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Ce que peut faire un pape… et ne pas faire

Le pape Léon XIV à la Loggia de Saint-Pierre de Rome, le 8 mai 2025.

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Paul Airiau - publié le 10/05/25
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Le Pape, combien de divisions ? Quel est son pouvoir réel ? Si l’impératif catégorique de la continuité s’impose à tous les successeurs de Pierre, le nouveau pape Léon XIV va se trouver confronté à une dynamique de l’institution qui a tendance à se fragmenter, analyse l’historien Paul Airiau.

PAPE LÉON XIV

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Voici qu’un nouveau pape est appelé à régner. C’est ce qui arrive de temps en temps. Et tout un chacun anticipe déjà tout ce qui va changer, ce que va produire cette nouveauté pour l’Église, le catholicisme et le monde. Au choix : des merveilles, des
horreurs, de la continuité. Tout cela repose sur un postulat de sociologie spontanée fort élémentaire (que les sciences sociales se sont pourtant évertuées à soigneusement, consciencieusement, obstinément, critiquer) : un homme seul est
capable de changer la face de la Terre.


Un homme seul ?


Autant cela est compréhensible à l’intérieur du catholicisme et pour un point somme toute assez particulier — puisque celui-ci tient, que, effectivement, en ce qui concerne le rapport à Dieu et le salut, un homme seul a changé le monde —, autant en dehors c’est la preuve de l’échec permanent de la vulgarisation scientifique et du besoin incoercible des médias, des commentateurs et du tout un chacun, de croire, d’espérer, d’attendre une épopée héroïque, de ces récits où un héros ou une héroïne, confrontés à une hostilité radicale, surmonte les épreuves et accomplit une destinée ou une mission. L’homme seul résistant aux éléments déchaînés ; la femme isolée triomphant de l’adversité ; l’enfant abandonné échappant à son triste sort ; le justicier et l’innocent triomphant face aux forces hostiles coalisées contre eux : voilà ce qui alimente les émotions de tout un chacun et suscite des mobilisations affectives et partisanes. Pourtant, dans le cas du catholicisme, Benoît XVI et François lui-même ont beau avoir été la récente preuve que l’homme seul ne peut pas grand-chose contre une institution, d’autres dirigeants contemporains ont beau attester que le volontarisme y compris discursif ne saurait tenir lieu de politique cohérente et efficace (Hitler en est finalement mort, et il suffit d’ouvrir les yeux pour voir les actuels succès relatifs des mâles au pouvoir persuadés qu’on peut quand on veut), on continue à y croire.


La dynamique de l’institution

Malgré tout, le sens commun n’est pas complètement insensé. On ne peut ignorer que la pesanteur sociale n’est pas tout et qu’il est tout à fait possible à un individu de faire du neuf ou de savoir utiliser les réalités conditionnant le cadre de son action pour agir. La chose est d’autant plus vraie lorsqu’il s’agit de ces humains qui obtiennent le plus haut degré de responsabilité, celui où le cadrage des possibilités est le plus labile. À cet égard, le pape, monarque absolu non héréditaire élu par une aristocratie viagère sélectionnée par ses prédécesseurs (selon des modalités modifiables) et partiellement épurée par des règles d’âge (toujours manipulables), dispose de latitudes sans doute supérieures à celle d’un certain nombre de chefs d’États, de dirigeants d’entreprises, d’entraîneurs d’équipes sportives ou de tout autre « N+x » — sans compter les authentiques autocrates, potentats, et autres dictateurs et tyrans de tout poil, qui ne sont jamais au pouvoir que parce qu’ils répondent aux intérêts de toute une série d’individus et de groupes, ce qui limite en fin de compte ce qu’ils peuvent faire. Cependant, tout monarque absolu, qu’il soit du seul État intégralement socialiste et
quasiment entièrement emmuré (l’État de la Cité du Vatican, où toute l’activité économique est étatisée et qu’enclôt un mur à faire pâlir d’envie certains opposants aux migrants), et tout pontife suprême qu’il soit du Saint-Siège et de l’Église, le pape
reste cependant contraint par la dynamique de l’institution qui reconnaît en lui son Leader Maximo. Il a en effet beau pouvoir « motu proprier » autant qu’il le veut en s’appuyant sur les principes jusqu’à ce qu’ils cèdent, au nom des nécessités du temps présent, ou de la miséricorde l’emportant sur la justice ou la foi sur la morale, il lui faudra encore et toujours et malgré tout justifier que son charisme, qui est rationnel-légal (ce qui est déjà en tant que tel compliqué, voire problématique), lui permet de ne pas être tout à fait traditionnel. Et ça, au sein du catholicisme, ça reste
extrêmement compliqué.


