separateurCreated with Sketch.

“Mon mari regarde du porno”: la souffrance invisible des femmes

sad couple
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Mathilde de Robien - publié le 05/06/25
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Parce que le sujet est à la fois tabou dans le couple et banalisé par la société, la souffrance des femmes dont le mari consomme de la pornographie est méconnue et sous estimée. Pour Anne-Sixtine Pérardel, conseillère en vie affective et sexuelle, elles sont les "victimes collatérales" de cette addiction. Néanmoins, le dialogue, le temps et l’amour sont de précieux alliés pour sortir de cette spirale.

Un autosabotage bienvenu. En protestation contre l'obligation de vérifier l'âge des utilisateurs que le gouvernement français cherche à faire appliquer pour protéger les mineurs, les principales plateformes de pornographie ont suspendu, à partir du mercredi 4 juin, l’accès à leurs contenus en France. En lieu et place, elles ont annoncé que les utilisateurs tomberaient sur le visage de Marianne et le slogan : "La liberté n’a pas de bouton off". Une nouvelle qui a sans doute déçu les 20 millions de Français qui visitent chaque mois des sites pornographiques, selon les chiffres du rapport sénatorial "Porno : l’enfer du décor", mais qui doit réjouir les femmes qui souffrent de l’addiction de leur mari à la pornographie.

Une souffrance dont on ne parle pas, ou peu - la pornographie relevant de l’intime -, mais qui touche bon nombre de femmes. "Cela fait dix ans que j’ai un cabinet et je reçois de plus en plus régulièrement des femmes qui souffrent de l’addiction ou de la consommation de leur conjoint", constate Anne-Sixtine Pérardel, conseillère en vie affective et sexuelle, spécialisée dans l'addiction à la pornographie. "Elles ne peuvent pas en parler car elles ont souvent honte mais elles vivent un véritable tsunami quand elles découvrent que leur mari regarde du porno."

Le choc de la découverte

Thérèse Hargot, thérapeute de couple et sexologue, auteur de Tout le monde en regarde (ou presque), accompagne aussi des couples confrontés à la pornographie. Elle reçoit de nombreux témoignages de femmes : "J’étais enceinte de notre premier enfant, je l’ai surpris malencontreusement. Ça m’a fait l’effet d’un coup de poignard en plein cœur", confie l’une d’elles, aujourd’hui mère de trois enfants. Un coup de poignard. Un choc. Un tsunami. Les expressions ne manquent pas pour exprimer la profondeur de la blessure et la multitude de sentiments qu’éprouve une femme à ce moment-là. Colère, à la pensée d’être trahie, angoisse, à l’idée de ne plus plaire à son conjoint, perte d’estime de soi, liée à l’humiliation subie…

Un choc qui arrive parfois dans un second temps, lorsqu’une femme comprend l’importance de l’addiction de son conjoint et réalise les dégâts qu’elle engendre dans leur vie conjugale. "La pornographie est tellement banalisée aujourd’hui que certaines femmes ne voient pas tout de suite le problème", explique Anne-Sixtine Pérardel. Des clichés tels que "tout le monde en regarde" ou "les hommes ont des besoins sexuels" sont tellement ancrés dans la société que regarder de la pornographie est devenu une activité banale. "Un jour, ces femmes se rendent compte que ce n’est pas juste un petit porno de temps en temps mais que c’est quotidien, parfois, et que c’est devenu un besoin pulsionnel." Elles comprennent alors pourquoi leur sexualité n’est pas épanouissante, et d’où viennent les attentes de leur conjoint ou les gestes qu’ils reproduisent.

Un sentiment de trahison légitime

Certains s’en défendent en minimisant leur addiction ou leur consommation – "Je n’en regarde jamais !", "Ce n’est pas si grave !", "Je ne t’ai pas trompé !" – mais nombre de femmes témoignent du sentiment de trahison qu’elles ressentent. Dans la pornographie, "il y a bel et bien un acte sexuel vécu avec d’autres personnes que son conjoint par l’intermédiaire de l’image", souligne Thérèse Hargot. "Si l’on entend par fidélité l’exclusivité sexuelle, celle-ci est objectivement rompue : regarder de la pornographie est une forme d’infidélité."

La plupart du temps, la problématique de la pornographie préexiste au couple.

La blessure est profonde parce qu’elle remet en question l’image que la femme a d’elle-même : "je ne suis plus désirable", "il s’ennuie avec moi au lit", "c’est sûrement parce que je ne veux pas faire ce qu’il me demande"… L’estime de soi est abîmée. Voilà pourquoi l’addiction d’un homme à la pornographie ne le concerne pas lui uniquement. Cela a des répercussions sur sa femme et sur son couple. Face à cette remise en question, Anne-Sixtine Pérardel est ferme et rassurante : "Ce n’est pas la faute de la femme. La plupart du temps, la problématique de la pornographie préexiste au couple. La cause première, c’est la confrontation précoce au porno", souligne-t-elle. "Il n’existe pas nécessairement de lien entre frustration sexuelle et consommation de pornographie", renchérit Thérèse Hargot. "Généralement, l’habitude d’en regarder a été prise bien avant de se mettre en couple et réapparaît après une abstinence de quelques mois sous l’effet du sentiment amoureux."

