Du pape Léon à Philibert Vrau, le catholicisme social n’a pas dit son dernier mot

Lorsque Léon XIV apparaît à la loggia, le 8 mai dernier, son visage est inconnu pour nombre d’entre nous, mais son message est déjà fort. En choisissant ce nom, il inscrit son pontificat à la suite de Léon XIII et de son encyclique Rerum novarum, fondatrice de la pensée sociale de l’Église. Une figure du nord de la France — terre de prédilection et de développement de ce courant — l’incarne pleinement : Philibert Vrau. Un spectacle, créé par une centaine d’étudiants et alumni retrace la vie de cette personnalité inspirante et pleine d’espérance, au message étonnamment actuel. Monté à l’occasion des 150 ans de l’Université catholique de Lille dont il est le fondateur, le spectacle est présenté cette semaine dans la chapelle de l’université où le cœur de Philibert repose. Il rejoindra cet été les jeunes du monde entier réunis à Rome pour le Jubilé.

Au cœur d’une société en pleine mutation, et d’une région vivant au rythme des révolutions industrielles, Philibert Vrau est le pionnier d’un modèle entrepreneurial à la fois social, engagé et profondément chrétien. Animé par la recherche du bien commun, il veut bâtir une société plus juste, plus digne et plus charitable. À la tête d’une entreprise familiale de fil à coudre, il est conscient de sa responsabilité envers ses employés. Suppression du travail de nuit pour les femmes, création d’une société de logements et d’une caisse de chômage pour les ouvriers… Philibert œuvre à la dignité des personnes les plus vulnérables, celles qu’une logique libérale et capitaliste poussée à l’extrême passerait en pertes et profits.

Philibert Vrau manifeste ainsi une grande liberté face à l’argent. Pour lui, l’entreprise n’est pas d’abord un lieu d’enrichissement personnel, mais davantage un lieu d’émancipation, par Dieu et pour Dieu. Il consacre ainsi ses revenus au service des œuvres catholiques qu’il fonde ou encourage. Philibert est avant tout un homme de Dieu : homme de prière, il place l’eucharistie au centre de sa vie et développe l’adoration eucharistique nocturne. Dirigeants, ouvriers, cadres ou artisans… tous ont quelque chose à recevoir du parcours de Philibert Vrau. Son message reste une source d’inspiration pour les entrepreneurs d’aujourd’hui, qui cherchent à concilier innovation, humanité et impact durable.

Sans l’action infatigable de Philibert Vrau, la capitale des Flandres aurait un tout autre visage, et sans doute un rayonnement moindre ! À Lille, son héritage demeure vivant, inscrit dans les murs de celle qu’il voulait faire devenir une "cité sainte". Imaginez le quartier Vauban sans ses facultés catholiques et les milliers d’étudiants qui les fréquentent… Imaginez nos quartiers populaires sans leurs églises paroissiales ou leurs écoles primaires d’enseignement catholique… Imaginez le vieux-Lille sans la basilique Notre-Dame de la Treille !

S’il reste très discret, donnant souvent d’une main anonyme, Philibert Vrau sait aussi se montrer obstiné pour défendre les causes essentielles à ses yeux. Ainsi, avant même la promulgation de la loi relative à la liberté de l’enseignement supérieur en 1875, il se rend à Rome où le pape lui donne sa bénédiction pour fonder l’université catholique de Lille et former des cadres à l’éthos chrétien. L’institution, qui fête cette année son 150e anniversaire, ne semble pas avoir oublié sa genèse. Elle porte auprès de ses 40 000 étudiants une vision où progrès scientifique et recherche du bien commun se rencontrent.

Au fil des générations, chacun a fait mémoire de ce qu’a porté Philibert Vrau. Lors de son retour à Dieu, il y a 120 ans, les fidèles lillois le surnommaient déjà "le saint de Lille". Un procès en béatification a été initié dès 1912 et, malgré les difficultés, a continué d’être soutenu. Philibert a toujours encouragé les fidèles laïcs à prendre leur part de responsabilité dans l’Église et à alimenter la vie ecclésiale par leur prière, leurs actions caritatives, leurs engagements sociaux et politiques. La transmission aurait pu s’essouffler. Mais les étudiants et alumni qui ont créé une fresque musicale et théâtrale à son sujet ne s’y sont pas trompés : la fécondité spirituelle de Philibert Vrau a traversé les siècles. À sa suite, tous se sont engagés, conscients que le projet les dépassait, mais convaincus qu’il pouvait encore parler à leurs contemporains.

Jeune tourmenté devenu entrepreneur ambitieux, le parcours de Philibert invite chacun à questionner sa vocation au cœur du monde, à discerner le sens qu’il veut donner à sa vie. En ce Jubilé de l’Espérance, et à l’aune du pontificat de Léon XIV qui s’ouvre, continuons à nous inspirer de ceux qui, comme Philibert Vrau, ont osé allier foi, engagement et audace, pour répondre aux défis du XXIe siècle. Ensemble, puisons à la source de l’Évangile, ferment du catholicisme social, pour éclairer notre temps et bâtir un monde plus fraternel.