Les Saint-Anges, un sujet rare. En 1849, trois siècles après le début de la construction de l’église Saint-Sulpice, les murs de la chapelle sud sont toujours nus. La ville de Paris veut redonner de l’âme à cette chapelle un peu abandonnée. Elle fait appel à Eugène Delacroix. Le peintre est réputé, et, s’il ne brille pas par sa dévotion, il a déjà réalisé un certain nombre d’œuvres d’inspiration religieuse remarquées. A titre d’exemple, la Pietà de l’église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement. Le thème retenu pour la chapelle est celui des Saints-Anges. Le sujet n’est pas fréquent. Pour l’illustrer, l’artiste conçoit trois œuvres : Saint Michel terrassant le Dragon au plafond, Héliodore chassé du temple sur le mur de droite, et La Lutte de Jacob avec l'Ange sur le mur de gauche. Cette dernière, achevée en 1861, est considérée comme sa dernière grande œuvre.
Un combat biblique grandiose
Dans la Genèse, le chapitre 32 raconte que le patriarche Jacob affronte, pendant toute une nuit, un homme mystérieux. Jacob est l’un des grands patriarches de l’Ancien Testament, petit-fils d’Abraham et fils d’Isaac. Frère jumeau d’Ésaü, il est connu pour son intelligence rusée, obtenant de son père la bénédiction destinée à son frère. Fuyant la colère d’Ésaü, il part en exil, se marie et devient père de douze fils, les douze fils à l’origine des douze tribus d’Israël.
Mais c’est surtout lors de son retour vers Canaan que sa vie bascule : au bord d’un gué, il lutte toute une nuit contre un homme mystérieux – un ange, ou Dieu lui-même. Il est blessé, mais continue le combat. Vainqueur, il reçoit un nouveau nom : Israël, "celui qui a lutté avec Dieu". Ce nom deviendra celui du peuple élu. De ce récit, Delacroix tire une fresque grandiose. Il parvient à faire ressentir la tension de la scène. La lutte violente n’est pas seulement biblique, il s’agit aussi de d’une lutte spirituelle, celle de Jacob, mais aussi de chaque homme.
Charles Baudelaire, qui était poète et, on le sait moins, critique d’art, écrit à propos de cette œuvre : "L'homme naturel et l'homme surnaturel luttent." Les corps sont en déséquilibre, Jacob se jette en avant, marquant la tension de l’instant. L’homme a abandonné ses vêtements, ne gardant que l’essentiel. Même les armes ont été laissées sur le côté, pour une lutte au corps à corps. Dans le fond s’éloigne la caravane qui conduit les riches présents que Jacob a prévu d’offrir à Ésaü.
Un énorme chantier
Devant l’importance de la tâche, Delacroix va jusqu’à déménager son atelier. Il quitte le quartier de La Nouvelle-Athènes et s’installe place de Furstenberg, place qui accueille toujours le musée qui lui est consacré. Il consacre douze ans. au chantier de Saint-Sulpice. La chapelle est sombre et humide, rongée par le salpêtre. Le peintre met au point une technique novatrice, une peinture à l’encaustique sur un mur préalablement imbibé d’huile et recouvert d’une couche de blanc de céruse.
Au fil des décennies, les peintures sont un peu oubliées, tellement elles sont noircies et peu mises en valeur. Une restauration, menée il y a quelques années, a permis de retrouver les vives couleurs d’origine. On avait même oublié que les teintes utilisées étaient celles du jour qui point, resituant la scène à la toute fin du combat de Jacob et de l’ange.
