Première nation chrétienne du monde, l'Arménie est encore aujourd'hui composée d'une majorité écrasante de croyants dont la plupart appartiennent à l'Église arménienne apostolique avec 6 millions de fidèles, et pas moins de 400.000 catholiques. Ce pays du petit Caucase a souvent lutté pour conserver son identité chrétienne et traversé de grandes épreuves pour sa survie. La plus violente a laissé ses stigmates, avec le génocide d'au moins 1,5 million d'Arméniens par les Turcs en 1915. Aujourd'hui encore, prise en étau entre la Turquie et l'Azerbaïdjan pour qui elle constitue un obstacle au rêve panturque, l'Arménie compte ses heures de paix. Dans ce contexte de tensions géopolitiques, les catholiques Arméniens comptent sur leur nouveau Pape, Léon XIV, pour les soutenir, explique à Aleteia le père Komitas, prêtre de la paroisse Saint Grégoire de Narek rencontré à Yerevan le 18 mai.
Aleteia : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris l'élection de Robert Francis Prevost comme Pape, le jeudi 8 mai ?
Père Komitas : Je vais peut-être surprendre par ma réponse, mais cela m'était égal. En fait, la chose la plus importante pour moi était d'avoir à nouveau un père à la tête de l'Église catholique. Ce qui est primordial est d'avoir un pasteur, au sens le plus paternel du terme. Je n'avais pas de préférence, l'important n'était pas que ce soit untel ou untel. Je suis heureux d'avoir un "papa" pour notre famille ecclésiastique, et je crois fermement que l'Esprit saint choisit celui qui peut remplir ce rôle. Moi, je ne suis rien, seule la volonté de Dieu compte. Je peux avoir mes préférences bien sûr, mais le regard de Dieu englobe l'univers, Il sait bien mieux que moi celui dont nous avons besoin pour nous guider. Lorsque j'ai vu Léon XIV apparaître à la fenêtre, j'ai senti une grande joie car je me suis dit : "enfin, je ne suis plus orphelin".
Léon XIV hérite d'un monde en grande détresse, qui souffre de la guerre et d'une perte de repères. Il va avoir beaucoup de chantiers sur lesquels travailler…
En tant que prêtre catholique et Arménien, qu'attendez-vous de Léon XIV ? Quels sont les sujets sur lesquels vous aimeriez le voir particulièrement engagé ?
Léon XIV hérite d'un monde en grande détresse, qui souffre de la guerre et d'une perte de repères. Il va avoir beaucoup de chantiers sur lesquels travailler… Mais j'espère que dans cette tâche, particulièrement difficile, il pourra accorder un peu de temps aux plus petits, dont personne ne parle, comme la communauté catholique d'Arménie. Nous sommes peu nombreux, mais nous essayons de vivre notre foi du mieux possible dans un contexte qui n'est pas toujours évident. On parle beaucoup de la guerre en Ukraine ou à Gaza, et à juste titre car ce sont des pays en grande souffrance qui vivent des guerres odieuses. En tant qu'Arménien, j'espère aussi que le Pape parlera plus de l'Arménie et du conflit avec l'Azerbaïdjan. Mais pas que, de l'Afrique aussi : combien de pays endurent des guerres monstrueuses, et même des génocides, dans le plus grand silence ? Le pape François avait déjà entamé ce dialogue avec les plus faibles. J'espère que Léon XIV pourra poursuivre cela tout en se concentrant peut-être aussi sur ceux qui font moins "la une".
Après la perte du Haut-Karabagh pour l'Arménie, un accord de paix avec l'Azerbaïdjan est toujours en négociations. Craignez-vous une nouvelle guerre ? Que feriez-vous dans ce cas ?
Il ne se passe pas une journée sans que je ne prie pour la paix dans ce monde, et encore plus pour mon pays. Que cela se réalise ou pas, c'est autre chose. Peut-être qu'une visite de notre Pape nous redonnerait espoir, car nous vivons dans une forme d'instabilité qui est angoissante. Oui, la crainte de la guerre existe toujours. Notre situation géographique est catastrophique, nous sommes entourés de pays qui ne nous veulent pas du bien. L'accord de paix stagne, on ne voit pas vraiment de lumière au bout du tunnel. Et si la guerre devait de nouveau advenir, que ferais-je ? Je ne sais pas. J'ai eu des opportunités de partir vivre en Italie, mais je suis ici, à la tête de cette paroisse. J'espère que je saurai rester et ne pas fuir. Mais pour le moment, il ne sert à rien de faire des hypothèses. J'essaie de faire de mon mieux, au jour le jour. Toujours avec Dieu, car sans Lui, je ne peux rien faire de bon.
