Les images les plus marquantes de l’opposition au projet de loi sur la fin de vie resteront sans doute ces photos de militants qui se sont rassemblés, à l’initiative de l’association Alliance VITA, dans une cinquantaine de villes en France le 12 mai pour alerter contre le manque d’accès aux soins et contre la légalisation de l’euthanasie. Des milliers de personnes, couchées à même le sol, revêtues de blouses bleues et munies de pancartes : "On veut des soins, pas l’euthanasie !", ont formé ainsi 46 hôpitaux de fortune. En s’étendant sur le sol, les manifestants ont voulu représenter et porter la voix de tous ceux qui, fragilisés par la maladie, le handicap ou le grand âge, se sentiraient en danger avec cette loi. "Oui à une loi développant les soins palliatifs. Non à une loi légalisant euthanasie et suicide assisté déguisés derrière le masque trompeur de l’aide à mourir", précise Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance VITA. "Soigner, c’est aider à vivre, jusqu’au terme de la vie, c’est soulager et apaiser, sans acharnement thérapeutique ni euthanasie".
Alliance VITA n’est pas la seule association qui alerte les parlementaires. Soulager mais pas tuer, les Associations Familiales Catholiques (AFC), la Fondation Jérôme Lejeune, mais aussi des associations de soignants se mobilisent. La Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP), association qui regroupe les principaux acteurs des soins palliatifs, dénonce une rupture avec l’éthique médicale, le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) s’inquiète des dérives déjà prévisibles, l’Appel des psys, un collectif de psychologues, psychiatres et psychanalystes, s’indigne face à une incohérence majeure : celle de travailler à prévenir le suicide tandis qu’une loi rendrait une mort provoquée légitime, dénonçant un "double discours éthiquement et cliniquement insoutenable, et politiquement incohérent". Quant à l’Académie de Médecine, elle a réitéré le 6 mai 2025 son opposition à l’euthanasie, "au regard de sa forte portée morale et symbolique, mais aussi du fait que les professionnels et membres des associations de l’accompagnement en fin de vie s’y opposent et redoutent cette pratique".
La droite monte au créneau
Samedi 10 mai, deux jours avant l'examen, le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, en campagne pour la présidence du parti Les Républicains, a dénoncé la proposition de loi. Ce texte est "profondément déséquilibré" et "fait sauter tous les verrous. Ce n’est pas un texte d’apaisement, c’est un texte de rupture anthropologique", a-t-il affirmé au Journal du dimanche. "S’il était voté en l’état, il deviendrait plus facile de demander la mort que d’être soigné". Dans l’hémicycle, c’est sur les bancs du Rassemblement national et de la droite que se concentrent la plupart des opposants. Lors de la première journée d’examen ce lundi 12 mai, les députés ont notamment souligné l’ambiguïté des termes choisis, le flou des critères, le caractère expéditif de la procédure, l’absence de collégialité, le manque de contrôle des actes, les risques pour les plus vulnérables et la transgression éthique majeure qu’organise le texte.
L’Etat peut-il être mêlé à la mort d’un tiers ?
Philippe Juvin, médecin anesthésiste-réanimateur et député (LR), a interpellé ses pairs : "L’État peut-il être mêlé à la mort d’un tiers, y compris par la simple autorisation d’un dispositif ? Personnellement je ne le crois pas", a-t-il répondu. "L’impossibilité de donner la mort est un principe absolu", qui ne peut pas donner lieu à des exceptions, a-t-il souligné. Au-delà du rôle de l’État, il interroge aussi le devenir de la société : "Quelle société voulons-nous construire, une société du soin ou une société où la compassion se résumera à fournir la mort sur demande ?", avant de donner trois exemples de personnes éligibles à l’euthanasie selon les critères actuels de la proposition de loi (une personne dialysée, une personne atteinte d’un cancer du sein et un schizophrène), qui peuvent vivre des années : "On ne parle plus de fin de vie : le texte ouvre l'euthanasie à des personnes qui ont potentiellement plusieurs années à vivre", alerte-t-il. "Une maladie terminale n’est pas forcément une maladie en fin de vie", martèle le médecin.
Les évêques haussent le ton
Au sein du clergé, certains évêques n’ont pas hésité à hausser le ton. Le 6 mai, en réponse aux propos d’Emmanuel Macron devant les francs-maçons, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et actuel Président de la Conférence des Évêques de France, a réagi sur X : "Non, Monsieur le Président, le choix de faire mourir et d'aider à se tuer n'est pas celui du moindre mal. C'est celui de la mort tout court", a-t-il déclaré, joignant à sa publication une photo et une citation du pape François : "On ne joue pas avec la vie."
Le 12 mai, Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon, s’est adressé aux députés : "Nous avons besoin de responsables politiques qui aient le courage d’aller à contre-courant ! Comme l’histoire nous l’a maintes fois montré, ouvrir des brèches dans l’interdit de tuer ou banaliser la mort provoquée favorise l’expansion de la violence et encourage une culture de l’indifférence."
Sur les réseaux sociaux, d’autres voix se font entendre. Élisabeth de Courrèges, ergothérapeute à l’hôpital Jeanne Garnier à Paris, fait ainsi part de sa déconvenue : "J’ai 31 ans, aurais-je pu croire que ce métier que je pratique depuis 10 ans de ma vie verrait une grande partie de ses enjeux, qui ont fait leurs preuves au fil des décennies, balayés d’un revers de vote en l’espace de quelques heures ?" Et selon l’avocat et bénévole en soins palliatifs Erwan Le Morhedec, "il n’existe pas de dérives de l’euthanasie. L’euthanasie est une dérive". Ce dernier invite d’ailleurs à signer une pétition contre le projet de loi actuel sur l'aide active à mourir sur la plateforme des pétitions de l'Assemblée nationale. Le vote solennel est prévu le 27 mai, à l’issue de deux semaines de débat qui s’annoncent animées.