Laissez-moi vous raconter trois événements, trois étonnements récents. Le premier, c’est la réception d’un mail commercial, comme on en reçoit tous, matin, midi et soir. Mais là, fait plus que rare, je dirais même antilogique : ce mail visait à proposer à tous ses destinataires de se… désabonner ! Sobriété numérique, conscience écologique ? Que nenni… Voici le fameux message reçu mi-mai : "La Fête des pères c'est pour bientôt. Nous savons que cette journée ne résonne pas de la même façon pour tout le monde. Pendant le mois de mai et juin, nous partagerons des idées de cadeaux et des histoires pleines d’émotions. Alors, si vous préférez ne pas recevoir d’e-mails à ce sujet, cliquez ci-dessous pour vous désinscrire." Le tout agrémenté d’une image : un cœur pansé. Comprendre donc : un cœur blessé. Quant à l’’objet du mail, le voici : "On sait, la Fête des pères c'est personnel."
Un certain féminisme
Le second, c’est ce commentaire laissé par un homme — Guillaume P., que je salue et que je n’ai pas oublié — à la suite de l’une de mes tribunes, "La grossesse, un message féministe à toute l’humanité" (Aleteia, 31 mars 2025). Sa critique était pertinente et je l’en remercie : "J’ai beaucoup apprécié cet article. J’ai cependant été un peu déçu, en constatant qu’au sujet de la grossesse, il n’est ici aucunement question de père, de son rôle d’accompagnement, de soutien, d’engagement dans la grossesse. Son rôle est certes différent de celui de la mère, mais non moins difficile, notamment en ce qu’il s’agit de savoir comment bien accompagner une femme qui change et qui vit des événements intenses… Et ce d’autant plus qu’aujourd’hui, un certain “féminisme” tend à séparer la grossesse de la relation d’amour, voire même incite à penser la grossesse comme une affaire ne concernant que la femme enceinte."
Le troisième, c’est le succès de certaines humoristes, comme Marine Leonardi, dont la matière première n’est autre que le quotidien de son piteux mari, père de ses enfants, qu’elle passe à la moulinette au fil de ses sketchs. On imagine aisément que ce contenu et les ricanements qu’il suscite nourrisse la sororité. Les femmes se reconnaissent, se sentent solidaires entre elles. Femme, mère, épouse, quelle charge mentale, quand même ! D’ailleurs, la "stand-uppeuse" ponctue fidèlement ses vidéos d’un : "Vous n’êtes pas seules".
Le cri du père
Trois événements bien différents. Le premier allègue que le père, c’est une affaire "perso". Prenons des pincettes, cachons cette fête, car nous le savons bien, elle ne concerne pas tout le monde. Le troisième est assez symptomatique de notre époque. Si on ne sait pas trop quelle place donner aux pères et aux hommes aujourd’hui, il en est une qui leur va à coup sûr : c’est celle de la boîte à baffes. Se moquer des hommes, montrer ce qui peut être (tellement) agaçant dans ce qu’ils font (ou ce qu’ils ne font pas), ça marche à tous les coups. De toute façon, ils ont toujours tout faux, pas vrai ? Et le second, c’est le cri du père qui nous dit : arrêtez de nous effacer, de nous oublier ! Donner la vie, faire un enfant, ça se fait à deux, même si c’est différent, même dans ce monde de biotechnologies. On existe, on est là, on est imparfaits, mais on fait ce qu’on peut…
Alors, en cette veille de fête des pères, et même si ce n’est pas simple de parler de paternité, a fortiori en seulement quelques lignes, j’ai envie de rendre hommage aux hommes et aux pères. Autour de moi, il y en a beaucoup. Aucun n’a l’air d’être parfait, pas même le mien ni celui de mes enfants. Donc ce sera tout simplement l’hommage d’une femme et d’une mère imparfaite, qui fait ce qu’elle peut, à tous les hommes et pères imparfaits qui font ce qu’ils peuvent. Devenir parent est une réalité humaine, en cela, l’imperfection sera plus une qu’une constatation : elle en sera une condition.
Un père, ça compte
Oui, c’est vrai, c’est une triste réalité, il y a des pères absents, défaillants, infidèles, alcooliques ou violents. Il arrive, et c’est terriblement triste, que certaines personnes disent, tant elles ont pu être blessées dans leur enfance : "J‘aurais préféré ne pas avoir de père", et vont jusqu’à demander à changer de patronyme à l’état civil, c’est désormais possible. Il y a aussi des pères éteints, à force de ne pas être reconnus, encouragés ou valorisés dans leur rôle. Et d’autres disparus dans l’air du temps, celui qui nous explique qu’on n’a pas besoin d’eux, voire qu’ils n’existent pas, une fois qu’on les a réduits à la cellule la plus petite de leur corps : le spermatozoïde.
