separateurCreated with Sketch.

L’Arménie résignée à abandonner le Haut-Karabagh pour ménager sa survie

Rassemblement sur la place de la Liberté à Erevan, en Arménie, le 29 mars 2025, en soutien aux droits des Arméniens du Haut-Karabakh.

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Cécile Séveirac - publié le 23/06/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Deux ans après la reconquête éclair du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, l’Arménie s’apprête à signer un accord de paix aux allures de capitulation.

C’était il y a deux ans, le 20 septembre 2023 : en vingt-quatre heures, avec le soutien actif de la Turquie, l’Azerbaïdjan anéantissait la présence arménienne millénaire du Haut-Karabagh. Cette offensive éclair a eu lieu après un an de blocus, au vu et au su du monde entier, défiant toutes les règles du droit international. En quelques heures à peine, l’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabagh) a rendu les armes qu’il avait longtemps portées, en vain. Trois ans plus tôt, la guerre des 45 jours avait déjà scellé le destin de la région : isolée, sans alliés, dépourvue d’armée et de matériel, cette enclave montagneuse située au sud-ouest de l’Azerbaïdjan n’a alors pas eu d’autre choix que d’abandonner le combat. Intégrée au reste de l’Azerbaïdjan, la république autoproclamée du Haut-Karabagh s’est ensuite vidée de sa population arménienne : 120.000 habitants ont fui vers la République d’Arménie.

Ce tournant tragique a ouvert la voie à une nouvelle phase diplomatique. En mars 2025, après des décennies de conflits, les deux nations ont annoncé la signature prochaine d’un accord de paix… qui n’en est pas un, selon Tigrane Yegavian, chercheur à l’Institut des chrétiens d’Orient. "Ce n’est pas un accord de paix sur le long terme. Il s’agit d’une stratégie du gouvernement azerbaïdjanais pour obtenir un maximum de concessions territoriales sans la moindre contrepartie. C’est une paix d’humiliation, pas une paix des braves", regrette le chercheur. Pour Frédéric Encel, docteur en géopolitique, cet accord de paix suit une logique implacable. "Vae victis ! Malheur aux vaincus. À travers cet accord, l’Arménie sacrifie bien sûr beaucoup plus que l’Azerbaïdjan, en faveur de laquelle le rapport de force est écrasant", souligne-t-il. "C’est moralement regrettable, mais c’est le schéma sempiternel de la réalité géopolitique. Les armes arméniennes se sont inclinées".

Un contenu flou et contesté

Parmi les 15 articles déjà adoptés figurent notamment l'engagement réciproque à retirer toutes les poursuites internationales, le non-déploiement sur leur frontière terrestre de forces armées de pays tiers, la dissolution du Groupe de Minsk créé en 1992 par des membres de l'OSCE et les États-Unis pour trouver une solution pacifiée, ou encore la reconnaissance mutuelle des frontières selon les lignes héritées de l'ère soviétique. Le texte prévoit en outre l’abandon explicite de toute revendication arménienne sur le Haut-Karabagh.

Toutefois, certains points restent flous - le contenu précis de l'accord n'ayant pas été dévoilé -, notamment quant à l’ouverture de ponts diplomatiques et économiques via le corridor stratégique de Zanguezour, qui relierait l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan, une autre région historiquement arménienne, sous souveraineté azérie depuis 1921. De plus, malgré les multiples concessions faites par l’Arménie, un point de blocage persiste, faisant patiner la signature de l’accord. Bakou exige en effet de l’Arménie une révision constitutionnelle sensible avec la suppression du préambule faisant référence à la Déclaration d’indépendance de 1990 du pays, dans laquelle figure une revendication territoriale sur le Haut-Karabagh. Si Nikol Pashinyan a exprimé la volonté de son gouvernement de signer le traité d’ici la fin de l’année 2025, aucune rencontre bilatérale n’a donc été programmée entre les dirigeants arménien et azerbaïdjanais pour finaliser les modalités de cette signature. Le 10 juin, le Premier ministre arménien s’est toutefois rendu en Turquie pour une visite aussi rare que symbolique, pendant laquelle Nikol Pashinyan s’est entretenu avec le président Recep Tayyip Erdogan au sujet des négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ainsi que des efforts de normalisation des relations arméno-turques.

