Alors que depuis plusieurs décennies s’additionnent les lois qui bafouent la dignité de la vie humaine, il est bon, pour tout croyant et pour tout homme attaché à des principes inviolables et non négociables, de se pencher sur le caractère divin de cette existence qui est donnée, fragile, étonnante. La vie reçue n’est pas le fruit du hasard ayant heureusement ou malencontreusement aggloméré des atomes entre eux. Il suffit de regarder chaque être pour découvrir qu’aucun ne ressemble aux autres et que rien n’épuise cette capacité d’invention, de création. L’abomination de notre époque est d’avoir réduit les êtres particuliers en des éléments indifférenciés dont la disparition voulue et programmée n’affecterait en rien le reste de l’édifice dans son harmonie et dans sa complémentarité.
Une révolution copernicienne
Les Saintes Écritures, Ancien et Nouveau Testaments, regorgent d’odes à la vie, y compris lorsqu’elle est plongée dans la pire des souffrances, dans la misère, dans le péché. Il est toujours souligné qu’elle l’emporte sur tout, qu’elle ne peut être vaincue et que les méchants ne possèdent pas le dernier mot. Cela rassérène et console lorsque nous devons traverser des temps, comme le temps présent, où tout est dirigé contre le caractère sacré de la vie. Ceux qui promeuvent et qui votent de telles lois pensent remporter une victoire supplémentaire mais ils ne réalisent pas, ou ne croient pas, que nous serons pesés et jugés à l’aune de la charité. La Révélation a opéré une révolution copernicienne en ce qui regarde la dignité de la vie humaine. Elle n’a plus donné comme critères les capacités, les attributs, le rang, l’âge mais le fait que l’homme est imago Dei, créé à l’image de Dieu.
Le Psalmiste s’écrie :
"Qu’est-ce qu’un homme, pour que vous vous souveniez de lui,
et le fils d’un homme, pour que vous le visitiez ?
Vous l’avez abaissé un peu au-dessous des anges,
vous l’avez couronné de gloire et d’honneur ;
Et vous l’avez établi sur les œuvres de vos mains.
Vous avez mis toutes choses sous ses pieds,
brebis et bœufs, et de plus les animaux des champs ;
Les oiseaux du ciel, et les poissons de la mer
qui parcourent les sentiers de la mer.
Seigneur notre Seigneur,
que votre nom est admirable dans toute la terre !"
(Ps 8, 5-10)
L’homme à l’image de Dieu
La reconnaissance de qui est vraiment l’homme conduit à un émerveillement décuplé envers l’Être de Dieu, source de cette beauté de la vie humaine. Tout homme est à l’image de Dieu, et cette image n’est pas altérée par la diminution, par la maladie, le handicap, la folie, la bêtise, la laideur. L’affirmation de la Genèse n’est pas une notion abstraite : "Et Dieu créa l’homme à son image : c’est à l’image de Dieu qu’il le créa : il les créa mâle et femelle" (Gn 1, 27). L’auteur inspiré enfonce le clou puisqu’il répète, par deux fois, cette réalité hors du commun : l’homme à l’image de Dieu.
Évidemment, dans une société qui, depuis plusieurs siècles, a tout fait pour éliminer peu à peu toute trace du divin, cette vérité n’a plus de sens. Un vide la remplace, et ce vide est comblé par ce qui est tricoté au sein d’officines dont le principe premier est justement le rejet de l’homme image de Dieu puisqu’elles proclament une totale autonomie de l’être humain, libre de ses choix, sans lien avec une loi transcendante. Cela a conduit à cataloguer les hommes selon leur race, leur sexe, leur religion, leur catégorie sociale, leur nationalité, en niant ce qui est commun : être à l’image de Dieu.
Le caractère sacré de la vie humaine
Le caractère sacré de la vie humaine, de sa conception à sa fin naturelle, tient au fait qu’il découle de cette imago Dei. Certains pensent peut-être que cette image peut être détruite parce qu’elle est niée, mais il n’en est rien. En revanche, la retirer à certains hommes pour des raisons politiques, sociales, opportunistes, est porter atteinte à l’humanité tout entière et à Dieu lui-même. Notre-Seigneur le dira d’ailleurs : "Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mt 25, 40). Lorsqu’il s’agit d’aborder la vie des autres, de la toucher, d’en prendre soin, le Christ nous renvoie aussitôt à ce commandement : "Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur aussi" (Mt 7, 12).
Après cette invitation, qui ne souffre pas d’exception, le Maître ajoute ces mots qui doivent faire réfléchir : "Entrez par la porte étroite ; parce que large est la porte et spacieuse la voie qui conduit à la perdition ; et nombreux sont ceux qui entrent par elle. Combien est étroite la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie, et qu’il en est peu qui la trouvent !" (Mt 7, 13-14.) Le passage ou non de la porte dépendra donc de la façon dont chacun aura traité la vie de son frère, en se souvenant que cette vie est à l’image de Dieu. Saint Paul soulignera combien nous partageons la divinité, ceci devant les Athéniens sceptiques et ironiques malgré les intuitions justes de leurs philosophes et poètes : "C’est en Dieu que nous vivons, et que nous nous mouvons et que nous sommes ; comme quelques-uns assurément de vos poètes l’ont dit : nous sommes même de sa race" (Ac 27, 28).
La lumière du monde
Être de la race de Dieu devrait suffire à mettre tout homme à l’abri des atteintes et des abus contre l’intégrité de sa dignité, mais encore faut-il accepter cette réalité, désormais rejetée par le monde occidental contemporain autrefois chrétien. D’où le sort de la vie humaine, complètement fragilisée, débattu dans les hémicycles et entre les mains d’hommes qui se crient revêtus d’une autonomie sans lien avec le transcendant. Face à cette puissance perverse que l’homme s’attribue pour décider de la vie d’autrui, le Christ invite à la paix intérieure en rappelant que le corps n’est pas le tout de l’être humain : "Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme ; mais craignez plutôt celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans la géhenne. Deux passereaux ne se vendent-ils pas un as ? Cependant pas un d’eux ne peut tomber sur la terre sans votre Père. Les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés. Ainsi ne craignez point : vous valez plus qu’un grand nombre de passereaux" (Mt 10, 28-31). Cette certitude console et rassure, alors que la tentation du désespoir peut saisir ceux qui, impuissants, constatent que le bien commun n’est plus respecté dans notre société et que la vie des plus faibles est chaque jour sacrifiée. Les lois humaines peuvent être scélérates, elles n’effleurent en rien la dignité de la vie humaine et ceux qui sont immolés, de leur conception à leur dernier jour, seront les premiers à passer par cette porte étroite et à recevoir la couronne immortelle.
Cela n’efface pas à peu de frais la tristesse, les larmes, le découragement, le sentiment d’immense solitude dont le chrétien peut être saisi car sa voix ne retentit même plus dans le désert : elle est bâillonnée. Si notre temps préfère les ténèbres à la lumière, il n’empêche que cette dernière continue de briller, malgré tous les efforts pour l’éteindre totalement : "Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne" (Mt 5, 14). Encore faut-il ne pas être lâches en glissant cette lumière sous le boisseau, sous le prétexte qu’il faudrait épouser le monde. À chacun revient l’humble et dure tâche d’être imago Dei pour que tous redécouvrent le privilège divin dont ils sont investis.
