Le cardinal guinéen Robert Sarah fêtera ses 80 ans le dimanche 15 juin. Le préfet émérite de la congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements ne pourra plus participer à un conclave en cas de mort ou de renonciation de Léon XIV. Souvent perçu comme un opposant au pape François – ce dont il s’est toujours défendu -, le cardinal Robert Sarah est l'un des prélats africains les plus influents de ces dernières années. Parfois cité comme papabile par certains courants conservateurs, cet auteur prolifique est à la retraite à Rome depuis 2021.
Peu après le conclave ayant conduit à l’élection de Léon XIV, une fausse rumeur a circulé sur une nomination du cardinal comme envoyé spécial du pape pour des missions diplomatiques. Léon XIV l’a en réalité nommé "envoyé spécial" pour présider les célébrations du 400e anniversaire des "apparitions" du sanctuaire breton de Sainte-Anne-d’Auray, les 25 et 26 juillet prochains.
Une figure de résistance en Afrique
Le prélat africain fut en Guinée l'une des principales figures de la résistance pendant et après la dictature marxiste d'Ahmed Sékou Touré. Francophone et francophile, Robert Sarah est né le 15 juin 1945 dans le nord de la Guinée-Conakry, alors colonie française, près de la frontière avec le Sénégal. Il est issu d'une famille très modeste d’agriculteurs qui baigne dans la culture animiste. Il découvre sa vocation au contact des Pères spiritains qui officient dans une mission près de chez lui. Plus tard, il rejoint un petit séminaire en Côte d’Ivoire puis est envoyé en France, où il intègre le grand séminaire de Nancy, entre 1964 et 1967.
Il est ordonné prêtre dans son pays, le 20 juillet 1969, alors que les tensions entre l'Église et le pouvoir en place sont extrêmes - Mgr Raymond-Marie Tchidimbo, archevêque de Conakry, sera arrêté quelques mois plus tard et torturé des années par les hommes du régime de Sékou Touré. Le jeune prêtre est envoyé à Rome pour suivre des études d’exégèse. Après un passage au Studium biblicum franciscanum de Jérusalem, il revient dans en Guinée pour être curé à Boké. Les purges imposées à l'Église guinéenne vont placer Robert Sarah sur le devant de la scène.
En 1979, il devient à 34 ans le plus jeune évêque au monde lorsque le pape Jean-Paul II le nomme archevêque de Conakry. Faisant preuve de courage, il s’oppose des années durant au régime. En 1985, il est élu à la présidence de la conférence des évêques de son pays et devient l'un des principaux interlocuteurs dans la période chaotique qui suit la mort en 1984 du dictateur Sékou Touré. En 1992, Jean Paul II se rend en Guinée pour consoler un peuple meurtri et encourager l'épiscopat à continuer son action pour la paix et la fin de la corruption. En 2001, le pontife polonais l'appelle à Rome pour qu’il devienne le secrétaire de la congrégation pour l’Évangélisation des peuples. Sa carrière à la Curie débute.
Un défenseur de la sacralité de la liturgie
C'est le pape Benoît XVI qui le nomme en 2010 à la tête du Conseil pontifical Cor Unum, un organe de la curie qui coordonne alors les actions de charité dans le monde et qui fusionnera sous le pape François avec notamment Justice et Paix pour former l'actuel dicastère pour le Service du développement humain intégral. Quelques semaines après cette nomination, le pontife allemand l'élève à la pourpre cardinalice, à l'âge de 65 ans. Au conclave de 2013, certains médias glissent son nom parmi les papabili mais selon l'enquête du vaticaniste Gerard O'Connell, il n’aurait recueilli qu'une seule voix lors du premier tour.
En novembre 2014, le pape François le choisit comme préfet de la congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements. Une nomination que le Guinéen confie avoir refusé trois fois avant de l'accepter devant l’insistance du pontife. À ce poste, le cardinal Sarah met toute son énergie pour que la liturgie de la messe retrouve une sacralité et une beauté qu'il juge menacées. En 2016, il se dit favorable à ce que les prêtres reviennent à la célébration de la messe dos à l'assemblée. Réagissant à ces prises de position, le Vatican prend le soin de faire une « précision opportune » en assurant que de nouvelles directives liturgiques ne sont pas prévues.
Conservateur sur le plan de la doctrine de l'Église et de sa vision de la sexualité et du mariage, il s'inquiète, lors du Synode sur la famille en 2015 du fait que l'Église cède à la mentalité sécularisée et individualiste de l'Occident. Il s'élève alors aussi bien contre le relativisme ambiant que le fondamentalisme islamique, deux radicalisations qui menacent, selon lui, la famille. Sa position sur l'homosexualité est ferme. Dans une tribune publiée par le Wall Street Journal, il explique que l'Église ne peut changer son enseignement sur la chasteté, y compris pour ceux qui appartiennent à la communauté LGBT. Il souligne que les attirances envers le même sexe "ne sont pas pécheresses si elles ne sont pas voulues ou mises en pratique" mais que les relations homosexuelles le sont "gravement".
Un bras de fer avec le pape François ?
Début 2020, le cardinal Sarah est sous les feux des projecteurs alors que le pape François s'apprête à publier une exhortation apostolique à la suite du Synode sur l’Amazonie. La question d'une autorisation par Rome de l'ordination d'hommes mariés agite les esprits – cette disposition ayant été votée par les membres du synode. Le préfet guinéen signe alors un livre – avec une contribution du pape Benoît XVI – intitulé Des profondeurs de nos cœurs (Fayard), véritable plaidoyer pour le célibat sacerdotal.
Cette intervention du pape émérite aux côtés du cardinal Sarah sera perçue par certains comme une pression exercée sur le pape François pour l'empêcher d'autoriser l'ordination des viri probati. Des accusations que contestera le cardinal.
Auteur de livres de spiritualité à succès - Dieu ou rien en 2015, La force du silence en 2017, Le soir approche et déjà le jour baisse en 2019 ou bien encore Catéchisme de la vie spirituelle en 2022 -, il a acquis un solide réseau auprès de catholiques conservateurs, en France notamment. Son dernier livre, Dieu existe-t-il ? , est paru en mai dernier chez son éditeur Fayard. Le Guinéen reste reconnu pour sa profondeur spirituelle qui a nourri une génération de catholiques.
Le 20 février 2021, le pape François accepte la démission du cardinal africain qui avait célébré ses 75 ans quelques mois plus tôt. Certes plus discret, il intervient parfois dans les grands débats de l'Église. Il fait partie des cinq cardinaux qui ont rédigé des dubia - doutes - envoyés au pape François pour l'interroger sur les objectifs du Synode sur la synodalité, en octobre 2023.
Il a également qualifié "d'hérésie" le document Fiducia supplicans de la Doctrine de la foi autorisant les bénédictions non rituelles de couples homosexuels. Dans un livre publié en 2024, le pape François avait décrit l'ancien préfet comme un homme "bon" mais manipulé et rendu "un peu amer" par ses fonctions à la Curie.
