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Lycée Averroès : le préfet aurait “exagéré la gravité de la situation”

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Lycée Averroès à Lille, septembre 2023.

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Thibault Guillemin - publié le 14/05/25
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Avocat au Barreau de Paris, maître Thibault Guillemin, analyse les motifs du jugement annulant la résiliation du contrat d’association avec l’État du lycée Averroès de Lille. Il s’étonne de la mansuétude surprenante des magistrats, espérant que tout l’enseignement privé sera traité de la même manière. L’État a fait appel de ce jugement.

L’affaire dite du lycée musulman Averroès de Lille a connu un rebondissement comme seule la justice sait les provoquer. En décembre 2023, le préfet du Nord avait pris la décision de résilier le contrat d’association qui liait l’État au lycée Averroès, établissement d’enseignement privé créé en 2003 avec le soutien de l’ex-UOIF (devenue Musulmans de France) et accueillant 450 lycéens. Cela signifiait pour l’établissement l’impossibilité à court terme de poursuivre son activité faute de financements publics. Cette résiliation a d’abord été contestée deux fois devant le tribunal administratif de Lille par la voie d’un référé, en février et juillet 2024. Ces procédures d’urgence se sont soldées par un échec, le juge renvoyant les requérants (association de gestion, représentants du personnel et parents d’élèves) à s’expliquer au fond.

Les juges estiment que le préfet a exagéré la situation

Mais les pouvoirs publics ne s’attendaient sans doute pas à ce que ce même tribunal, statuant en formation collégiale quelques mois plus tard, finisse par donner entièrement raison au lycée, aucun des arguments avancés par l’administration pour résilier le contrat d’association n’ayant trouvé grâce auprès des juges. Pour les magistrats, l’administration a tout faux, sur la forme et sur le fond : le préfet n’a pas respecté la procédure de concertation préalable à la résiliation du contrat d’association. Surtout, pour le tribunal, le représentant de l’État a commis une erreur d’appréciation : qu’il s’agisse de la question de la conformité de l’enseignement dispensé au sein du lycée Averroès aux règles et programmes de l’enseignement public, ou de celles de la soumission de l’établissement au contrôle de l’État, du respect des valeurs de la République, de la gestion budgétaire et administratif de l’association, de son fonctionnement, ou bien de son manque d’apparence et de désintéressement, le préfet a tout simplement exagéré la gravité de la situation. À croire que les services de l’État ont confondu vitesse et précipitation en résiliant à tout prix le contrat d’association de l’établissement…

Le moins que l’on puisse dire est que le jugement, particulièrement motivé, passe au peigne fin tous les aspects du dossier sur 19 pages. Hormis la question très juridique d’une procédure préalable de concertation qui aurait été imparfaitement respectée par le préfet — avec une prise de position du tribunal à notre avis très critiquable sur ce point, puisqu’elle méconnaît le secret d’instruction en matière pénale —, les juges ont minutieusement repris point par point tous les arguments du préfet, dont aucun ne justifiait, d’après eux, la résiliation du contrat d’association. Fermez le ban.

Une mansuétude surprenante

Qu’il soit pourtant permis de s’interroger sur la plupart des motifs du jugement, qui laissent le lecteur sur sa faim : tantôt le tribunal raisonne par l’absurde (certes, l’établissement n’a pas su démontrer, lors d’un contrôle, que les élèves avaient accès à un fonds de ressources numériques suffisamment diversifié, mais l’inventaire qu’il communique devant le tribunal trois années plus tard se révèle, lui, conforme aux attentes de l’Éducation nationale : CQFD !) ; tantôt il apprécie les faits avec une mansuétude surprenante (refuser une seule fois l’accès aux locaux à trois agents de l’académie de Lille "n’est pas d’une gravité telle" (sic) qu’il faille résilier le contrat d’association), voire une crédulité qui interroge (si plusieurs anciens élèves attestent que le fameux ouvrage énonçant des préceptes tels que l’interdiction, pour une femme malade, de se faire ausculter par un homme, ou l’interdiction de la mixité sur le lieu de travail sous peine de mort, n’a jamais été mis à leur disposition, c’est donc que cet ouvrage n’a jamais été diffusé…).

Et puisque le lycée Averroès soutient que son cours d’éthique musulmane vise à "faire émerger un modèle éducatif centré sur la citoyenneté et la responsabilisation de l’élève", en le dotant "d’outils qui contribuent à la formation de son esprit critique", pourquoi la diffusion, dans l’établissement, du commentaire des 40 hadiths de l’imam An-Nawawi qui indique que "l’une des exigences de la foi consiste à ce que le musulman se réfère à la loi de Dieu et rien d’autre, que ce soit en cas de litige ou encore pour régler quelques affaires que ce soit" justifierait-elle la résiliation du contrat d’association ? En définitive, rien n’est grave. À bon entendeur…

L’enseignement privé

Autant d’incompréhensions qui ont conduit les services de l’État à faire appel de ce jugement, pour qu’un nouveau débat ait lieu, tant sur la réalité des constats effectués par ses agents, que sur la gravité des faits. D’évidence, ce qui est jugé concernant l’enseignement privé musulman devra l’être concernant l’enseignement privé en général, qu’il soit confessionnel ou non. Or, il faut souhaiter qu’il n’y ait pas deux poids, deux mesures dans le traitement des établissements, quelle que soit leur confession d’appartenance : ce qui n’est pas grave pour le lycée Averroès le serait-il pour le collège Stanislas, dont la presse s’est à nouveau fait l’écho récemment ?

Certes, l’enseignement privé sous contrat est resté (trop) longtemps en marge de la vigilance des services de l’État, au point de donner à certaines associations de gestion un sentiment d’impunité incompatible avec la prise en charge, par la collectivité, d’une partie de leurs dépenses de fonctionnement. Mais conformément aux principes d’égalité et de laïcité, il appartient aux pouvoirs publics — et singulièrement à l’autorité judiciaire — de veiller à ce que les établissements privés concernés soient traités de manière identique : il y va de la pérennité du modèle du contrat d’association qui, rappelons-le, permet aujourd’hui à deux millions d’élèves d’être scolarisés quotidiennement.

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