PAPE LÉON XIV
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Peu après 16h, ce samedi 10 mai, le pape Léon XIV s’est rendu en visite privée au sanctuaire marial de Genazzano, à une cinquantaine de kilomètres de Rome. Mais c’était un retour, non une première visite. Le 25 avril 2023, à l’occasion de la fête de la Venuta, il y était venu en pèlerin, lorsqu’il était cardinal, pour prier devant l’icône. Un an plus tard, devenu pape, il revient dans la discrétion, fidèle à cette dévotion qu’il partage avec toute la famille augustinienne.
Ce geste dit l’héritage qu’il entend pleinement assumer : Genazzano est une maison des Augustins, l’Ordre auquel appartenait Léon XIV avant son élection. Mais c’est aussi le lieu d’une image vénérée par un autre Léon : Léon XIII, grand promoteur de cette dévotion.
Une icône venue d’Albanie
L’histoire de Notre-Dame du Bon Conseil tient du miracle autant que du merveilleux médiéval. Selon la tradition, l’image était à l’origine une fresque vénérée à Scutari, en Albanie. En 1467, alors que la ville menaçait de tomber aux mains des Ottomans, l’icône se serait détachée du mur et, portée par une nuée lumineuse, aurait traversé la mer jusqu’à Genazzano, où elle serait apparue dans une église en ruine. La tradition fixe cet événement au 25 avril, jour de la saint Marc. Deux pèlerins albanais, arrivés peu après, auraient reconnu l’image disparue de leur sanctuaire.
L’église, dédiée à la Vierge depuis le XIᵉ siècle, était alors en ruines. Une veuve âgée, Petruccia, tertiaire augustinienne, avait entrepris sa restauration avec ses propres biens, au mépris des moqueries. Elle aurait alors prophétisé que "la Sainte Vierge et saint Augustin achèveraient l’œuvre". L’arrivée de l’icône fut perçue comme l’accomplissement de cette promesse. Rapidement, les pèlerins affluèrent, les dons permirent d’achever l’édifice, et les récits de grâces se multiplièrent.
Une Vierge suspendue, un regard intérieur
Aujourd’hui encore, l’image est conservée au-dessus du maître-autel, dans une chapelle latérale baroque. Haute de 40 cm, elle montre Marie penchée vers l’Enfant Jésus ; leurs fronts se frôlent dans une intimité silencieuse. On y lit la douceur, mais aussi la méditation. C’est une Vierge du conseil, du discernement, de la consolation intérieure. La tradition veut que cette fresque soit littéralement "suspendue", sans ancrage visible. Des constats anciens et récents évoquent l’absence d’adhérence totale entre l’image et le mur — un phénomène non élucidé mais intégré au langage dévotionnel du sanctuaire. Plus récemment, une étude scientifique parue en 2023 a confirmé l’ancienneté de la technique, la fragilité des couches d’enduit, et l’usage de pigments traditionnels dans une facture probablement antérieure au XVe siècle.
Sur le plan iconographique, cette fresque s’inscrit dans la tradition byzantine de la Glykophilousa, la "Douce embrassante", variante de l’Eleousa, ou Vierge de tendresse. Le Christ et sa Mère se touchent la joue, dans une étreinte silencieuse. Ce geste, d’apparence enfantine, porte une gravité intérieure : Marie semble deviner le mystère de la Passion, et l’amour devient ici déjà souffrance partagée. C’est une icône de la tendresse grave, de la miséricorde silencieuse, de l’intimité qui sait.
Un cœur augustinien
Confié à l’Ordre de Saint-Augustin depuis le XIVᵉ siècle, le sanctuaire prolonge cette mémoire dans la prière. Le vocable Mater Boni Consilii — Mère du Bon Conseil — exprime une piété typiquement augustinienne : celle de la lumière intérieure, du discernement des esprits, de l’écoute du cœur. Pour Augustin, la sagesse ne réside pas dans le savoir, mais dans la transformation intérieure opérée par la grâce. Marie, dans ce contexte, devient guide, présence, conseil.
Le pape Léon XIV, ancien religieux augustinien, a voulu rendre visible cette filiation spirituelle. Sur son blason, dévoilé au lendemain de son élection, figurent à la fois une fleur de lys mariale et le Sacré-Cœur transpercé sur une Bible : emblème de son ordre, mais aussi programme de son pontificat, placé sous le signe de l’amour du Christ, de la Parole de Dieu, et du discernement fidèle.
La dévotion de Léon XIII
En cela, Léon XIV s’inscrit dans les pas d’un autre Léon : Léon XIII, pape de la doctrine sociale mais aussi des dévotions profondes. Il promut le culte de Notre-Dame du Bon Conseil à plusieurs reprises. En 1903, peu avant sa mort, il éleva l’église de Genazzano au rang de basilique mineure. Il alla même jusqu’à faire inscrire l’invocation Mater Boni Consilii, ora pro nobis dans les Litanies de Lorette. Léon XIII invoquait souvent cette figure mariale comme source de lumière pour guider l’Église dans un monde en mutation.
Un geste marial, à l’école de François
Ce déplacement du pape Léon XIV rappelle une autre habitude papale : celle de François, qui priait systématiquement devant l’icône Salus Populi Romani à Sainte-Marie-Majeure, avant et après chaque voyage. Mais le déplacement du pape Léon XIV à Genazzano s’inscrit dans la suite d’un autre geste marial : au soir même de son élection, lors de sa première apparition au balcon de la basilique Saint-Pierre, le nouveau pape a tenu à prier publiquement la Vierge Marie.
Après avoir remercié le pape François pour sa bénédiction au monde, il a conclu son homélie inaugurale par ces mots : "Aujourd’hui c’est le jour de la supplication à notre Dame de Pompéi. Notre mère Marie veut toujours marcher avec nous, être proche, nous aider dans son intercession, son amour. Alors je voudrais prier avec vous…" — et il fit réciter un Je vous salue Marie à la foule rassemblée. C’est cette même fidélité mariale qu’il est venu renouveler à Genazzano. Et peut-être déjà l’esquisse d’un programme : inaugurer un pontificat placé sous le signe de l’écoute, de l’humilité et de la lumière reçue dans la prière. Gouverner en priant, discerner dans le silence, avancer aux côtés de Marie.

