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Contre “l’aide à mourir”, le cri antivalidiste

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Blanche Streb - publié le 26/05/25
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Ils sont porteurs de handicap et donc hors de la norme "validiste". Notre chroniqueuse Blanche Streb explique pourquoi la proposition de loi sur l’aide à mourir s’inspire d’une logique qui pousse les personnes "éligibles" à se sentir de trop et à vouloir mourir.

Cette semaine, Louis Bouffard était l’invité de l’émission" Face à l’info" de Christine Kelly. "Deux minutes de cri de vie", c’est ainsi que la journaliste qualifiera le vibrant plaidoyer du jeune homme que vous ne devez pas manquer. Cet étudiant, atteint d’une myopathie, était en fauteuil sur son plateau pour témoigner et réagir sur le texte légalisant l’euthanasie et le suicide assisté. Ses mots, aussi calmes qu’habités, ont été accueillis dans le silence. Ce silence particulier que créent ces moments où on sait qu’on touche à quelque chose de fondamental. De vital.

Une violence absolue

Le jeune homme a évoqué sa maladie dégénérative, lui qui n’a que 25 ans. Il a raconté le déchirement de la mort accidentelle de sa maman, suite à une chute de cheval, à l’âge de 44 ans. Et son frère, qui l’a aidé à poser sa main, sa main qu’il ne peut plus commander, sur celle de sa maman, alors dans le coma. Dernier geste par lequel il a pu lui dire tout l’amour d’un fils pour sa mère. En écoutant cela, les autres invités présents n’ont pu cacher leur émotion. Moi qui écris ces mots en ce dimanche de la Fête des mères, je n’en mène pas large non plus.

"Pour ceux qui sont dans la fragilité, ce texte est d’une violence absolue" confie-t-il face aux caméras et à la conscience du monde, à propos de la proposition de loi sur l’aide à mourir. Louis incarne cette parole aussi mystérieuse que puissante : "Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort" (2Co 12, 10).

Inquiétude et colère

Autre lieu. Autre moment. Samedi 25 mai, l’auteur d’Un cœur joyeux (Mame, 2023) est avec d’autres personnalités touchées par le handicap — Jean-Baptiste Hibon, Marie-Caroline Schurr, Magali et Cyril Jeanteur… — et quelques centaines d’autres à Paris, place des Invalides, pour interpeller largement les consciences sur la folie de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale la semaine dernière et qui se poursuivra demain, mardi 27 mai, par ce "vote solennel" attendu autour de cette loi inique qui entend créer "un droit à l’aide à mourir". Ils sont là. "Invalides", aidants… Pas loin de l’Assemblée qui vient de finir d’aggraver le texte, en confirmant par exemple l’introduction d’un "délit d’entrave à l’aide à mourir" que personne au monde n’avait encore imaginé. J’ai mal à ma France.

Devant la menace de cette loi, depuis des mois, des associations, des personnes porteuses de handicap et leurs familles crient. Elles crient leur inquiétude, leur appel au secours, leur désir de justice, leurs combats, leur courage. Elles crient leur dignité, inaltérable, malgré les difficultés et la fragilité. Elles crient leur opposition à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Elles crient leur colère de ne pas être écoutées. Elles crient à qui veut bien l’entendre que NON, l’euthanasie n’est pas une avancée sociale ! Elles crient que cette bien mal-nommée "aide active à mourir" est un symptôme de notre société qui repose sur des représentations "validistes" qui rendent la mort volontaire de certains acceptable pour d’autres.

Le système validiste

Validiste… ce mot, que j’ai entendu pour la première fois l’an dernier, avait eu de prime abord sur moi un effet un peu repoussoir. Encore un mot de plus, m’étais-je dit, dans la famille des "ismes" ou la série des "phobes" qui polluent le débat, par leur simplification des sujets, leur facilité à caricaturer les gens, leur propension à confiner la pensée en un système manichéiste. Mais parce que j’écoute, je lis, j’observe, j’ai compris que ce qu’exprime ce mot est important et que ce qu’il signifie compte pour ceux qui ont "démocratisé" son usage. Il y a quelque chose à entendre. À comprendre. Même si, plus que de validisme, je parle plus volontiers d’eugénisme, consciente qu’un nouvel eugénisme sournois enserre nos sociétés modernes. Mais au fond, les choses se rejoignent.

