Aleteia : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à l’euthanasie et au suicide assisté ?
Roland Strauss : Notre histoire familiale. Ma génération a été touchée de plein fouet par plusieurs suicides parmi la génération du dessus. Ces morts volontaires nous habitent et continuent d’interroger et tracasser ceux qui viennent après nous : c’est un phénomène qui n’a rien de neutre et impacte profondément l’entourage. Un phénomène d’aspiration vers la noirceur, qui, quelque part, normalise l’acte suicidaire. La contamination du suicide est très documentée : les proches sont huit fois plus prompts que la moyenne à passer à l’acte…
Quel regard portez-vous sur la loi sur "l'aide active à mourir" adoptée à l’Assemblée nationale le 27 mai dernier ?
Elle me paraît inacceptable. C’est un vrai basculement : pour la première fois de notre histoire, l’administration d’une substance létale à un malade deviendrait légale ! C’est également une loi très permissive : on s’attendait à un texte restrictif, un pied dans la porte pour l’entrouvrir. Là, la porte a déjà sauté… Le champ d’application est large et on sait que ce ne sont que des prémices : si l’on accepte de mettre fin à la vie, on étendra les cas dans les années à venir à toutes les fragilités. Voyez ce qui se passe à l’étranger. Les promoteurs de l’euthanasie feront aussi, pardonnez-moi l’expression, "péter les fenêtres" et entrer le froid dans la maison tout entière…
Ces promoteurs n’ont-ils pas l’opinion publique avec eux ?
Mais il n’y a pas eu de débat public ! Ça fait 50 ans que quelques centaines de personnes prisonnières de schémas de pensée ou de consignes de parti sont à l’œuvre… La majorité des députés ont voté sans connaître les opinions de leurs électeurs ni les réalités du terrain. Sans compter qu’ils masquent leurs véritables intentions, en ne nommant pas les réalités tragiques de l’euthanasie et du suicide assisté. Je suis affligé de penser à la montagne de douleur que l’on créerait si cette loi passait…
Que faire alors ?
Surtout ne pas baisser les bras, même si on a le sentiment que les forces en présence sont inégales, que c’est David contre Goliath. Et refuser la loi dans sa totalité : il ne s’agit pas de réduire son champ, de se battre contre tel ou tel point. On ne ferait que gagner du temps : dès lors qu’on admet l’idée de tuer, nos concitoyens s’y habitueront, il y aura des extensions… Une fois le mauvais génie sorti de la bouteille, il ne sera pas possible de l’y faire rentrer. Il ne faut pas que cette loi passe, un point c’est tout. Ce serait une dérive collective sociétale : la violence et la détresse qu’elle engendrerait ne sont pas négociables. Il faut de toute urgence toucher les cœurs.
Que voulez-vous dire par "toucher les cœurs" ?
Si on s’intéresse au sujet de manière purement cérébrale, on est capable de justifier tout et son contraire. Vous pouvez bien définir intellectuellement la fraternité, ce n’est qu’en la vivant concrètement avec votre prochain que vous percevez la réalité qu’elle recouvre. Cette loi est une loi de bien portants qui craignent la mort et s’imaginent qu’ils souffriront atrocement le moment venu. Personne évidemment n’a envie de souffrir ! Les soignants des services de soins palliatifs savent accompagner la mort en douceur. Seulement c’est un processus exigeant qui demande du temps, de la disponibilité et des moyens tandis qu’une piqûre létale est rapide et moins coûteuse. C’est pourquoi il est faux de penser que la loi sur les soins palliatifs sera mise en œuvre… Que tous ceux qui croient en la fraternité et la compassion fassent l’effort de se pencher sur le sujet avec leur cœur et leurs tripes, en s’intéressant au concret des situations vécues.
En pratique, que leur recommandez-vous ?
De lire des témoignages sur le vécu des unités en soins palliatifs : par exemple ceux de la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), le docteur Claire Fourcade. De prendre connaissance de ceux des personnes atteintes de maladies incurables tels Louis Bouffard et tant d’autres. Le professeur d'éthique Emmanuel Hirsch a totalement raison : "L’euthanasie ne s’encadre pas, elle déborde". Puis il faut mettre le sujet sur la table, actionner son réseau, alerter les élus, manifester… Bref, se bouger ! Tout peut encore se passer. À ma modeste échelle, je sais que mon livre (1303 ArMy) a retourné des cœurs…
Quelle était votre intention en l’écrivant ?
Faire toucher du doigt ce qu’est la fraternité : le devoir de prendre soin les uns des autres… Notion que dévoie la toute récente loi. C’est un roman épistolaire qui met en scène sans fard ni pincettes une histoire d’amitié éprouvée par l’annonce du suicide assisté du protagoniste. J’ai voulu mettre en lumière l’impact collatéral de ce dernier sur les proches et tracer un chemin de vie, avec en toile de fond une discrète touche spirituelle.
Pratique
