"Je veux qu’on me foute la paix !" Il hurle dans l’église, avec rage. L’homme a 30 ou 40 ans, il a un sac en plastique à la main, et des habits à l’intérieur, sur le dos un sac lourd et usé. "Ça suffit !" Personne n’ose trop s’approcher de lui. Ceux qui prient et ceux qui passent, qui visitent ou se posent sont d’un coup, tous, inquiets. Que veut-il, cet hirsute ? Et s’il était fou ? ou armé ? ou les deux ? Chacun retient son souffle. Pourtant le voici muet maintenant. Il s’est assis, face au Saint Sacrement, dans la chapelle plus tranquille. Il écrit sur un cahier quelques mots que nul ne pourra déchiffrer, sinon Celui auxquels ils sont adressés.
Les seuls lieux où chacun peut entrer
La vie reprend et les bruits de pas, les pièces qui tombent dans le tronc, les murmures et la porte, au groom mal réglé, qui claque au loin. Lui reste, plusieurs minutes, puis d’un bond se lève et repart comme si de rien n’était. Avant de sortir par le portail central grand ouvert, il se retournera et la silhouette enveloppée de soleil, s’adressera comme si de rien n’était, à l’autel et la croix. Il lève alors la main comme pour le dernier salut que l’on fait à l’ami qu’on laisse, avant d’être englouti par le temps suivant. Et dehors, la rue, la foule, le bruit de la vie qui crie.
Nos églises sont aujourd’hui les seuls lieux où chacun peut entrer, sans prendre rendez-vous, sans avoir à se justifier de quoi que ce soit, et sans payer aussi. On peut s’y installer quelques heures ou y passer moins d’une minute, la visiter ou somnoler. Les plus malins y dénichent les prises où brancher leurs portables, d’autres y guettent l’inattention de la dame assise et qui laisse dépasser de son sac un porte-monnaie pas toujours si épais. Quoiqu’on y fasse, de la prière mystique au larcin crapuleux, on y est dans la paix !
Des églises pour tous
« Il semblait que la terre se débarrassait de ses vieux vêtements et revêtait çà et là un blanc manteau d’églises » écrivait le moine Raoul Glaber au début du XIe siècle, contemplant l’incroyable chantier qui de l’Italie à la Gaule restaurait, relevait, élevait des clochers par milliers. L’expression est depuis entrée dans l’histoire, d’autant que les siècles suivants ne furent pas non plus avares de projets. Nous voici héritiers de ce patrimoine immense, précieux et coûteux. Comment donner à ces vastes demeures le rôle qui leur échoit ? Dans une société de plus en plus violente, notamment pour les plus fragiles et les plus humbles, comment ne pas voir qu’il y a là un devoir à ouvrir, à accueillir, à prendre soin ?
Le monde a besoin de paix, chacun de nous, nous en avons besoin.
Les églises ne sont pas là pour ne servir qu’aux seuls baptisés afin qu’ils s’y rassemblent pour célébrer ou qu’ils y quêtent dans la prière le pain quotidien. Elles sont là pour tous. Les nombreux jeunes qui s’y pressèrent lors du dernier carême ne s’y sont pas trompés eux qui voyaient dans les tours, les cloches et les portails, les phares, les appels et les portes dont ils avaient besoin pour essayer d’approcher l’indicible d’une présence espérée.
Le monde a besoin de paix
À l’heure où nous devons supporter des discours qui cherchent à nous faire croire que tout est dangereux, et d’abord l’autre, où d’aucuns veulent nous persuader que la sécurité doit devenir la vertu cardinale de toute existence et de toute patrie, il n’est pas mauvais d’oser ouvrir les portes. Qu’y entrent l’esprit du monde et ses malhonnêtetés, cela est vrai parfois. Mais ce n’est rien au regard du bien que cela produit. L’église est un lieu favorable pour se reconnaître frère, que l’on soit puissant ou faible, au-delà de toutes les distinctions dans lesquelles on nous assigne avec une grande déraison. Les faits divers n’y pourront rien changer. Va-t-on arrêter de prendre le métro parce qu’un pervers y aura agressé ? Cessons-nous d’utiliser nos cartes bancaires au motif que d’autres peuvent les pirater ? La prudence n'est pas le sécuritarisme, qui n’est, lui, que la peur dans laquelle on maintient les peuples pour les rendre dociles.
Le monde a besoin de paix, chacun de nous, nous en avons besoin, intimement. Les églises sont une possibilité pour beaucoup de s’y abreuver un peu de cette paix dont nous savons bien depuis le matin de Pâques, qu’elle n’est véritable que lorsqu’elle s’écoule des mains du Ressuscité et désormais par celles de ses disciples. Sur nos places, à nos carrefours, elles rappellent à chacun que l’homme n’est pas créé pour consommer, qu’il ne se réalise pas dans les hologrammes ou dans les relations virtuelles. Mais que nous sommes faits pour la communion et pour, ainsi, nous unir à Celui qui donne sens.