PAPE LÉON XIV
Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter quotidienne.
On ne juge pas un pape sur ses déclarations antérieures à son élection, et on ne juge pas un pontificat sur les seules déclarations des premiers jours. Mais il y a des signes qui ne trompent pas, et, comme l’a souligné un cardinal ayant dîné avec le nouveau pape le soir même de son élection, "son nom est son programme". Évidemment, on peut penser à Léon le Grand, mais tout indique que c’est aussi à Léon XIII qu’a pensé Léon XIV.
Ne pas déserter le terrain politique
Beaucoup a été dit à ce sujet, mais avec bien des approximations. Pour nous Français, Léon XIII, c’est le pape du Ralliement ; pour tous, c’est le fondateur de la doctrine sociale. Le long pontificat de Léon XIII est bien plus riche que cela, mais, même si on s’en tient à ces deux éléments, on peut en tirer bien des enseignements.
Le Ralliement à la République n’était pas un choix idéologique ou politique. La République était devenue une réalité et les perspectives de restauration monarchique s’éloignaient ; or beaucoup de catholiques, attachés à la monarchie, s’étaient mis en dehors de la vie politique, laissant la place aux anticléricaux les plus durs. Le Ralliement ne voulait pas dire que les catholiques devaient obligatoirement devenir républicains, mais que la République étant une réalité, ils ne pouvaient déserter le terrain politique et laisser la place aux seuls adversaires de l’Église. C’est un choix réaliste, dans des circonstances précises. Les catholiques ne doivent déserter la chose publique, telle qu’elle est à un moment donné, et ils doivent œuvrer, là où ils sont, au bien commun.
Le porte-parole des sans-voix
Si l’on quitte le seul cas français, Léon XIII, c’est surtout avec Rerum novarum, encyclique de 1891, le pape de la question sociale, le fondateur de la doctrine sociale de l’Église. La révolution industrielle a créé la "question sociale", celle du sort dramatique des ouvriers. L’Église, sensible au sort des plus pauvres, devait, au plus haut niveau, faire entendre sa voix, face à des conditions sociales dramatiques et à la disparition des anciennes structures protectrices, les corporations. Bien sûr, l’Église avait depuis toujours appelé les catholiques à la charité, mais on sentait bien que cela ne pouvait suffire. Or d’autres courants, essentiellement le marxisme, apportaient une analyse, la lutte des classes, et une solution, le collectivisme.
C’est là que s’exprime tout le génie de Léon XIII : dénoncer, avec force, les injustices et la misère ouvrière, mais aussi dénoncer les fausses solutions, conserver ce qui était conforme au droit naturel et réformer ce qui devait l’être. Ces quatre points sont indissociables. La dénonciation des injustices fait partie du rôle de l’Église et le pape devient le porte-parole des sans-voix. Léon XIII l’a fait pour la question sociale, tous les papes l’ont fait dans tous les domaines où il le fallait.
La fausse solution du collectivisme
Écarter les fausses solutions. On oublie trop souvent que Rerum novarum, avant même de proposer des solutions, pose une question préalable : écarter la fausse solution socialiste du collectivisme, la suppression de la propriété privée :
"Mais on ne voit que trop les funestes conséquences de leur système : ce serait la confusion et le bouleversement de toutes les classes de la société, l'asservissement tyrannique et odieux des citoyens. La porte serait grande ouverte à l'envie réciproque, aux manœuvres diffamatoires, à la discorde. Le talent et l'esprit d'initiative personnels étant privés de leurs stimulants, la richesse, par une conséquence nécessaire, serait tarie dans sa source même. Enfin le mythe tant caressé de l'égalité ne serait pas autre chose, en fait, qu'un nivellement absolu de tous les hommes dans une commune misère et dans une commune médiocrité" (RN, 12-1).
Paroles prophétiques quand on sait ce qu’ont donné les régimes collectivistes. Mais alors, face à la question sociale, fallait-il condamner tout le système en place ? Au contraire, Léon XIII défend la propriété privée : "Que ceci soit donc bien établi : le premier principe sur lequel doit se baser le relèvement des classes inférieures est l'inviolabilité de la propriété privée" (RN, 12-2). Car la propriété est conforme au droit naturel et l’homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fond qui est à lui décuple son ardeur au travail.
Réformer le système
Mais alors que faire ? Réformer le système. Accorder un juste salaire, pour permettre à chacun d’accéder à la destination universelle des biens, et, si cela ne suffit pas, faire jouer la solidarité, considérée comme un devoir impérieux pour chacun ; permettre aux ouvriers de s’associer, pour se défendre (liberté syndicale) ; faite collaborer travail et capital, au lieu de les opposer ; donner toute leur place aux corps intermédiaires ; accepter une intervention modérée de l’État lorsque c’est nécessaire, suivant le principe de subsidiarité que développera un de ses successeurs, Pie XI.
Nous ne sommes plus en 1891. La question sociale est devenue mondiale, avec le sous-développement d’une partie du monde ; l’industrie a cédé une large place aux services ; les exclus sont nombreux, en dépit d’un État-providence trop impersonnel et lointain ; l’égoïsme des nations revient avec la montée du protectionnisme ; la révolution numérique et l’intelligence artificielle vont bouleverser l’économie. Tout cela va entraîner des mutations économiques qui renouvellent la question sociale. En choisissant le nom de Léon, le nouveau pape veut s’attaquer à ces défis nouveaux, comme son prédécesseur : dénoncer les injustices, condamner les fausses solutions, conserver ce qui est conforme au droit naturel, réformer ce qui doit l’être. Mais avec le même esprit que Léon XIII, car l’Église n’est pas une ONG, et donc comme disciples du Christ, en agissant par amour de nos frères et en missionnaires de la Bonne Nouvelle.