L’impératif de la continuité


Car, dans le catholicisme, même si l’affirmation évangélique autorise le maître de maison à tirer de son trésor du neuf et de l’ancien, il n’en reste pas moins que le neuf doit s’enraciner dans l’ancien et que toutes les herméneutiques ne sont pas possibles, car certains chemins sont fermés, la Révélation, les Pères et papes morts et les conciles passés les gardant. À moins que Léon XIV ne tienne à tourner le dos au chemin imposé de Léon XIII à Pie XII, qui a consisté à rendre impossible la possibilité moderniste, comprise non tellement comme intégration délicate de l’exégèse historico-critique et des sciences religieuses sécularisées, que comme nécessaire et permanente réévaluation du contenu doctrinal à l’aune de son adéquation par la société, celle-ci jaugeant celui-là ; mais ce serait alors une authentique révolution, que d’aucuns appellent d’ailleurs de leurs vœux. Cet impératif catégorique catholique de la continuité et de la cohérence est encore plus intense et encore plus sensible depuis que Vatican II a réalisé un aggiornamento qui n’a jamais vraiment cherché à se justifier autrement que par l’appel à l’inspiration prophétique plus ou moins reconnue du pape qui l’a convoqué, du pape qui l’a continué et de l’assemblée qui l’a réalisé, et par sa propre autorité rationnelle-légale de concile appuyée sur celle du pape et validé in fine par lui — soit un mode de fonctionnement qui est une espèce de quintessence de ce qu’a pu être le catholicisme
romain dans son déploiement de la fin du XVIIIe siècle au deuxième tiers du XXe siècle. Cette absence de vraie justification des mutations qui se sont produites, d’autant que les autorités n’ont presque jamais explicitement barré toute une série de chemins pensés par ceux qui les empruntaient comme réalisation de cette mise à jour, fait que perdure encore et toujours l’incertitude herméneutique d’un concile désormais mythifié. Et cela alimente une pulvérulence du catholicisme largement
supérieure à celle qui a toujours existé, chacun et chaque groupe se bâtissant hic et nunc son petit catholicisme à lui plus ou moins comme il l’entend, tout en se prétendant fidèle à la foi et aux mœurs authentiques, à leur lettre et à leur esprit.


Le pouvoir de l’anneau

C’est donc ici que se révèle un problème que Robert Francis Prevost, désormais glorieusement régnant, devra sans doute affronter d’une manière ou d’une autre, alors que le désormais défunt Jorge Bergoglio s’était contenté de l’alimenter
largement en promouvant une pastorale de la casuistique la plus probabiliste possible et de la bonne foi la plus élargie envisageable, en conformité théorique/relative/incertaine avec l’herméneutique de la continuité de Joseph Ratzinger explicitant Karol Wojtyła et le Giovanni Battista Montini d’après 1965 et surtout 1968. Comment tenir et faire que, toutes légitimes variations mises à part, cela soit bien la même foi et les mêmes mœurs catholiques qui se déploient à Oulan-
Bator, Bangkok, São Paulo, Kinshasa, Amsterdam et Anchorage, alors que la romanisation centralisatrice du XIXe siècle a été théoriquement passée par pertes et profits, et qu’elle est pratiquement désormais non seulement largement inopérante
mais aussi sans doute inopportune ? Mais est-il un candidat à la papauté qui oserait s’affronter à ce redoutable problème,
in concreto, par-delà les lacrymalo-spiritualo-théologiques considérations sur l’inculturation, la synodalité, la conversation dans l’Esprit et l’ecclésiologie de communion ? Car il est difficile de renoncer au pouvoir de l’anneau qui lie tous les
autres anneaux…

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