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Réparer l’Église avec sainte Catherine de Sienne

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Ambroise Tournyol du Clos - publié le 11/05/25
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En pleine tempête, au bord du schisme, l’Église dut peut-être son salut au XIVe siècle à une modeste tertiaire dominicaine qui n’hésitait à admonester le pape et le protéger de ses adversaires. Pour l’historien Ambroise Tournyol du Clos, les leçons de Catherine, docteur de l’Église et copatronne de l’Europe, sonnent sûrement à l’oreille de Léon XIV.

Plus exotique que Thérèse de Lisieux, plus fugace que Thérèse d’Avila, moins épique que Jeanne d’Arc, Catherine de Sienne (1347-1380) est restée dans l’ombre de l’histoire de l’Église. Elle mérite pourtant de figurer au premier plan des grandes figures du catholicisme. Passionnément amoureuse du Christ, elle s’est laissée configurer à Lui, 33 ans durant, et a consacré toutes ses forces à réparer l’Église, alors en plein schisme, comme à réconcilier les cités italiennes plongées dans des guerres sans fin et confrontées au drame de la Peste noire. A-t-elle encore quelque chose à dire à notre époque ? Que peut-elle souffler à l’oreille des fidèles d’aujourd’hui et du nouveau pape Léon XIV ?

Un mariage mystique

Née à Sienne en 1347, Catherine est d’abord une grande figure mystique. Son biographe, Raymond de Capoue, qui fut aussi son directeur spirituel et son premier disciple, rapporte des apparitions dès l’âge de six ou sept ans. Entouré des saints Pierre, Paul et Jean, Jésus, assis sur un trône et vêtu comme un pape, lui aurait demandé : "Qu’attends-tu pour me suivre ?" Elle a ainsi très tôt conscience que l’autorité pontificale est fondamentale pour l’Église. En 1362, alors qu’elle a quinze ans, la perte de sa sœur aînée, Bonaventura, morte en couches, est l’occasion d’une conversion radicale. Catherine fait vœu de rester vierge et s’oppose énergiquement au projet de mariage que ses parents lui destinent. En 1365, elle entre dans une confrérie féminine de pénitentes, les mantellate, gravitant dans l’orbite du couvent dominicain de Sienne. Multipliant les guérisons miraculeuses, la mantellata siennoise jouit bientôt dans sa ville d’une réputation de sainteté et d’un charisme prophétique. 

Catherine dort très peu, se nourrit de légumes crus, et communie chaque jour à la messe en un temps où l’eucharistie est réservée aux dimanches et aux grandes fêtes liturgiques. L’identification au Christ se traduit même par un mariage mystique qui aurait eu lieu vers 1367. Alors qu’elle jeûne un Mardi gras, Catherine reçoit du Christ un anneau nuptial invisible à la main droite et l’entend dire : "Je veux désormais t’épouser dans la foi." Le 1er avril 1375, dimanche des Rameaux, dans l’église Sainte Christine de Pise, Catherine reçoit les stigmates, comme François d’Assise, un siècle et demi plus tôt. Ces cinq plaies invisibles forment "le sceau surnaturel qui authentifie sa mission historique", analyse l’historien André Vauchez (Catherine de Sienne. Vies et passions, Cerf, 2015). 

Primauté de la contemplation

Ces grâces se multiplient, mais loin de replier Catherine sur elle-même, dans un piétisme confortable, elles l’enjoignent à se mêler sans crainte des affaires du monde. La contemplation fonde son action missionnaire. Outre le soin des malades et des prisonniers, Catherine fait office de paciaire dans sa cité. Elle s’efforce de rétablir la concorde entre familles rivales et parvient à faire taire des haines tenaces. Son charisme lui suscite peu à peu une famiglia spirituelle, d’hommes et de femmes qui constituent de véritables disciples : les caterinati gravitent autour de celle qu’ils considèrent comme leur mamma. Il n’y a donc pas de réforme sans conversion. Si les cardinaux veulent réparer l’Église, ils ne pourront y parvenir qu’en commençant par contempler le Christ. 

