"J’ai l’impression que nous sommes trois dans le lit : moi, mon mari et son téléphone", soupire Marthe, 38 ans, dont l’époux Paul ne s'endort jamais sans son téléphone. Comme elle, de nombreuses personnes vivent au quotidien avec un proche dépendant de son smartphone. Un fléau qui toucherait 65% des Français, selon une étude de l’Ifop pour Agir pour l’Environnement, publiée en février 2024. Mais lorsque le téléphone accapare toute attention, que reste-t-il des liens familiaux ou amicaux.
Rupture des liens familiaux et amicaux
Pour Marthe, cette situation s’apparente à une forme de solitude, vécue presque comme une rupture affective. "C’est comme si nous étions colocataires. Même pendant nos discussions en cœur à cœur, Paul ne me regarde pas dans les yeux… Il n’a d’yeux que pour son écran." Une absence émotionnelle qui n’échappe pas à leur fils Jules, 6 ans : "Papa est toujours sur son téléphone. Il regarde ses vidéos sans arrêt. C’est fatigant !". Car si le corps est là, l’esprit, lui, est ailleurs, absorbé par les notifications ou les réseaux sociaux. Résultat, l’addict passe à côté de moments précieux, souvent irremplaçables.

Gilles-Élie, 85 ans et grand-père de 30 petits-enfants, observe : "Aujourd’hui, lorsque nous sommes en famille, une fois le repas terminé, chacun se précipite sur son téléphone. Il n’y a plus cette ambiance d’antan où on pouvait discuter, échanger, transmettre... L’individualisme a remplacé l’esprit de famille". Et contrairement aux idées reçues, cette dépendance n’épargne plus aucune génération. Élisabeth avoue que depuis que son père de 57 ans a découvert les réseaux sociaux, leur relation en pâtit. "Je le taquine sur ce sujet mais parfois ça peut aussi être source de disputes car même quand il garde ses petits-enfants, il ne peut pas s’empêcher de scroller son téléphone. C’est comme s’il était scotché à lui !", s’emporte la jeune femme. "Souvent, on ne peut pas avoir de discussion avec lui sans être interrompu pas un long silence, le temps qu’il termine de regarder un contenu partagé par un ami. C’est un vrai supplice". Face à cette situation, la trentenaire se sent souvent démunie et ne sait comment agir.
Ce phénomène ne touche pas seulement la sphère familiale. L’amitié en pâtit également, comme en témoigne Nicolas, 22 ans. "Aujourd’hui, on échange plus de mèmes que de vraies conversations", déplore-t-il. "En vacances avec mes amis, on passe parfois plus de temps sur nos téléphones qu’à discuter ensemble. C’est frustrant." Pour remédier aux comportements compulsifs de certains de ses amis, il n’hésite pas à les rappeler à l’ordre : "Nous avons décidé de mettre en place une boîte à téléphones, le temps des repas et des activités qu’on partage ensemble".
La souffrance de l’entourage comme un signal d’alarme
Marguerite, 21 ans, a elle aussi pris conscience des moments précieux qu’elle manquait avec sa petite sœur de 7 ans à cause de son téléphone. "Quand elle veut jouer ou me raconter sa journée, rapidement, j’ai le réflexe de consulter mes messages ou mes notifications. Même si elle ne s’en plaint pas directement, je me rends compte que ça la rend triste. Et puis, je sais que je ne lui donne pas un bon exemple…" Depuis, elle s’efforce de ne pas laisser son smartphone prendre le dessus.
De son côté, Paul a encore un long chemin à parcourir. Avec son épouse, ils ont décidé de suivre une thérapie de couple pour réapprendre à communiquer sans écrans et passer plus de temps en famille. Comme pour de nombreuses autres personnes accros à leur téléphone, la souffrance dans le regard de son épouse a fini par provoquer en lui comme une décharge électrique. Une invitation à repenser son rapport à la technologie, pour restaurer la présence, la chaleur et la qualité des liens.