Se réconcilier avec son histoire est fondamentale, ça peut prendre du temps, pour quitter le surmoi et les injonctions et trouver son propre chemin.
Oui, c’est vrai, les difficultés et les traumatismes générés par les parents ou par leur absence vous poursuivent parfois toute la vie. Les psychanalystes ne le savent que trop bien. Se réconcilier avec son histoire est fondamentale, ça peut prendre du temps, pour quitter le surmoi et les injonctions et trouver son propre chemin. C’est un travail qui incombe plus ou moins à chacun. Mais tout cela est bien la preuve, par la négative malheureusement, que les parents ont une importance cruciale dans la vie de chacun. Oui, c’est vrai, un père ça compte. Ça compte aussi en bien !
Des bons pères, il y en a plein
Ça compte personnellement, dans la vie de chacun, et ça compte collectivement, dans une société qui cherche des repères, qui se cherche et se perd. Qui a besoin de modèles et de figures d’autorité. On a besoin de retrouver la place du père. Oui un père, ça compte, en tant qu’homme et père. Et pas comme une simple fonction. Être père, comme être mère, c’est une incarnation. C’est une réalité singulière, charnelle et sexuée. Même s’il est vrai qu’au chapitre "donner la vie", homme et femme, nous vivons les choses très différemment. On ne devient pas père comme on devient mère, après une épopée charnelle, physique, biologique, psychologique transformante, intense, totale, douloureuse ou harmonieuse, facile ou presque inhumaine, dans les larmes et le sang, parfois jusqu’aux ravins de la mort. La part charnelle de l’homme, bien qu’essentielle, peut sembler moindre. Devenir père passera alors aussi par la reconnaissance, la parole.
Chers pères, chers hommes, nous avons besoin de vous. De votre différence, de votre regard sur le monde. De votre responsabilité. De votre courage créatif. On ne parle pas souvent d’eux, mais des bons pères, des supers papas, il y en a plein. Je pense à tellement d’entre eux, en écrivant ces mots. Des pères, pas des experts, qui, au travers de leur force comme de leur faiblesse, de leur amour comme de leurs maladresses, savent donner à leur enfant confiance en eux, les font grandir, en font des femmes et des hommes droits, courageux, attentifs aux autres et au bien. On parle moins de ces pères-là. Pourtant ils sont légion. Dans leurs imperfections, ils savent même demander pardon. Et chercher à progresser, toujours. Pas à pas. Car on devient père en le vivant.
Tout entier dans la main de son père
Chers pères, chers hommes, nous avons besoin de vous, de votre force. Une drôle d’anecdote me revient à l’esprit, ici. Pour moi, la maternité a été une histoire bien difficile. L’un de mes enfants est né "prématuré extrême", après une grossesse miraculeuse mais sur le fil, dans des conditions tout aussi extrêmes. Quand notre tout petit bébé était en réanimation néonatale, entre la vie et la mort, la présence de son papa fut une présence vitale. Je l’ai mesuré, de manière palpable. Lors même que notre enfant était si fragile, si petit, au point qu’il tenait tout entier dans la paume de la main de son père… Lui, a su lui transmettre l’indicible, des mots silencieux, par sa présence, quelque chose de l’âme masculine qui m’échappait. "Je crois en toi. Tu peux le faire. Tu peux vivre."
Il était là, solide comme un roc. Alors que moi, sa mère, j’étais aux prises avec une angoisse indescriptible, un glaive de fatalité planté dans le cœur, un épuisement et un lien charnel bien différents du sien. Notre différence d’état, alors, fut un bien incommensurable.
Trouver votre place
Quelques années plus tard, j’ai surpris cette conversation d’enfants, de mes deux garçons. Le grand, 6 ans : "Tu savais que les bébés, ils sont dans le ventre des mamans ?" Le petit, 2 ans, le miraculé survivant dont je viens de parler, de répondre : "Non. Pas moi. Moi, j’étais dans le ventre de papa… " Tout ça pour ça, a pensé la maman amusée que j’étais à ce moment-là…
Les papas, on ne vous oublie pas. Je crois qu’il appartient à tous, à la société, à vos aînés, et à nous aussi, femmes et mères, de vous aider à donner le meilleur de vous-mêmes, et pour cela, à trouver votre place. Réconcilier la société avec la figure de la paternité et les hommes avec la vie. Quelle urgence ! Quelle nécessité ! Quel défi.
