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Léon XIV et la vigilance doctrinale

Pope Leo XIV during the Pentecost Vigil prayer in St. Peter's Square at the Vatican on June 7, 2025.

Pape Léon XIV durant la Vigile de la Pentecôte

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Dominique Vermersch - publié le 15/06/25
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À plusieurs reprises depuis son élection, Léon XIV a laissé poindre son souci de clarification doctrinale. Pour Dominique Vermersch, recteur émérite de l’Université catholique de l’Ouest, cela augure un dialogue rigoureux entre foi et raison, ouvrant la voie pour les fidèles à un assentiment raisonné et confiant.

Nul doute que les premiers faits et gestes de notre nouveau pape soient épiés, détectés, interprétés de bien des manières. Alors que les uns le pressent d’emblée et publiquement à poursuivre l’agenda de la synodalité inauguré par son prédécesseur, d’autres s’empressent tout aussi hardiment à débobiner le fil programmatique découlant du nom choisi par le pontife, Léon. Quand d’autres encore craignent déjà le déclassement voire l’absence de mots-clés dans ses premiers discours. Il en résulte un possible conflit d’agendas, mais qui révèle comme en creux un trait commun, voire la source de cet enchevêtrement de priorités, à savoir le mode de rapport pontifical entretenu avec la doctrine ecclésiale. Bref, comment s’appréhende le "service de la doctrine" (expression reprise de Donum Veritatis, Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien, 1990) au moment de ce passage de relais pontifical ?

Faire office de GPS

Posons d’emblée que le service de la doctrine renvoie en premier lieu à la fonction du Magistère qui aurait subi ces dernières années un effet de diffraction (un effet de brouillage) contraire à sa fonction première énoncée par le catéchisme de l’Église catholique : "La mission du Magistère est liée au caractère définitif de l’alliance instaurée par Dieu dans le Christ avec son Peuple ; il doit le protéger des déviations et des défaillances, et lui garantir la possibilité objective de professer sans erreur la foi authentique. La charge pastorale du Magistère est ainsi ordonnée à veiller à ce que le Peuple de Dieu demeure dans la vérité qui libère" (CEC, n. 890). Dans sa quête de vérité et de liberté, le Peuple de Dieu a besoin en quelque sorte d’un GPS (le Magistère) qui ne subisse pas de brouillage intempestif. Que ce GPS puisse mettre à disposition une cartographie la plus précise possible, toujours à affiner, visant à éviter les voies sans issue, les chausse-trapes, les chemins sans retour. Bref, le GPS balise l’espace, en localisant les obstacles éventuels plutôt que d’en subir un effet de diffraction. C’est précisément ainsi que le Magistère s’est érigé historiquement pour défendre la foi des pauvres et des petits face aux prétentions intellectuelles des sachants.

Retenons alors l’idée de vigilance doctrinale comme l’antidote d’une certaine diffraction magistérielle. Comme le soulignait récemment T.-D. Humbrecht dans la Revue thomiste ("Libres propos sur le combat doctrinal"), une telle vigilance n’a pas le vent en poupe… mais n’en demeure pas moins un, si ce n’est le combat à mener ; combat qui comporte pour le théologien dominicain la manifestation de la vérité, le souci d’une argumentation exigeante et… la lutte contre la paresse ecclésiale. Ainsi compris, le service de la doctrine est constitutif de l’acte théologique. De quelle manière ce service sera-t-il désormais rendu ?

Ce qu’il faut entendre par le mot doctrine

Proposons à cet effet trois premiers indices témoignant d’une vigilance doctrinale assumée par notre nouveau Saint-Père. À commencer par ce bref discours, le 17 mai dernier, à la fondation Centesimus annus. Il y est donc question de doctrine sociale de l’Église, ce qui permet à Léon XIV de préciser ce qu’il faut entendre (et ne pas entendre !) par le mot doctrine. L’extrait suivant se suffit à lui-même :

