"Il va être plus facile d’obtenir l’euthanasie que d’avoir une consultation contre la douleur." Cette simple alerte, rappelée par le professeur Philippe Juvin, médecin anesthésiste-réanimateur et député, devrait à elle seule réveiller notre pays, sur le point de basculer. Dans l’hémicycle ce lundi 12 mai, la funeste, mortifère et mensongère proposition de loi arrive entre les mains des députés. Personne ne peut plus détourner les yeux. Mensongère ? Le pompon revient à cet amendement adopté en commission spéciale, qui clame qu’"est réputée décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir". La mort provoquée, une mort naturelle… ? Ahurissant.
Une marée de mensonges
Vous entendiez parler d’une loi fin de vie ? Sachez qu’elle vient de changer de nom. L’un des derniers amendements adoptés en commission l’a renommé en "loi relative au droit à l’aide à mourir". Une modification destinée à accentuer la notion de droit opposable… Mais derrière cet euphémisme gentillet, c’est bien de l’euthanasie (mort provoquée par une tierce personne) et du suicide assisté (acte par lequel la personne provoque elle-même sa mort) qu’il s’agit, même si les auteurs et défenseurs de ce texte ont toujours refusé d’assumer ces deux mots.
Notons que ce changement de nom, dans cette marée de mensonges, sonne pour une fois assez juste. Il ne s’agit pas de fin de vie. Au fond, il n’a peut-être jamais été question de fin de vie. Mais bien de mettre fin à la vie. Cette loi pourrait concerner en effet des milliers de personnes qui ne sont pas en fin de vie. Car y seraient éligibles les personnes atteintes de maladies chroniques, cancers, diabètes, insuffisances rénales et certains handicaps (y compris liés à un accident). Et cela, avec des délais de mise en œuvre expéditifs. En 48 heures, tout peut être plié. Quand on prend la mesure qu’il s’agit de l’acte le plus irréversible qui soit — la mort de quelqu’un — on a de quoi trembler. Comme on l’espère trembleront les mains et les consciences de nos députés qui vont devoir se positionner et voter d’ici quelques jours.
Une fraternité à l’envers
La personne qui demande l’aide à mourir n’a même pas à le faire par écrit… Puis, le médecin aurait 15 jours maximum pour rendre son avis sur l’éligibilité à la mort provoquée (mais il peut le faire le jour même…). Le patient aurait ensuite au minimum deux jours de réflexion pour confirmer. Deux jours ! Délai qui peut être encore raccourci, à la demande de la personne… Tout cela, sachant qu’il n’y aurait nul besoin de collégialité dans cette décision, l’accord du seul médecin choisi par le patient suffira : celui-ci demandera seulement l’avis à un autre médecin (qui peut s’y opposer, mais sans qu’il n’ait le dernier mot) et à un auxiliaire de santé (sans assurance qu’il ne soit subordonné au médecin principal…). A été adopté un amendement qui précise que "l’avis de tous les professionnels qui interviennent auprès de la personne n’est plus requis". Quant aux éventuels recours de proches ou de soignants, ils risquent d’être impossibles, et même condamnés. Le patient se retrouvera isolé, avec sa décision.
Car la France, qui fait preuve d’une créativité notoire en ce domaine, est en train d’élaborer la pire loi du monde. Elle prévoit "un délit d’entrave" pour condamner à un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende quiconque empêcherait ou tenterait d’empêcher de pratiquer une euthanasie ou d’empêcher une personne de s’informer sur l’aide à mourir. Un proche ne pourrait essayer de sauver celui qui va mal, de même un psychiatre son patient dépressif… Mais on va où ? Dans une fraternité à l’envers… dans une fragilisation de la prévention du suicide, dans une mise à mal de la non-assistance à personne en danger et de la liberté d’expression. C’est lunaire. D’autant qu’un amendement créant un délit d’incitation à l’aide à mourir a lui, été rejeté… On est clairement du côté de la mort. Et non de la vie. De l’irréversible. Et non de l’espoir.