Pour faire simple, ce qui est mis derrière ce terme de validisme, c’est le système qui fait des personnes valides la norme et l’idéal, créant ainsi des structures de hiérarchisation sociale. Par extension, le validisme produit des dynamiques de discrimination et d’exclusion des personnes porteuses de handicap, quelle que soit leur différence. Derrière cette notion, on peut ranger l’ensemble des discours, modes de pensées, croyances, dispositifs et pratiques qui contribuent à créer les normes de ce que serait un "corps normal", et donc, pleinement humain. Autrement dit, "le validisme classe et hiérarchise la diversité corporelle tout en estimant que des êtres sont incomplets, défaillants ou à réparer, et que leurs vies sont intrinsèquement peu désirables" expliquent des étudiants en master Études sur le genre.

"Toutes les vies ne se valent pas"

Ainsi, les modes de pensée validistes engendrent de l’exclusion et contribuent à ce que certains se déconsidèrent eux-mêmes, se sentant inutiles, moins bien, "de trop", ou comme étant "un poids" pour les autres et la société. Or, "l’histoire nous apprend que les sociétés qui hiérarchisent les vies finissent par justifier leur élimination" comme le rappelle Maître Chloé Surprenant, avocate qui a défendu récemment au Canada une jeune déficiente intellectuelle, lorsqu’un journaliste a ironisé sur le fait que l’aide à mourir serait une solution pour elle…

Finalement, être antivalidiste, c’est refuser toutes les formes d’oppression que peuvent vivre certaines personnes, en fonction de leurs capacités physiques, cognitives ou communicationnelles. Parmi les figures de proue de ces mouvements, on retrouve souvent des femmes, et même des féministes. Parmi elles, l’avocate Elisa Rojas, cofondatrice du collectif Luttes et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE). Dans une conversation qu’elle a accordée au journaliste Pierre Jova pour La Vie, intitulée "Nous sommes obligés de défendre la valeur de nos vies !", elle montre que le texte sur l’aide à mourir relève d’une logique validiste, "puisque les raisonnements s’appuient sur le postulat que toutes les vies ne se valent pas, et qu’il serait donc logique que des personnes malades ou handicapées veuillent mourir". On retrouve aussi la militante Elena Chamorro, devenue paraplégique à la suite d’un accident de voiture, et qui tient un blog. Elle a confié récemment au Figaro que "comme toute personne handicapée", elle "se sent visée par cette loi" : "On sait la piètre valeur que cette société porte à nos vies. Cette loi fera en plus sauter toute prévention du suicide pour les personnes éligibles, déjà vulnérabilisées par les conditions d’existence."

La conscience des députés

Partagé par tant de personnes, ce cri, il ne lui reste que peu de temps pour que les députés le laissent rejoindre leur intelligence, leur cœur, leur conscience. Et leur vote. Mais restons lucides, il y a peu de chance que la raison ait raison de l’idéologie de la mort provoquée et de ses vents contraires. Cette loi a de fortes (mal) chances d’être votée en première lecture mardi. Nous verrons alors une poignée d’hommes et de femmes fanfaronner, sourire aux lèvres, avec le sentiment d’avoir gagné. Gagné quoi ? Une étape, certes. Que l’histoire au temps long, la seule qui vaille, jugera. En tout cas résonnera comme jamais ce soir-là cette phrase de Chesterton : "Rien n’échoue, comme le succès."

En cette veille de vote, gardons alors au cœur ce cri d’amour de Louis à la vie, simple comme bonjour : "Aujourd’hui je veux vous le dire avec force, moi j’aime la vie ! Et ma vie, même fragile est belle !" Merci, Louis.

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