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Les premiers pas réussis de Léon XIV

Pope Leo XIV delivers the Regina Caeli prayer after a Holy Mass for the Beginning of his Pontificate, in St Peter's square in The Vatican on May 18, 2025.

Messe d'installation de Léon XIV, 18 mai 2025.

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Jean Duchesne - publié le 20/05/25
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Les débuts du nouveau pape sont bien plus provocants et féconds qu’il ne paraît. En centrant son message sur la paix et l’importance de la relation au Christ, analyse l’essayiste Jean Duchesne, Léon XIV prêche un christocentrisme où le Fils de Dieu est l’unique Sauveur.

Jusqu’à présent, le pape Léon XIV peut être crédité d’un "sans-faute". Nul n’a rien trouvé à lui reprocher sur ce qu’il dit et fait (ou pas). Tout le monde admet qu’on ne peut le cataloguer ni "progressiste" (ou "libéral"), ni "conservateur" (ou "traditionaliste"). Personne, en revanche, ne va jusqu’à reconnaître que ces catégorisations sont dépassées, y compris déjà en politique, où le populisme refoulé "à droite" (voire à l’"extrême-droite" infréquentable) attire un électorat sociologiquement présumé "de gauche". Et rares sont ceux qui prennent la peine de déchiffrer les messages du nouveau pape, n’y voyant que de pieuses exhortations qui incommodent d’autant moins qu’elles accompagnent un réalisme sans prétentions sur l’état actuel du monde et sur la mission qu’y ont l’Église et son chef du moment.

La paix du Christ

De fait, les deux thèmes majeurs qui ressortent des premières interventions de Léon XIV sont la paix et l’importance de la relation au Christ. De la part d’un pape, on n’en attend généralement pas moins — ni d’ailleurs tellement plus. Chacun sait que l’actualité est dominée par des guerres (militaires, mais aussi économiques, culturelles et même religieuses), qui causent des injustices, des misères et des souffrances auxquelles on n’ose pas se montrer indifférent. Et on trouve banal que le "grand patron" du catholicisme rappelle que l’institution dont il a la charge ne sert qu’à perpétuer la présence agissante et accueillante de son fondateur.

Si l’on y regarde de plus près, cependant, il apparaît que Léon XIV précise bien que la paix n’est pas platement l’absence objective de conflits, mais une disposition intérieure. Laquelle ne s’obtient pas grâce seulement à des conciliations, voire des compromis, ni unilatéralement par la force de la seule volonté décidée à esquiver les affrontements et à se cuirasser de sérénité. Car il s’agit d’un don de Dieu, à découvrir, demander et partager afin de le recevoir. Ce qui revient finalement à s’ouvrir à Celui — Jésus de Nazareth, crucifié et ressuscité — qui apporte et donne cette paix, laquelle n’a rien d’une quiétude léthargique sans désirs ni renoncements.

Un message moins convenu qu’on ne pense

Les deux axes de cette prédication inaugurale, l’un temporel (la paix sur terre) et l’autre spirituel (la disponibilité personnelle au Christ) convergent donc et n’en font qu’un. Et ça passe très bien. D’abord parce que personne ne se déclare contre la paix : on assure ne faire la guerre que pour se défendre ou pour empêcher des "méchants" de nuire. Ensuite parce qu’il est jugé naturel que le pape parle du Christ, mais on ne relève pas trop, car les croyances sont tenues pour affaires intimes et privées, dont les expressions cultuelles et culturelles ne sont qu’un (et pas le plus décisif) des nombreux paramètres qui interviennent dans la marche du monde.

Léon XIV ne cache pas que la réconciliation requiert le pardon et aussi du courage.

Le message qui ressort de tout cela n’est cependant pas si convenu qu’on se le dit afin de n’être pas dérangé, en classant ce qui est du domaine public dans la case du normal (si ce n’est de l’évident), et en reléguant ce qui pourrait interpeller chacun directement dans la sphère de l’intériorité inviolable et en tout cas non-commentable. Or le Pape risque fort, dans un avenir qui n’est peut-être pas si lointain, de surprendre, décevoir et d’irriter, aussi bien au sein de l’Église qu’en dehors. C’est alors qu’il sera utile de se souvenir de ses premières déclarations, qui portent manifestement sur l’essentiel (à ses yeux du moins) et devraient servir de référence.

