Il est des présences silencieuses qui changent un pays. Sainte Thérèse de Lisieux, rappelée à Dieu à 24 ans à la fin du XIXe siècle dans le Carmel de Lisieux, est l’une d’elles. En un peu plus d’un siècle, la jeune carmélite est devenue l’une des saintes les plus populaires de France, objet d’une dévotion intime et profonde. Patronne secondaire du pays, confidente des poilus dans les tranchées, inspiratrice de grands esprits, elle est aujourd’hui encore, discrètement mais sûrement, une force spirituelle à laquelle la France continue de se confier.
La trajectoire de Thérèse étonne par sa rapidité. Elle meurt en 1897, inconnue, dans l’austérité d’un couvent normand. À peine quelques années plus tard, ses écrits, notamment Histoire d’une âme, bouleversent des milliers de lecteurs. Loin des grands discours théologiques, Thérèse y expose avec une sincérité désarmante son chemin vers Dieu : une « petite voie » faite d’abandon, de confiance totale et d’amour dans les moindres gestes. "Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre", écrit-elle. Cette promesse, devenue prophétie, s’incarne dans une multitude de grâces, de conversions, de réconforts rapportés à travers le monde — mais c’est en France que l’on sent le plus l’écho de sa présence.
La star des tranchées
Pendant la Grande Guerre, les poilus découvrent en elle une alliée du quotidien. De nombreuses lettres, carnets et témoignages de soldats racontent comment l’image de Thérèse, portée dans les poches ou cousue dans l’uniforme, devenait une source de paix, un rempart contre la peur, parfois même un secours inespéré dans les moments les plus sombres. On l’invoque avant l’assaut, on lui parle comme à une sœur. Dans les conduits boueux, la carmélite suscite, en effet, une espérance spirituelle "plus forte que l’acier". L’expression est le titre d’un ouvrage qui reproduit de nombreuses lettres envoyées par les Poilus au Carmel de Lisieux. Des lettres que les soldats adressent à Thérèse elle-même ou à la Mère supérieure pour raconter les miracles accomplis par Dieu au milieu de l’horreur des combats, par l’intercession de la future sainte, à qui ils disent toute leur gratitude. Jusqu’à cent lettres arrivent quotidiennement à Lisieux, et dès le 7 septembre 1914. Ceux qui "croyaient au ciel ou qui n’y croyaient pas [l’]ont convoquée pour qu’elle les accompagne au long des quatre années de combats qui s’apparentaient à l’enfer sur Terre." Le cardinal Suhard, dans un hommage aux soldats, dira plus tard : "Dans les tranchées, on priait Thérèse comme on respire, avec une foi instinctive."
Aujourd’hui encore, la France porte sa marque. Des centaines d’églises, chapelles et oratoires lui sont dédiés, de la campagne profonde aux grandes villes. Son nom est inscrit dans la pierre, mais aussi dans le cœur de nombreuses communautés. Les groupes scouts, notamment, placent fréquemment leur troupe sous sa protection. Des patronages, des écoles, des mouvements de jeunes la choisissent comme modèle : une sainteté simple, accessible, lumineuse. On ne compte plus les ouvrages publiés sur sa vie — romans, biographies, méditations, essais — preuve d’un amour toujours renouvelé pour cette âme humble et ardente.
Des amis de tous horizons
L’attrait pour la petite Thérèse dépasse les cercles pieux. Elle fascine des artistes, intellectuels, même athées ou en quête de sens. Paul Claudel, Georges Bernanos, Édith Piaf, François Mitterrand, l'athlète Alain Mimoun et plus récemment des personnalités comme Simone Weil, Yann Moix ou encore Michel Houellebecq ont exprimé leur attachement à sa figure. Sa spiritualité de "la petite voie" — faite de confiance, d’abandon et de gestes simples — résonne au-delà du monde chrétien. Elle offre un antidote à l’angoisse moderne : aimer humblement, chaque jour.
Thérèse n’a jamais donné de leçons : elle a aimé. Profondément, silencieusement, dans la souffrance aussi. Elle incarne une sainteté désarmée, qui ne repose pas sur des exploits visibles, mais sur la confiance absolue en l’Amour de Dieu. Et cette foi brûlante, vécue dans l’ombre, devient étonnamment contagieuse. Dans Histoire d’une âme encore, elle écrit : "Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit… je L’aime ! car Il n’est qu’Amour et Miséricorde !" Cette phrase, simple et bouleversante, a touché bien des cœurs français, lassés parfois d’un Dieu perçu comme lointain ou sévère. Thérèse ramène Dieu à la tendresse, à la proximité, à la confiance — autant de valeurs profondément enracinées dans l’âme chrétienne française.
Une étoile douce dans le ciel français
Le 3 mai 1944, à la veille de la Libération, Pie XII déclare Thérèse de Lisieux patronne secondaire de la France, aux côtés de Jeanne d’Arc. Deux jeunes femmes, l’une guerrière, l’autre mystique, toutes deux engagées dans un combat spirituel pour l’âme du pays. Si Jeanne est la sainte du sursaut et du courage, Thérèse est celle de la consolation et de la fidélité dans l’ordinaire. "Sainte Thérèse a répondu, ces dernières semaines, comme seuls peuvent le faire les grands amis de Dieu, à la confiance que nous mettions en elle en lui attribuant, de concert avec la sainte libératrice de Domrémy, le patronage de votre chère patrie, sous l’égide supérieure de Notre-Dame, dans le mystère de son Assomption", a écrit Pie XII en novembre 1944 au Carmel de Lisieux." Cette délivrance étonnante dont la France a été l’objet est, à n’en pas douter, un de ces coups du Ciel, comme l’histoire en a enregistré plus d’une fois dans cette nation privilégiée pour ses gloires religieuses et sa vocation providentielle." Cette reconnaissance officielle scelle ce que le peuple pressentait déjà : Thérèse est une figure maternelle, une intercession puissante, une source de paix dans les tourments.
Dans une époque marquée par l’inquiétude, l’individualisme et la quête de sens, Thérèse offre une voie de simplicité, de confiance et de lumière. Elle ne cesse de parler au cœur de ceux qui doutent, qui souffrent, qui cherchent à aimer malgré tout. Par sa vie cachée, elle rappelle que la grandeur se joue dans les détails ; par ses écrits, elle révèle que l’amour seul compte ; par sa présence, elle continue de veiller, comme une sœur invisible, sur la France.
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