Clause de conscience interdite
Par ailleurs, outre les délais expéditifs, la réalisation de l’acte pourrait avoir lieu dans tous les lieux possibles : y compris dans l’espace public… Pour ceux qui souhaiteraient "mettre en scène" leur mort ? D’ailleurs, dans la loi telle qu’elle est rédigée par la commission, la personne pourrait choisir indifféremment l’euthanasie ou le suicide assisté. Ainsi, même si elle est en capacité d’accomplir elle-même le geste, elle peut exiger qu’autrui le fasse. En créant une égalité d’accès à ces deux actes, on efface leurs différences, à commencer par celle d’imposer à un tiers d’être impliqué directement dans le geste qui tue, avec l’euthanasie. Sur ce point très grave, il faut savoir que tous les soignants n’auraient pas accès à une clause de conscience. Les pharmaciens, notamment, pourtant en première ligne puisque chargés de préparer et de délivrer la substance létale. Contraindre quelqu’un par la loi à poser un acte que sa conscience réprouve. Quelle régression abyssale. Dire que certains osent vendre cette loi comme une loi de progrès !
En réalité, on est bien dans une loi portée par ceux qui se sont mis en marche derrière cette chimère moderne de l’"autodétermination" de l’individu. Pour démonstration, le président Emmanuel Macron a rappelé qu’il était favorable à ce texte devant les francs-maçons la semaine dernière, en les félicitant de porter "cette ambition de faire de l’homme la mesure du monde, le libre acteur de sa vie, de la naissance à la mort". L’homme, la mesure du monde. Voilà bien une formule qui en dit long sur la philosophie qui l’engendre et sur ce qu’elle suscite, inévitablement.
Pas de consensus médical sur le pronostic vital
Venons-en aux contours de cette loi, totalement flous et inopérants d’un point de vue scientifique et médical. Pour bien comprendre, voici les critères qui ont à ce jour été retenus pour "bénéficier" de ce "droit" : "Être atteint d’une affection grave et incurable qu’elle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale." Affection grave et incurable, qu’elle qu’en soit la cause : justement, la liste des pathologies est immense… Qui engage le pronostic vital : ce critère n’est pas robuste. Un pronostic vital peut être engagé sans que cela ne veuille dire qu’il s’agisse d’une fin de vie, et sans que, par ailleurs, la maladie n’aboutisse à la mort. En phase avancée ou terminale : là aussi, c’est très compliqué, même la Haute Autorité de Santé (HAS) qui vient de rendre son Avis sur ce point le confirme : "Il s’avère impossible de définir objectivement un pronostic temporel applicable à toute situation individuelle." Il n’existe pas de consensus médical sur la définition du pronostic vital engagé "à moyen terme", ni sur la notion de "phase avancée" lorsqu’elles sont envisagées dans une approche individuelle. De nombreux paramètres, souvent évolutifs, rentrent en considération. On ne peut pas intégrer la singularité de la personne malade et l’éventuelle progression de la maladie ni les biais subjectifs chez la personne malade (son état émotionnel, l’appréciation de sa qualité de vie, etc.).
Grand flou sur la souffrance et le consentement
Continuons l’examen de la loi : "La personne doit présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement." Voilà un critère encore inopérant, car totalement subjectif, et qui inclut bien sûr la souffrance psychique, pas seulement la douleur physique. Or, dans ce texte, la souffrance est définie "selon la personne". Ainsi, ici, chacun définira lui-même ce critère. Et on parle d’une souffrance ressentie alors même que le patient peut avoir refusé tout traitement pour cela. D’ailleurs, un amendement proposant que "la prise en charge palliative doit être un préalable à l’aide à mourir" a été rejeté par le rapporteur de cette loi, au motif que "ce serait une atteinte aux droits des malades". Proposer de tout faire pour soulager, avant d’euthanasier ne lui semblait pas préférable… On n’est pas surpris. On peut être choqué quand même.