La mission dans le monde tel qu’il est

En annonçant qu’il fera tout son possible pour que "les armes se taisent" et en demandant "qu’on se rencontre, qu’on dialogue et qu’on négocie", Léon XIV ne compte pas pour autant que sa parole soit entendue et obéie, comme si elle avait des vertus magiques, ou comme s’il avait des recettes infaillibles. Car il ne cache pas que la réconciliation requiert le pardon et aussi du courage — autrement dit des conversions, dans un contexte où beaucoup "trouvent la foi chrétienne absurde, réservée à des gens faibles et peu intelligents, […] et lui préfèrent d’autres certitudes, comme la technologie, l’argent, le succès, la puissance, le plaisir…".

C’est cet état du monde qui rend urgente l’évangélisation. Elle commence par le recentrage sur leur mission non seulement des successeurs des apôtres et de ceux qui leur sont associés, mais de tous les baptisés qui, dans un tel environnement, "finissent par vivre dans un athéisme de fait". Ce christianisme tout extérieur peut comporter une allégeance à une communauté ou à l’institution ecclésiale, à des valeurs, à une morale, et même à Jésus, "admiré en tant qu’homme", mais "réduit à une sorte de leader charismatique ou de surhomme".

"Christocentrisme"

Le pape prêche donc un "christocentrisme", où le Fils de Dieu fait homme n’est pas la projection d’idéaux tout humains, et bien plutôt le Sauveur : celui qui offre à l’homme ce dont ce dernier ressent le besoin mais qu’il ne peut acquérir ni même concevoir tout seul. Et Jésus n’impose rien, mais dévoile, à travers ce qu’il dit, fait et subit, le secret de la Vie plus forte que la mort, qui est de se donner sans rien garder ni craindre de se perdre. Il propose de se laisser unir à lui et de recevoir son Esprit pour devenir avec lui enfant du Père des cieux.

Cette relation personnelle au Christ, où comme et grâce à lui on se livre à Dieu et aux autres, n’est pas une nouveauté. Les apôtres de Jésus et les premiers martyrs l’ont vécue avant qu’elle soit pensée par les théologiens et les mystiques. Saint Augustin, inspirateur de l’ordre où s’est investi le futur Léon XIV, en a témoigné dans ses Confessions. En dépassant les disputes ecclésiologiques du temps de la Réforme, l’école française du cardinal de Bérulle a permis une renaissance animée par ce qu’on a appelé un "christocentrisme". À l’époque contemporaine, John Henry Newman, Thérèse de Lisieux et Charles de Foucauld, dûment canonisés, ont rendu la spiritualité (c’est-à-dire l’expérience intime d’union au Christ) au moins aussi importante que l’orthodoxie du dogme, les observances formelles et la crédibilité de l’idée de "Dieu".

La seule vraie question

De même, tout juste élu en 1978, saint Jean Paul II a lancé : "N’ayez pas peur ! Ouvrez grandes les portes au Christ." Et sa première encyclique, Redemptor hominis, a explicitement présenté le Christ comme Sauveur (et non gourou, copain ou garant). Le primat ainsi reconnu au salut par le Christ motivera la libération de l’Europe de l’Est et n’enferme donc pas dans une consolante abstraction. L’union au Fils qui a affronté et vaincu la mort oblige au contraire, face au monde tel qu’il est, d’une part à l’engagement, et d’autre part à un réalisme sans désespérance. C’est ce qui fonde sans doute la détermination de Léon XIV à s’employer à fond, sur un plan que l’on peut dire diplomatique, pour mettre fin aux conflits armés. Comme ses prédécesseurs, il misera sur une sagesse qui n’a pas totalement déserté les hommes faits à l’image de leur Créateur, même s’ils l’ont plus ou moins perdu de vue.

Mais l’accent mis sur le Christ comme Sauveur éclaire aussi la façon dont seront traités par le nouveau pape les débats en cours à l’intérieur de l’Église, qu’il s’agisse de l’exercice du pouvoir, de la liturgie, de la place des femmes, de la sexualité, des abus en tout genre ou de la bureaucratie et des finances du Vatican. Quelles que soient les propositions ou revendications, il est à parier que les critères ne seront pas ceux d’une rationalité utilitaire, ni d’une idéologie égalitaire ou élitiste, woke ou anti-woke, mais les réponses à une unique question dans tous les cas : en quoi la mesure envisagée ou réclamée permettrait-elle de mieux reconnaître, accueillir et suivre le Christ comme unique Sauveur ? C’est le genre d’argumentation que les uns et les autres ont intérêt à préparer et avancer. On ne peut que s’en réjouir.

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