Une découverte qui abîme aussi le lien de confiance entre les époux. Comment garder confiance en son mari après ça ? "Si pour la femme, regarder de la pornographie est un acte immoral, et qu’elle apprend que l’homme qu’elle aime en a consommé ou en consomme encore, elle peut perdre confiance en lui", précise Thérèse Hargot. Est-il moralement fiable ? Le doute peut s’installer et pourrir la relation de couple.

En parler

Une première clé pour sortir de cette spirale est d’en parler à son conjoint, lui exprimer ses sentiments. Cela est loin d’être évident. "Je manquais d’énergie pour lui poser des questions, parler de ce sujet… ou plutôt, je crois bien que je n’avais plus envie de réouvrir la plaie, souffrir de nouveau", confie la jeune mère de trois enfants dont le mari a fait plusieurs "rechutes". "Mais le fait de ne plus en parler laissait place à l’imagination : je n’arrivais plus à créer un climat de confiance, je me méfiais très souvent. Et notre sexualité en prenait aussi un sacré coup : le fait de ne plus en parler, de ne pas savoir m’empêchait par moments d’avoir des relations sexuelles. J’avais l’impression que mon corps était sali d’avance." Le sujet de la pornographie ne peut plus être un tabou dans le couple : "Il faut en parler ensemble", engage Thérèse Hargot. Si certaines tolèrent la consommation de pornographie, d’autres la voient comme une infidélité. "L’essentiel, souligne la sexologue, est qu’il existe un accord entre les deux membres du couple. Qu’est-ce qui pour vous est de l’infidélité ? Qu’est-ce qui pour vous ne l’est pas ?"

consumo de porno

Autre frein pour aborder le sujet : passer pour une ringarde : "C’est toi qui es coincée et qui a un problème avec la sexualité !", répondent certains, avec une flagrante mauvaise foi. Une réponse qui génère un grand sentiment de solitude. C’est pour ces femmes qu’Anne-Sixtine Pérardel a créé en octobre dernier des groupes de parole qui rassemblent des épouses souffrant de la consommation de pornographie de leur mari. "Aujourd’hui, ce n’est presque pas audible de dire que c’est une souffrance. En échangeant avec d’autres femmes, elles se rendent compte qu’elles ne sont pas seules, et pas folles ! Elles ont le droit de souffrir de cette consommation, c’est normal, c’est légitime", insiste la conseillère.

Comprendre l’addiction

Outre le dialogue, une autre clé pour apaiser la souffrance réside dans la compréhension du processus d’addiction à la pornographie. "De nos jours, c’est un miracle d’échapper au porno", reconnaît Anne-Sixtine Pérardel. Le phénomène est tellement démocratisé qu’il est difficile de ne pas se faire prendre entre les mailles du filet. L’enjeu, pour les plateformes, est d’attirer les consommateurs de plus en plus tôt. "Une fois que l’on comprend le modèle économique de l’industrie pornographique (augmenter le trafic sur le site pour augmenter les gains financiers liés à la vente d’espaces publicitaires, N.D.L.R.), on saisit aisément qu’il est dans son intérêt que des enfants et des adolescents découvrent ses vidéos, prennent l’habitude de les regarder pour s’assurer à l’âge adulte des clients nombreux et fidèles", explique Thérèse Hargot.

Il ne s’agit pas là de prendre la défense des consommateurs de porno, qui seraient les pauvres victimes d'une industrie sans scrupule, ni d’accuser ou de dénigrer les hommes qui se feraient avoir trop facilement, mais de comprendre le traumatisme lié à une exposition précoce à la pornographie. Une exposition qui altère le système de gestion émotionnelle et la vision de la sexualité.

Des clés ? La patience et l’amour

Dépasser une crise conjugale liée à la consommation de pornographie n’est pas impossible. Cela demande de la patience, beaucoup d’amour et bien souvent un accompagnement par un professionnel. Une femme accompagnée par Thérèse Hargot témoigne de la manière dont son couple est passé du combat "de l’un contre l’autre" au combat "ensemble contre la pornographie". "Le porno fait partie des poisons qui ont essayé (et qui essaient encore) de détruire notre couple. J’en avais fait mon ennemi et à chaque fois que mon mari se faisait prendre dans sa spirale, je rageais, je me sentais trahie, abusée, nulle, trompée. Je le voyais faible et immature. Il me fallait toujours du temps pour reprendre confiance, lui pardonner, et recommencer à y croire…", témoigne-t-elle en offrant un modèle de soutien, de confiance et d’amour indéfectible malgré ses faiblesses. "La valeur de mon mari ne change pas malgré ses luttes et ses écarts. Il a besoin de mon soutien pour continuer à croire que le combat peut être gagné. Le sentiment d’être aimé et de pouvoir aimer vient noyer la mauvaise culpabilité et l’engrenage de ce cercle vicieux."

Pratique

Groupe de parole : "Mon conjoint est addict au porno", avec Anne-Sixtine Pérardel : prochaine session le 7 octobre 2025.
Livre : Tout le monde en regarde (ou presque), Comment le porno détruit l'amour, Thérèse Hargot, Albin Michel, janvier 2024, 18,90 euros.
Parcours en ligne : "En finir avec la pornographie" avec Thérèse Hargot.
Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)