Quant au consentement, là aussi, des flous ne manqueront pas d’arriver. Le texte annonce qu’il faut "être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée". Mais est-on libre quand on souffre, surtout psychiquement, ou quand on peut se sentir un poids pour les autres ? Comment vérifier la liberté des personnes, s’assurer qu’elles ne souffrent d’aucune pression, à commencer par celle de la société qui les regardera comme des personnes éligibles à ce droit ? Comment éviter que ce prétendu droit à mourir ne devienne un devoir de mourir ? "L’ouverture à tous d’un droit de mourir sous condition peut retirer à certains celui de ne pas y penser" écrivait dans La Vie avec pertinence le professeur de philosophie Julien Auriach.
"Le pied dans la porte"
Il faut savoir que la Commission spéciale a rejeté de nombreux amendements restrictifs, et cela est très révélateur : celui demandant qu’un psychologue s’assure que le demandeur ne fasse l’objet d’aucune pression, celui qu’un médecin vérifie que le discernement du demandeur n’est pas altéré, et même celui qui visait à écarter de ce "droit" les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle. "Lorsqu’il a des doutes sur le caractère libre et éclairé de l’expression de la demande du patient, le médecin saisit un psychiatre" : amendement rejeté. Voilà. C.Q.F.D.
Certes, le rapporteur de ce texte, Olivier Falorni, prétend avoir défendu un "équilibre" du texte. En refusant que ne soient concernés les mineurs ou que la demande de mort puisse être inscrite dans les directives anticipées, par exemple. C’est certainement tactique, pour faire passer la pilule. Mais ne soyons pas dupes, cela pourra venir plus tard. Le tout est de "mettre le pied dans la porte" comme l’explique froidement et sans fard l’ancien député Jean-Louis Touraine, franc-maçon affiché, fervent promoteur depuis des décennies de l’euthanasie pour tous, y compris pour les nouveau-nés, lui qui dès 2018 expliquait dans les colonnes de La Vie : "Il ne faut pas tout faire tout de suite, mais procéder par étapes, d’abord questionner les adultes en capacité de donner un avis, puis envisager ultérieurement le cas des grands prématurés, par exemple." Depuis quelques jours, une vidéo de 2024 où il s’exprime librement fait le buzz. "Une fois qu’on aura mis le pied dans la porte, dit-il, il faudra revenir tous les ans, et dire qu’on veut étendre ce droit. […] Dès qu’on aura une loi pour Charcot, certaines formes de cancers généralisés, on pourra étendre." Dans sa ligne de mire : les mineurs, les malades d’Alzheimer… Je le disais, une loi mortifère.
Une société transformée
On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Tout est sous nos yeux. Si on veut bien les ouvrir. Cette loi ne concernerait pas quelques-uns, loin de nous, mais bien tout un chacun. C’est la société qu’elle transformerait. C’est tout le regard sur la fragilité et la vulnérabilité humaine. C’est toute la confiance soignants-soignés. N’ayons aucun doute là-dessus. "Si l’on veut répondre à la souffrance présente, il faut aussi envisager celle des patients à venir, de ceux qui auraient à vivre les conséquences d’une euthanasie qui n’est pour l’heure qu’un projet. Ces restrictions insidieuses de la liberté amenées par l’amincissement des interdits qui la gardent, il nous faut bien les prévoir" alerte Julien Auriach. Rassurons-nous, ou pas, une commission de contrôle sera mise en place. Mais les contrôles se feront… a posteriori. C’est-à-dire, après la mort de la personne. Au moins là, pas de risque d’entrave… Mais quelle folie ! Comme l’a très bien résumé Erwan Le Morhedec, avocat et bénévole en soins palliatifs, "il n’existe pas de dérives de l’euthanasie. L’euthanasie est une dérive". Ce lundi 12 mai, l’association Alliance VITA invite les Français à se mobiliser dans une cinquantaine de villes sous cet appel pressant, plein de bon sens : "On veut des soins, pas l’euthanasie." Il est encore temps de faire entendre sa voix, et aussi d’écrire à son député.
