S’il est né à Chicago, Léon XIV a passé une grande partie de sa vie au Pérou comme évêque de Chiclayo. L’Amérique latine est donc aussi sa patrie, ce qu’il a manifesté en renouvelant sa carte d’identité du Pérou. Le 7 juin, le nouveau pape a reçu au Vatican le président de l’Argentine, Javier Milei, avec qui a été évoqué une visite en Argentine qui pourrait se faire dans le cadre plus large d’un voyage au Pérou et au Chili. Léon XIV pourrait ainsi se rendre dans le pays de François, qui ne s’y est pas rendu tout au long de son pontificat. C’est que l’Amérique latine est plus que jamais une terre de défi pour l’Église catholique.
Le volontarisme évangélique
Au début des années 1980, l’Amérique latine était vue comme le futur de l’Église catholique, tant par son dynamisme démographique qu’économique. Depuis, les choses ont beaucoup changé. La "théologie de la libération" a cristallisé les tensions politiques et sociales. Une partie du clergé s’est détournée du peuple, trop prompt à mêler l’Évangile et le discours politique. Le soutien aux dictatures militaires, sous le prétexte de lutter contre les dictatures marxistes, n’a pas non plus grandi l’image de l’Église dans une grande partie des pays.
Pour contrer la théologie de la libération, vue comme l’antichambre du marxisme, les États-Unis et plusieurs associations humanitaires protestantes ont structuré et financé les mouvements évangélistes, destinés à contrecarrer le discours de prélats catholiques. À la théologie de la libération ainsi qu’à la théologie du peuple [soutenue par le pape François, Ndlr], s’est substituée la "théologie de la prospérité", portée par plusieurs mouvements évangélistes américains. L’évangélisme perce en Amérique latine, l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro en étant l’un des cas les plus connus. Élevé dans le catholicisme, il a rejoint l’évangélisme pratiqué par sa femme, allant jusqu’à se faire baptiser dans le Jourdain par un pasteur. Si plus de 90 % des Sud-Américains se revendiquaient catholiques dans les années 1970, c’est à peine 60 % aujourd'hui. L’évangélisme a capté les classes populaires, l’athéisme les classes bourgeoises. Une spirale d’effritement que les Églises locales doivent combattre. Avec son expérience d’évêque au Pérou, Léon XIV peut contribuer à enrayer ce phénomène.
Un continent à la paix menacée
Bien que l’Amérique latine soit l’un des continents où les conflits interétatiques sont les moins nombreux, la paix est malgré tout menacée, soit à cause de tensions sociales fortes, soit à cause des réseaux criminels qui parcourent les pays. Ces menaces ont été abordées entre Javier Milei et Léon XIV, tant elles sont un frein au développement des pays et un danger pour les populations.
Entre l’Argentine et ses voisins, les frontières sont certes stables, mais plusieurs revendications révisionnistes demeurent. La Bolivie espère toujours récupérer un accès à la mer, les trois frontières entre le Paraguay, le Brésil et l’Argentine sont poreuses, notamment aux réseaux criminels. Des ramifications du Hamas et du Hezbollah y sont ainsi installées, via la diaspora palestinienne.
Un vaste volcan assoupi
De nouvelles tensions pourraient éclater, autour des enjeux maritimes. L’Argentine revendique toujours la souveraineté sur les îles Malouines, afin d’accéder aux richesses halieutiques. L’ouverture des routes au pôle Sud ravive les tensions et les revendications potentielles entre le Chili et l’Argentine. Plus au nord, le Venezuela maintient ses revendications d’annexion du Guyana, désireux de capter les découvertes maritimes de gisements de pétrole. En Guyane, la frontière avec le Brésil demeure poreuse, les trafiquants d’or sont toujours aussi offensifs, contraignant les forces françaises à une présence continue.
L’Amérique latine est donc un vaste volcan assoupi qui pourrait se réveiller. Les nationalismes, les discours politiques manipulés, la soif de captation des richesses pour alimenter des États en faillite peuvent faire renaître des conflits entre États. Sans compter les réseaux criminels, ceux de la drogue essentiellement, qui ravagent les villes, maintiennent les populations dans la pauvreté, créent des drames sociaux. L’Amérique latine a besoin de paix, ce dont ont parlé le pape et le président argentin. Et Léon XIV, qui est un Sud-Américain de cœur et de vie, le sait plus que personne.