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Une ligne de tissu en wax du Bénin pour honorer la Sainte Tunique

Hermine et ses créations à la Mercerie de la Basilique.

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Pierre Téqui - publié le 11/05/25
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Très populaire en Afrique de l’Ouest, le wax est un textile très présent dans les paroisses catholiques, où il habite les temps liturgiques. En France, le musée de l’Homme lui consacre une exposition, et à Argenteuil, l’historien d’art Pierre Téqui a rencontré Hermine, créatrice béninoise d’une ligne de vêtements qui honore la Sainte Tunique du Christ.

Pourquoi se rendre à Argenteuil ? "Peut-être que, pour mieux croire, j’ai besoin de toucher", confiait récemment le père Guy-Emmanuel Cariot à Aleteia. Toucher, oui — fût-ce un simple pan de tissu. Après tout, n’est-ce pas dans ce geste humble qu’une femme, croisant Jésus, plaça toute sa foi ? "Si seulement je touche son manteau, je serai sauvée" (Mt 9, 21). Et puis, avant même de rentrer dans la basilique, à quelques mètres de la tunique du Christ, mon regard a été attiré par une vitrine colorée, tout entière consacrée à l’événement. Je suis entré au 145 de la rue Paul Vaillant-Couturier, et j’ai rencontré Hermine. Depuis 2016, Hermine tient La Mercerie de la basilique, boutique de couture et de retouche. À l’occasion de cette ostension, elle a voulu poser un geste fort, enraciné dans sa double identité de couturière d’origine béninoise et de catholique : Hermine a conçu tout une ligne de vêtement en wax. Savez-vous ce que c’est ? C’est un tissu en coton imprimé aux motifs colorés, très répandu en Afrique de l’Ouest et centrale. 

"C’est la première fois que je fais faire un wax pour un événement. Mais l’ostension de la Tunique, c’est quelque chose." Pour cela, Hermine a anticipé, six mois à l’avance. "J’ai commandé le tissu chez moi au Bénin. C’est moi qui ai eu l’idée du logo. Ce n’est pas le logo officiel, j’ai rajouté la basilique." Le motif final, imprimé localement par un fournisseur de confiance, a été produit en grande quantité : "J’ai commandé deux balles de tissu, soit 100 pièces de 12 mètres — ça fait plus d’un kilomètre de wax en hommage à la Sainte Tunique !"

À son arrivée en France, le tissu est devenu matière de création : « J’ai fait des chemises pour hommes, des robes, des tabliers, des écharpes, des bonnets, des trousses, des éventails. Et j’ai aussi fait des porte-clés avec le logo. » Toujours fidèle à sa vocation de couturière paroissiale, Hermine a également confectionné vingt-trois aubes pour les enfants de chœur. Finalement c’est toute la vitrine de la boutique qui a été transformée à l’occasion de l’ostension : toute une ligne de vêtements dédiée au Christ et à sa relique vénérée. "Et les gens qui vous achètent ces vêtements viennent du Benin ? — Non, non, ils viennent de partout, pas seulement du Bénin."

À côté des créations d’Hermine, le "logo officiel" de l’ostension se retrouve sur les chasubles portées par l’armée de bénévoles souriants qui accueillent les pèlerins ainsi que sur les bougies proposées à la prière. Il orne également des mugs et des tote bags, autant de souvenirs que l’on peut emporter chez soi, autant d’objets qui permettent de garder trace d’un contact, d’un passage, d’une présence.

Le désir de garder une trace

Ces images réduites à un signe qui décorent des objets relevant du quotidien nous ramènent à des gestes très anciens que nous partageons avec les tout premiers chrétiens. Les pèlerins des premiers siècles aimaient eux aussi à rapporter un signe tangible de leur passage. C’est ce que rappelle l’histoire des fameuses "ampoules à eulogie". Il s’agissait de petites fioles en terre cuite, simples et bon marché. Elles pouvaient contenir l’huile des lampes votives ou même un peu de sable sanctifiée par la présence des reliques des saints. Ces ampoules, diffusées dès le IVe siècle, offraient un substitut à la relique : un objet humble, mais porteur d’une grâce car porteur du souvenir d’un contact. 

De la petite gourde d’argile du IVe siècle au mug d’Argenteuil, il s’est écoulé plus de quinze siècles — et pourtant, les gestes sont restés les mêmes. Depuis ses origines, notre foi, qui est aussi une religion de l’incarnation, a suscité ce besoin d’objets concrets. Le désir, profondément humain, de garder une trace, de toucher ce qui a été sanctifié, de rapporter chez soi un fragment de ce qui fut béni. Les tote bags, les bougies ou les textiles de la Sainte Tunique prolongent cette tradition millénaire : celle d’une foi qui se transmet aussi par les mains et par les choses.

