Faut-il remercier un cycliste ou un automobiliste qui laisse passer un piéton sur un passage clouté ? Une question qui suscite un débat assez animé et qui oppose deux camps : les tenants de l’application pure et simple du Code de la route, et les personnes ouvertes à la gratitude, voire même, comme l'a suggéré Léon XIV dans son homélie de Pentecôte, à l'Esprit saint ! Dimanche 8 juin, le pape Léon XIV a en effet pointé le paradoxe d’un monde où les gens sont "immergés dans la foule" mais restent des "voyageurs désorientés et solitaires", invitant au contraire à accueillir l'Esprit Saint pour briser les murs de l'indifférence. "L'Esprit vient défier en nous le risque d’une vie qui s’atrophie, aspirée par l’individualisme". Pourquoi ne pas laisser agir l'Esprit saint aussi sur le bord de la route ?
"Non, je ne dis pas merci ! Pourquoi remercier alors que l’automobiliste ne fait que respecter le Code de la route ? D’ailleurs, je n’attends aucun remerciement quand je suis au volant et que je m'arrête pour laisser passer !", s’insurge Camille, Parisienne de 39 ans. "Est-ce que deux automobilistes se font un petit signe quand il y a une priorité à droite ? Non ! C’est juste normal." En effet, l’article R415-11 du Code de la route dispose que "tout conducteur est tenu de céder le passage, au besoin en s'arrêtant, au piéton s'engageant régulièrement dans la traversée d'une chaussée ou manifestant clairement l'intention de le faire". C’est la loi, certes, et l’infraction coûte cher, mais cela n’empêche pas de faire un petit signe de la main ou de la tête pour signifier un merci. "Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme perverse. C’est d’avoir une âme habituée", disait Charles Péguy. Prenons l’exemple d’une mère de famille qui subvient aux besoins de ses enfants. C’est "normal", certes, mais cela n’exclut pas reconnaissance et gratitude. Parce que nous sommes des êtres de relation et que la gratitude rend justement les relations plus épanouissantes pour chacune des deux parties.
Revenons à notre passage piéton. Bien qu’un tel geste ne soit pas attendu, n’est-il pas d’abord un signe d’humanité ? D'ouverture à l'autre ? Le signe de la rencontre, même éphémère, entre deux êtres humains ? L’occasion d’échanger un sourire ? Une manière d’humaniser un tout petit peu cet espace anonyme qu’est la route ? Sans compter que sur la route, les rapports sont souvent tendus, voire spontanément hostiles. En remerciant, un piéton injecte un peu de chaleur humaine dans cet environnement et casse d’emblée la logique de l'indifférence.
Puissance de la gratitude
Et puis pourquoi ne pas se laisser remplir de gratitude sous prétexte que l’automobiliste respecte le Code de la route ? C’est vraiment rater une occasion de se réjouir ! D’autant plus que la gratitude est contagieuse. Une personne à qui on dit merci sera plus encline à faire preuve de patience ou de gentillesse envers une autre. C’est la "cascade du don", évoquée par Rebecca Shankland, psychologue clinicienne, dans Les pouvoirs de la gratitude (ed. Odile Jacob).
À la réception d’un bienfait, même s’il n’est pas attendu, naît ce désir de donner en retour, soit à la personne qui a fait don du bienfait, soit à une autre personne. Selon la psychologue, cette générosité spontanée est une loi intérieure qui structure notre être. Elle est à l’origine de comportements altruistes. "La gratitude, écrit Rebecca Shankland, va plus loin que la simple réciprocité du geste, elle génère une émotion agréable qui nous donne envie à notre tour de venir en aide à d’autres, même des personnes qui ne nous ont rien apporté et que nous ne reverrons peut-être jamais." Voilà pourquoi un simple signe de tête au détour d’un passage piéton peut devenir le premier maillon d’une grande chaîne de générosité.
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