Pour la sensibilité de nombre de nos contemporains, les mots dialogue et doctrine paraissent opposés, incompatibles. Peut-être qu’en entendant le mot doctrine, nous pensons immédiatement à la définition classique : un ensemble d’idées propres à une religion. Et cette définition nous donne le sentiment de manquer de liberté pour réfléchir, remettre en question, chercher des alternatives. Il est donc urgent de montrer, à travers la Doctrine sociale de l’Église, qu’il existe un autre sens — prometteur — au mot doctrine, sans lequel même le dialogue devient vide. Ses synonymes peuvent être "science", "discipline" ou “savoir”. Ainsi comprise, chaque doctrine est le fruit d’une recherche et donc d’hypothèses, de voix diverses, d’avancées et d’échecs, à travers lesquels elle tente de transmettre un savoir fiable, structuré et systématique sur un sujet donné. Ainsi, une doctrine n’équivaut pas à une opinion, mais devient un chemin commun, choral et même interdisciplinaire vers la vérité.

L’endoctrinement est immoral, il empêche le jugement critique, porte atteinte à la liberté sacrée du respect de la conscience — même erronée —, et se ferme à de nouvelles réflexions parce qu’il rejette le mouvement, le changement ou l’évolution des idées face à de nouveaux problèmes. À l’inverse, la doctrine, entendue comme une réflexion sérieuse, paisible et rigoureuse, veut d’abord nous enseigner à nous approcher des situations, et avant tout, des personnes. De plus, elle nous aide à formuler un jugement prudentiel. Ce sont la rigueur, le sérieux et la sérénité que nous devons tirer de toute doctrine, même de la Doctrine sociale.

Bref, en un mot comme en mille, la doctrine ecclésiale prend sa forme et se prête à l’assentiment magistériel dans un rapport d’apprivoisement dialogal entre liberté et vérité.

Un dialogue rigoureux entre foi et raison

Rapporté maintenant à la diffraction magistérielle évoquée précédemment, un deuxième indice peut être repéré dans l’homélie prononcée le 1er juin suivant à l’occasion du jubilé des familles, des enfants, des grands-parents et des personnes âgées : "C’est pourquoi, le cœur plein de reconnaissance et d’espérance, je vous dis, à vous les époux : le mariage n’est pas un idéal, mais la norme du véritable amour entre l’homme et la femme : un amour total, fidèle, fécond." En se référant de plus à l’encyclique Humanæ vitæ (1968), le propos jubilaire de Léon XIV se démarque de la dizaine d’occurrences de l’exhortation apostolique Amoris lætitia (2016) présentant le mariage chrétien comme un "idéal". Non, le mariage est la norme (le mot italien utilisé [il canone] est encore plus fort) ; norme du véritable amour, expression de saint Jean Paul II que l’on retrouve fréquemment dans ses catéchèses sur l’amour humain dans le plan divin.

Relevons enfin le souhait du pape de poursuivre le sillage laissé par Léon XIII qui, avec la première encyclique sociale Rerum novarum (1891), a donné à l’enseignement social de l’Église sa forme doctrinale. Plus encore, avec Æternis Patris (1879), il a ramené l’Église à la philosophie thomiste, suite à une longue période de vagabondage philosophique, et donc théologique. Si l’on rajoute la quantité impressionnante d’encycliques (85) publiées par le pontife qui a prôné le ralliement à la République, tout cela augure vraisemblablement un enseignement magistériel propre à Léon XIV, fondé sur un dialogue rigoureux entre foi et raison, ouvrant la voie pour les fidèles à un assentiment raisonné et confiant.

Une approche augustinienne

Concluons quant à l’art et la manière dont pourrait se renouveler le souci de la doctrine à l’aube de ce pontificat. Unité apparaît ici comme le mot-clé, qui est au cœur de la devise épiscopale reprise dans les armoiries de Léon XIV : "En celui qui est un, soyons un". Unité est le mot-clé, ce d’autant que celle de l’Église a été objectivement malmenée durant le pontificat précédent, avec en point d’orgue la sortie de Fiducia supplicans. Unité et amour, unité et vérité : nous pressentons d’ores et déjà un souci tout en douceur de la clarification doctrinale, propre en définitive aux disciples de saint Augustin, à l’approche augustinienne qui rappelle à temps et à contretemps qu’on n’entre dans la vérité que par la porte de la charité.

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