Nikol Pashinyan n’a pas le choix que de prendre ce risque, la situation lui est trop défavorable. L’essentiel est le maintien territorial de l’Arménie actuelle.

L’Artsakh vidé de ses Arméniens, les inquiétudes se portent désormais sur le sort du patrimoine chrétien de la région. Monastères, cimetières, khatchkars et autres monuments classés au patrimoine mondial de l’UNESCO vont-ils survivre à la domination azérie ? Arminé, guide touristique arménienne, nourrit peu d’espoir pour l’avenir de ces trésors patrimoniaux. "Au Nakhitchevan, tout a disparu. En 2007, le cimetière arménien de Djoulfa célèbre pour ses magnifiques khatchkars a été détruit de façon systématique", rappelle-t-elle à Aleteia. Selon la guide, déjà cinq églises arméniennes ont été rasées au Haut-Karabagh. Elle ne cache pas son agacement, mais se résigne à l’abandon de cette région. "Ceux qui disent que le Premier ministre a abandonné le Haut-Karabagh sont ceux qui ont été au pouvoir pendant 20 ans. Ils n’ont rien fait pour empêcher tout ça. Quand Nikol Pashinyan est arrivé, il était déjà sur des sables mouvants, et l’Arménie s’est retrouvée privée de soutien international", fustige-t-elle. "C’est malheureux. Cela me rend terriblement triste car j’aime cet endroit et je le considère comme mien. Mais je ne vois pas d’autre solution."

Un pragmatisme douloureux

Le traité permettrait-il à l’Arménie de trouver un peu de répit vis-à-vis des ambitions territoriales de son voisin ? Impossible de le savoir, estime Frédéric Encel. "De toute façon, Nikol Pashinyan n’a pas le choix que de prendre ce risque, la situation lui est trop défavorable. L’essentiel est le maintien territorial de l’Arménie actuelle. En signant cet accord, Nikol Pashinyan fait preuve d’un certain pragmatisme." Cette intégrité territoriale est fréquemment menacée. En témoignent les tirs ayant visé les villages arméniens situés dans la région de Syunik, au sud de l'Arménie, fin mars 2025.

Pourtant, ce pragmatisme n’est pas du goût de tout le monde, notamment au sein de la diaspora arménienne, vent debout contre l’accord. Sur place, l’opposition piétine et peine à proposer une alternative crédible à une société arménienne profondément ébranlée, usée par des années de conflit latent ou ouvert, analyse Tigrane Yegavian : "La société arménienne est frappée d’atonie, d’une apathie totale. Il y a un mal-être profond. Elle veut en finir avec cet état de guerre psychologique, cet anéantissement moral recherché par Aliev." Un sondage national réalisé entre fin avril et début mai 2025 auprès de 1.101 Arméniens met en lumière un désir massif de transparence quant à l'accord négocié entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan : plus de 86 % veulent pouvoir consulter et évaluer le texte complet de l’accord de paix. Sur la gestion du Premier ministre Nikol Pashinyan, l’opinion est profondément divisée : 36% souhaitent des élections législatives anticipées, tandis que 17 % estiment qu’il ne doit pas quitter le pouvoir. Une chose est sûre, les Arméniens vivent avec l’impression permanente d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête, témoigne Arminé. "On vit tous avec cette peur d’être envahis. Nous sommes conscients que cela peut arriver", souffle-t-elle, tout en espérant une pression accrue des puissances internationales pour freiner l’Azerbaïdjan, avant de se rendre à l'évidence : l’Arménie ne peut plus guère compter que sur elle-même, sans réel allié pour faire contrepoids.

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)