon nombre d’évêques comme des fascistes.
Si c’est effectivement ce que pense Marine Rosset, nul ne lui reprochera de combattre l’enseignement de l’Église par tous les moyens. Mais nul ne comprendra qu’on lui confie et qu’elle accepte la présidence de ce qui se définit encore comme "un mouvement catholique de jeunesse et d’éducation populaire".