Un textile qui dit l’amour du Christ

Et puis en découvrant la vitrine d’Hermine j’ai repensé à une autre rencontre. Quelques mois plus tôt, en février, j’étais allé visiter l’exposition du musée de l’Homme consacrée au wax. Depuis longtemps, le wax s’est invité dans les paroisses catholiques d’Afrique. Vêtements de fêtes, tissus de pèlerinage, pagnes funéraires ou aubes d’ordination : le wax épouse les temps liturgiques. À Cotonou comme à Abidjan, à Dakar comme dans certaines paroisses de France, les fidèles participent à la messe en wax. Le tissu devient le signe visible d’une foi incarnée. Ainsi, sur un coupon exposé au musée, on découvre l’effigie du pape Jean-Paul II, entourée des armes pontificales et de figures de clercs béninois. Ce tissu a été réalisé à l’occasion de son second voyage au Bénin, en 1993. Le tissu devient ici bannière et le vêtement icône. C’est un textile qui dit l’amour du Christ et l’attachement du peuple à son Église.

L’exposition du musée de l’Homme retrace la généalogie singulière du wax et en explore les origines industrielles, tout en mettant en lumière la manière dont les sociétés africaines se le sont approprié, jusqu’à en faire un véritable langage visuel : chaque motif y porte un nom, une mémoire, un message. Car le wax n’est ni tout à fait africain, ni tout à fait européen, ni tout à fait asiatique — il est tout cela à la fois. Ce tissu à double face, imprimé à la cire (d’où son nom anglais), puise ses racines dans les batiks traditionnels d’Indonésie. À la fin du XIXe siècle, des entrepreneurs néerlandais en tentèrent la fabrication industrielle pour le marché asiatique, sans succès. C’est finalement en Afrique de l’Ouest que le wax trouva son ancrage et devint un tissu d’identité, porté lors des grandes étapes de la vie — naissances, mariages, deuils — et devenu un langage social. Pendant la pandémie, on en fit même des masques de protection qui évangélisaient

Revêtir le Christ

Matière emblématique, le wax dialogue avec la création contemporaine. Au musée de l’Homme, les œuvres de l’artiste Gombo hybrident les motifs du wax avec des figures religieuses comme celle de saint Maurice qu’il représente avec un masque gelede. 

Tonia Nneji (Née dans l’état d’Imo, Nigeria, Vit et travaille au Nigéria So Many Before Me (détail), Huile et acrylique sur toile Paris, collection privée.

On y admire aussi So Many Before Me, peinture de l’artiste nigériane Tonia Nneji. Sur une grande toile apparaît des robes et jupes en wax issus des vêtements portés par les femmes de son enfance — des motifs imprimés pour des congrégations religieuses. Ici c’est une femme revêtue d’une longue robe bleu ornée d’une figure du Bon Pasteur, emblème de l’Église apostolique du Nigeria en territoire d’Igboland. Sa mère, raconte Tonia Nneji, avait dû vendre ses tissus pour financer ses soins médicaux. Ce geste est devenu pour elle un symbole intime, tissé dans les corps et les épreuves, un signe de prière autant que de lutte, qui dit aussi le rôle discret mais essentiel de ces communautés dans le soin. Tonia Nneji explore la condition féminine, les douleurs invisibles, les maladies ignorées, les silences transmis. Mais elle le fait sans plainte ni désespoir. Car dans ces étoffes et dans le geste même de peindre, se manifeste une mémoire de consolation. Le wax devient alors icône de dignité, langage de résistance et promesse d’espérance.

Le Christ nous a-t-il seulement laissé sa tunique ? Non, bien sûr. Mais cette tunique, transmise et vénérée, dit quelque chose de notre foi : une foi qui touche, garde, coud, bénit. Saint Paul écrit : "Vous avez revêtu le Christ." Revêtir le Christ, c’est croire — comme l’hémorroïsse — qu’un pan de son vêtement peut suffire à nous sauver. C’est accueillir sa grâce comme on endosse un habit, humblement, pleinement. Les étoffes d’Hermine, les tote bags d’Argenteuil, les tissus qu’on porte à la messe ou les vieilles ampoules à eulogie : tout cela forme le tissu concret d’une foi incarnée. Un art de croire à hauteur d’homme, fait de gestes simples. Un fil discret, mais solide, qui relie nos mains au mystère.

Pratique :

L’exposition « wax » se visite au musée de l’Homme, à Paris, tous les jours, sauf le mardi jusqu’au 7 septembre 2025.

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