Servir l’Église

Les priorités de Catherine de Sienne sont la réforme de l’Église et l’organisation d’une nouvelle croisade contre les Infidèles, dans une double perspective de conversion et d’évangélisation. Mais l’une et l’autre supposent le retour du pape à Rome. Depuis 1305 en effet, les sept papes qui se sont succédé sont français et ont élu résidence à Avignon. Catherine veut à tout prix faire revenir le pape Grégoire XI (1371-1378) à Rome et le réconcilier avec la ville de Florence, alors frappée d’interdit. Elle dicte de nombreux courriers diplomatiques à son secrétaire, elle qui ne sait pas écrire. En juin 1376, accompagnée de sa famiglia, elle se rend à Avignon, où elle est reçue par le pape. Si le souverain pontife quitte Avignon pour Rome le 13 septembre 1376, c’est moins sous la pression de Catherine que par crainte de perdre son domaine temporel en Italie centrale. Sa décision était déjà prise depuis un certain temps. Ces déconvenues n’entament pas l’immense respect que Catherine de Sienne voue au pape, qu’elle désigne comme le "Christ de la terre". Mais elle ne mâche pas non plus ses mots et s’adresse avec vigueur au successeur de Pierre : "Le Christ se plaint que l’Église ne soit pas purifiée de ses péchés et que Votre Sainteté ne s’attelle pas à cette tâche avec toute la sollicitude requise."

Mariage mystique de Sainte Catherine de Sienne, Clemente de Torres , v. 1700.

Une véritable croisade contre l’antipape

Pourtant, une nouvelle tempête s’abat sur l’Église dès le mois de septembre 1378 : c’est le début du Grand Schisme. En conflit avec le nouveau pontife, violent et autoritaire, les cardinaux réunissent un nouveau conclave près de Naples et élisent un antipape, Clément VII. À la demande d’Urbain VI, Catherine de Sienne s’installe à Rome le 20 novembre 1378 et exhorte les cardinaux à rester fidèles au pape légitime. Elle se lance dans une véritable croisade contre l’antipape qu’elle qualifie de "démon" et assimile à l’Antéchrist. 

Fin avril 1379, Clément VII est contraint de quitter l’Italie et de se replier sur Avignon. Conforté dans ses positions, le pape Urbain VI est cependant loin de partager les vues de Catherine sur l’Église. Au lieu de choisir des hommes de Dieu, il reconstitue le collège cardinalice en fonction de calculs politiques. Catherine le lui reproche vertement dans sa correspondance, mais sans succès, et choisit finalement de s’offrir elle-même en sacrifice pour le salut de l’Église, refusant de s’alimenter et de boire. Après avoir reçu les derniers sacrements, crié "Le sang ! Le sang !" et imploré sur elle la miséricorde divine, Catherine meurt le 25 avril 1380. 

Quelles leçons pour aujourd’hui ? 

Comme souvent en histoire, tout semble nous séparer du siècle de Catherine de Sienne, et tout nous y ramène aussi : les divisions politiques, la crise de l’Église, les enjeux de l’évangélisation. Que retenir d’une figure si étonnante ? D’abord, qu’aucune réforme de l’Église ne peut faire l’économie de la sainteté : ce sont les saints qui transforment l’Église, aujourd’hui comme hier. Configurés au Christ, ils puisent en Lui et non dans quelque doctrine politique extérieure, les ressources dont l’Église a besoin. Ensuite, que la mystique n’exclut ni la charité ni l’action politique. "Amour et vérité se rencontrent, Justice et paix s’embrassent" chante le psalmiste (Ps 84). Loin de s’être coupée du monde, Catherine de Sienne a reçu dans son mariage mystique avec le Christ la grâce de son ministère courageux auprès des pauvres et des mourants comme de ses audaces politiques. Enfin, que les victoires spirituelles se traduisent souvent par des échecs temporels. La logique de l’Église est celle de la Croix, un apparent échec qui sauve les hommes. La réparation de l’Église n’est pas d’abord un projet politique et institutionnel. C’est un exercice spirituel dans lequel, comme le sait bien le nouveau pape, fils d’Augustin, les deux Cités se côtoient. La logique de l’Église est celle de la Croix, un apparent échec qui sauve les hommes, et de l’Espérance, un "désespoir surmonté" (Bernanos).

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