PAPE LÉON XIV
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On ne s’attendait ni à ce que le conclave trouve si rapidement le successeur au pape François, ni à ce que l’élu soit Robert Francis Prevost, qui a décidé de s’appeler Léon XIV. Les spéculations vont donc bon train. D’abord sur les raisons qui l’ont fait choisir. Son nom figurait bien sur certaines listes de papabili, mais pas parmi les favoris des vaticanistes chevronnés, augures et autres parieurs. On s’interroge ensuite sur son origine, son parcours, ce qu’il a pu faire et dire, ses amitiés, ses allégeances et ses soutiens, pour essayer de prédire des orientations, des priorités. On se demande aussi quel signal envoie le choix du nom de Léon, déjà treize fois utilisé. On analyse enfin ce que pourrait sous-entendre chaque phrase de l’allocution que le nouveau pape a prononcée en se présentant au balcon de Saint-Pierre…
Le pape est plus que l’homme qu’il a été
Toutes ces questions sont sans doute sinon légitimes, au moins compréhensibles. Elles reflètent néanmoins une curiosité un peu vaine, ou en tout cas superficielle. Car il est impossible de prédéterminer comment le passé de cet homme va conditionner son exercice de la lourde charge qu’il a reçue et acceptée. Il convient plutôt, à l’inverse, d’attendre pour voir comment ces responsabilités vont refaçonner et en quelque sorte dilater le personnage. En un mot (un peu brutal), c’est la papauté multiséculaire qui "fait" le pape, bien plus qu’aucun pape du moment ne redéfinit la papauté.
Ceci ne veut pas bien sûr dire que la biographie du souverain pontife soit sans portée et donc sans intérêt. Pour prendre l’exemple du pape François, il est probable que sa sensibilité au sort des migrants n’était pas sans rapport avec le fait que son père avait émigré du Piémont en Argentine et que sa mère, née là-bas, était aussi fille d’immigrés italiens (de Ligurie). Mais ceux qui ont (comme moi) furtivement croisé le cardinal Bergoglio avant 2013 gardent le souvenir d’un prélat discret, réservé, timide presque — bien différent du pape qui a déconcerté autant "à droite" qu’ "à gauche" et s’est acquis une popularité jusqu’en dehors de l’Église.
La priorité de la paix
Nul ne peut dire comment Léon XIV, aux origines diversifiées, religieux augustin, missionnaire puis évêque au Pérou et récemment appelé à Rome, va relever les défis que posent le décentrage du catholicisme hors d’Europe, les querelles liturgiques, le cléricalisme et les abus en tous genres, la morale sexuelle, le féminisme, la mise en œuvre de la synodalité, l’œcuménisme et la coopération interreligieuse, les relations avec les États sécularisés ou étrangers au christianisme, l’écologie, la réorganisation de la Curie romaine, les finances du Vatican, etc. Et cette énumération de préoccupations est très certainement incomplète…
Les premières paroles du nouveau pape ont toutefois révélé un souci urgent de la paix et, par ricochet, une mise en garde contre les guerres. Certes, elles ne semblent pas, pour l’heure, menacer s’étendre au monde entier, comme au XXe siècle. Mais elles se multiplient çà et là, et font des victimes non seulement dans les combats, mais encore dans les misères qu’elles créent et accentuent en gaspillant des ressources qui pourraient aider à vivre au lieu de tuer et d’appauvrir.
Unité de l’humanité, unité de l’Église
Léon XIV a encore évoqué, dans la foulée, l’unité du genre humain, qui reste à découvrir dans sa plénitude et ne vient pas seulement d’"en-bas", des bonnes volontés, mais d’"en-haut" : de Dieu qui est le Père de tous. De cette unité, l’Église est bien sûr appelée à être l’avocate, et d’abord le témoin. De ce point de vue, l’élection du successeur du pape François en à peine plus de vingt-quatre heures constitue un plaidoyer éloquent.
On ne peut que s’émerveiller que les cardinaux électeurs, dont les quatre cinquièmes avaient été nommés par le pape juste défunt, qui étaient fort différents et qui ne se connaissaient à peine entre eux, aient pu aussi promptement arriver au consensus suffisant sur un homme qui n’était l’un d’eux que depuis un an et demi. Il serait peut-être présomptueux de déclarer miraculeuse cette unité. Quoi qu’il en soit, elle est aussi prometteuse qu’étonnante.
De l’"état de grâce" à la "grâce d’état"
Il est cependant à parier que ne durera pas indéfiniment l’"état de grâce" que, comme tout nouvel élu, Léon XIV connaît aujourd’hui, où il n’a encore pu mécontenter personne. Le pape n’a pas pour mission de conforter chacun dans ce qu’il croit déjà et s’honore de faire (ou ne pas faire), mais d’aider à découvrir l’ampleur et la variété des dons de Dieu, qui vont jusqu’au consentement à ne pas se les approprier, afin de les partager. En ce sens, le successeur de Pierre a une mission paternelle de guide et de soutien, mais aussi d’aiguillon, de stimulateur et même de dérangeur de conforts anesthésiants.
Les premiers mots de saint Jean-Paul II en 1978 sonnent encore à nos oreilles : "N’ayez pas peur !" On peut estimer qu’il ne s’adressait pas qu’à ceux qui étaient présents, mais à tous, à travers l’espace et le temps, y compris ceux qui lui succéderaient. Quand il a répondu qu’il acceptait la charge que lui attribuaient les votes des cardinaux, Francis Robert Prevost n’a pas eu peur. C’est la grâce qu’il a reçue : la "grâce d’état", qui est liée à la fonction de "serviteur des serviteurs de Dieu" et demeure quand prend fin l’"état de grâce" dans l’opinion. C’est la grâce de séduire pour conduire jusqu’à "la porte étroite" (Mt 7, 13) qui mène à Dieu, et de l’ouvrir (Ac 14, 27), sans craindre de montrer ce qu’exige de la franchir. On peut — on doit même — prier pour que Léon XIV soit comblé de cette grâce de n’avoir pas peur.