Lors des congrégations générales de pré-conclave, alors que le cardinal Pietro Parolin était classé comme l’un des principaux papabili, beaucoup lui reprochaient son action sur le dossier chinois et l’accord conclu avec Pékin en 2018. Si toute décision politique peut être analysée et contestée, et ici c’en est une, le commentateur a pour lui l’avantage, toujours très confortable, de ne pas avoir à agir. Or, si l’on se met à la place des autorités vaticanes, force est de reconnaître que leur champ d’action est des plus réduits.
Mettre un terme à la séparation
Les relations diplomatiques entre la Chine et le Saint-Siège ont été rompues en 1951. L’accord de 2018, portant sur la nomination des évêques, est donc le premier accord officiel signé entre les deux pays, ce qui revient à une reconnaissance de fait du Saint-Siège par la République populaire de Chine. En cela, c’est un premier pas important.
L’accord a été renouvelé plusieurs fois : 2020, 2022 et octobre 2024, pour une durée de quatre ans. Dans la tradition diplomatique de l’Église, un accord, même imparfait, est préférable à l’absence d’accord. Accord dont les modalités principales sont demeurées secrètes, ce qui rend compliqué l’analyse puisque nous ne disposons pas du texte de celui-ci. Léon XIV dispose de quatre années devant lui pour décider de renouveler ou revoir l’accord conclu avec Pékin.
Rétablir une forme de normalité
L’un des objectifs de l’accord est de mettre un terme à la séparation de fait de l’Église chinoise "souterraine" avec Rome. Paul VI avait en effet autorisé les évêques chinois à nommer eux-mêmes les évêques, sans passer par Rome. Il s’agissait d’une mesure exceptionnelle devant s’adapter à la répression à l’époque en cours en Chine, qui empêchait tout lien entre les évêques et Rome. Mais cette situation "exceptionnelle" a duré plus que prévu. L’accord de 2018 visait donc à rétablir une forme de normalité. Le problème étant que Pékin a souvent nommé des évêques sans demander l’autorisation à Rome, se contentant de faire valider un choix déjà effectué. Pire, durant la vacance du siège apostolique, Pékin a nommé deux évêques, par "élection" du clergé local. Preuve que, pour la Chine, l’accord n’est que peu de chose.
Léon XIV se retrouve donc avec un dossier particulièrement délicat. S’il rompt l’accord, Pékin continuera de nommer des évêques, comme auparavant. Le Vatican a donc plus à perdre qu’à gagner à l’absence d’accord. D’autant qu’il ne dispose d’aucun levier de pression contre Pékin afin de contraindre les autorités chinoises à une entente avec Rome. Si la voie diplomatique est bouchée, l’Église dispose néanmoins d’autres moyens pour faire fléchir Pékin.
Un premier levier : l’information
Le premier moyen est celui de l’information. Si les médias officiels du Vatican restent sobres sur la situation en Chine, d’autres canaux de communication fournissent des informations beaucoup plus approfondies sur la situation des catholiques chinois. C’est le cas notamment des médias des ordres missionnaires. Porter à la connaissance de tous les catholiques et des décideurs économiques et politiques la situation en Chine est un premier moyen de pression, typique de la guerre de l’information.
Le second levier, à plus long terme, est celui de la communication à l’égard des Chinois. La pastorale exercée dans le cadre du tourisme est un moyen de dialogue et d’entente. En présentant le christianisme et l’Église, via les musées et les bâtiments visités en Italie et en Europe, l’Église dispose d’un moyen de communication pour faire connaître la foi chrétienne et la civilisation qui en est issue et donc contribuer à changer le regard que les Chinois peuvent porter sur le christianisme. Si les missionnaires ne peuvent pas venir en Chine, il est possible de toucher les Chinois qui viennent en Europe.
Pas d’objectif politique
Le troisième levier est celui des Occidentaux présents en Chine, que ce soit à titre professionnel ou touristique. Demander la liberté de culte pour qu’ils puissent se rendre librement à la messe est une façon d’introduire plus de liberté religieuse en Chine et un peu de liant dans les relations avec les autorités. S’il est aujourd'hui possible de se rendre à la messe dans les grandes villes, la présence d’Occidentaux y est toujours regardée avec suspicion et méfiance.
Enfin, quatrième levier, rappeler aux autorités que les chrétiens n’ont pas d’objectif politique. Contrairement aux bouddhistes et aux musulmans qui peuvent faire usage de leur religion pour soutenir des autonomismes, voire des indépendantismes (Tibet et Xinjiang), les catholiques n’ont aucune velléité sécessionniste. Lors de son voyage en Mongolie, François avait rappelé que les chrétiens cherchent à être de bons citoyens et à participer à la croissance de leur pays, un message subliminal envoyé à Pékin. Message qui n’a pas encore été reçu.
Le cas de Taïwan
La route est donc encore très longue. Il faudra beaucoup de temps avant que des relations normalisées puisent être établies, d’autant que le Saint-Siège refuse de rompre ses relations diplomatiques avec Taïwan, ce qui est un casus belli pour Pékin. Les marges de manœuvre du Saint-Siège sont plus qu’étroites et Léon XIV doit traiter là un dossier des plus compliqués.
