Dans un monde du travail souvent pressé, tendu ou fragmenté, la façon dont nous nous traitons les uns les autres n’est jamais anodine. La civilité — ou son absence — a des effets directs sur le bien-être des personnes, sur la qualité de leurs relations, et sur la performance collective. Faut-il alors l’encourager parce qu’elle "rapporte", ou simplement parce qu’elle est juste ? Une étude américaine récente vient éclairer cette question brûlante, avec ce prisme pragmatique anglo-saxon qui sans détour, établit un lien entre civilité et rentabilité…
Le coût silencieux de l’incivilité : des chiffres éloquents
Cette étude menée en 2024-2025 par la Society for Human Resource Management (SHRM), met en relief que l’incivilité est devenue une réalité quasi quotidienne dans les entreprises américaines : 76 % des salariés déclarent avoir été témoins ou victimes d’actes d’incivilité dans le dernier mois. Chaque acte d’incivilité entraînerait une perte moyenne de 37 minutes de productivité. Au total, ce sont environ 2,7 milliards de dollars qui seraient perdus chaque jour par les entreprises américaines à cause de comportements irrespectueux ou toxiques. 26% des employés envisagent de quitter leur emploi en 2025 en raison de l’incivilité. 74% estiment que leur manager aurait pu agir davantage pour mettre un terme à ces situations. De tels chiffres montrent que l’incivilité n’est pas seulement un malaise diffus, mais un facteur de désengagement massif, de fatigue relationnelle, et de désorganisation collective.
La civilité comme socle, la politesse comme grâce
Mais que recouvre exactement l’incivilité ? On parle souvent d’incivilité ou d’impolitesse pour désigner un même comportement : le non-respect des usages. La civilité relève davantage du domaine public, comme la façon de se comporter dans la rue, dans les transports, dans les lieux ouverts à tous. Exemple : céder sa place à une personne âgée ou à une femme enceinte.
La politesse, elle, exprime une forme d’élégance, de délicatesse que l’on retrouve généralement dans des espaces privés : en famille, lors d’une réception, ou dans une relation de proximité. Exemple : ne pas couper la parole, dire pardon lorsqu’on a commis une maladresse. Et au travail ? Voici un espace à la fois public et privé : la civilité y est nécessaire comme respect fondamental des personnes, là où la politesse ajoute une délicatesse, une qualité relationnelle supérieure, précieuse pour ceux qui la reçoivent et savent l’apprécier.
Reconnaître la personne avant de viser la performance
Face aux coûts avérés de l’incivilité, nombre d’entreprises se dotent de chartes de "bienveillance" ou encore de formations à la "communication respectueuse". Sur le fond, c’est une avancée bienvenue. Mais sur la forme, justifier la civilité comme stratégie de performance revient à la dénaturer. Le respect de l’autre est suffisant pour l’instaurer.
La première fonction de la civilité ou de la politesse est ainsi d’adoucir les relations interpersonnelles, car les comportements grossiers, brutaux, ou impertinents font mal et peuvent devenir destructeurs. Les impératifs de délais, de qualité, de satisfaction client sont suffisamment mobilisateurs pour qu’on évite d’ajouter des comportements blessants.
Tous les acteurs professionnels ont besoin de sentir qu’ils sont vraiment respectés. La civilité s’oppose à la brutalité d’une part et à l’affectation excessive d’autre part. Elle répond à un besoin fondamental : être reconnu comme une personne. Et c’est précisément cette reconnaissance éthique, gratuite, qui crée le climat de confiance dont va découler… la performance.
La délicatesse, vertu discrète, mais essentielle au travail
En France, nous héritons d’un savoir-vivre ancestral riche, mais parfois ambigu : nous savons détecter la politesse surfaite, où la connaissance des codes devient plus importante que ce qu’on pourrait appeler la délicatesse du cœur. À l’opposé de cette tradition, on souffre trop souvent aujourd’hui d’impolitesse comme d’incivilité. Une entreprise devient civilisée quand chacun se sent vraiment considéré : la civilité comme la politesse en sont des manifestations sensibles. N’est-ce pas là une exigence managériale trop souvent négligée ?