PAPE LÉON XIV
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Dans le discours politique, le référendum est comparable à l’équilibre des comptes publics : tout le monde en parle, personne n’y croit. On en vient à se demander si on en veut réellement. Les derniers présidents de la République avaient tous inscrit dans leur programme électoral l’organisation de référendums pour rendre la parole au peuple. Depuis vingt ans aucun, n’a tenu cette promesse. Donner la parole au peuple ne va pas de soi pour les élus du peuple. Il faut dire que le dernier référendum tenu, celui qui devait approuver le texte de la Constitution européenne en 2005, déboucha sur un non massif. On avait demandé son avis au peuple, on n’avait pas prévu qu’il en eût un. Et comme le peuple avait donné un avis qui n’était pas convenable, le Congrès réuni par Nicolas Sarkozy se chargea de déjuger le peuple deux ans plus tard. Cette péripétie entraîna un discrédit à la fois pour la procédure référendaire et pour la représentation parlementaire. La classe politique française n’a pas fini de payer les conséquences de ce tour de passe-passe très éloigné de l’idéal de nos institutions.
Le symbole du divorce entre le peuple et les élites
Mais il en faudrait davantage pour décourager nos tribuns. Les chefs de parti, pratiquement tous, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen en passant par Bruno Retailleau ou Marine Tondelier, ne cessent d’en appeler au référendum. Le président de la République et le Premier ministre annoncent leur intention d’en organiser un. Cependant rien ne se passe. Tout le monde a fini par croire qu’il ne se passera rien. Le référendum, qui était au cœur des équilibres constitutionnels voulus par les fondateurs de la Ve République, est devenu le symbole du divorce entre les promesses et les actes, divorce qui explique en grande partie l’incompréhension grandissante entre le peuple et les élites.
Car nos élites, même quand elles réclament un référendum, ont toujours détesté le recours direct au peuple et ne se sont jamais caché pour le dire. Elles ont hurlé contre la consultation de 1962 qui instaurait l’élection du président de la République au suffrage universel. Elles considèrent que le référendum, qu’elles aiment appeler "plébiscite" pour le dénigrer, est un outil inventé par et pour les dictateurs. Pour nos élites mondialisées, l’appel au peuple est juste bon pour les gaullistes ou les bonapartistes. Ces élites mondialisées rêvent d’une histoire de France qui n’aurait connu ni Napoléon, ni Charles de Gaulle ni d’ailleurs Louis XIV : elles rêvent d’une France qui serait une vaste Belgique. Leur idéal est orléaniste : la monarchie de Juillet ignorait le référendum. Louis-Philippe misait tout sur le suffrage censitaire, mode de scrutin capable d’exprimer les intérêts des propriétaires mais pas de défendre l’honneur des citoyens. Il fallait voter, mais pas trop.
Consensus en carton-pâte
La désuétude du référendum est-elle irréversible ? Certes non, mais un référendum qui reviendrait par temps de crise prendrait la forme d’un hasardeux coup de dés. Il pourrait être la solution pour faire place nette, compter les morts et les vivants, faire trancher par le peuple le nœud d’un pays qui n’est plus capable de vivre le « plébiscite de tous les jours » qui pour Renan fondait la Nation. S’il n’y a plus de plébiscite de tous les jours, il faudra bien un jour un plébiscite. Mais sur quel sujet ? S’agit-il d’arbitrer un choix national fondamental ou de trouver une occasion d’afficher un consensus à bon marché ?
La dernière fois que les Français ont voté pour un référendum avant le gouvernement De Gaulle remonte à très longtemps : c’était en mai 1870, sous le Second Empire.
Méfions-nous des consensus d’apparence. La dernière fois que les Français ont voté pour un référendum avant le gouvernement De Gaulle remonte à très longtemps : c’était en mai 1870, sous le Second Empire. Napoléon III avait consulté le peuple sur un texte habilement formulé : "Le peuple français approuve les réformes libérales opérées par l’Empereur." Pari réussi, avec 82% de oui et moins de 20% d’abstentions. La France profonde, celle des campagnes, apporta ses massivement ses suffrages à l’Empereur contre la France des grandes villes. L’opposition fut assommée. Gambetta, le républicain, estima que tout espoir d’alternance était perdu. Jules Favre annonça son intention d’arrêter la politique en précisant, désespéré, que l’engagement politique ne servait plus à rien. Mais ce plébiscite était un consensus en carton-pâte : quelques semaines plus tard, le régime s’effondrait avec la défaite de Sedan. Puis ce fut la Commune de Paris. Il ne faut pas miser sur le consensus de façade présenté par un habile référendum de forme, ni sous-estimer les risques de désordre d’un référendum de fond. Le référendum est un médicament républicain capable de tuer une démocratie malade.
Un coup de dés
On nous annonce un référendum. Croyons-le. Mais comment organiser un référendum aujourd’hui ? Notre Constitution prévoit deux procédures distinctes. D’abord celle de l’article 89, destinée à ratifier des traités internationaux : elle suppose le vote préalable en termes identiques d’un texte par les deux Assemblées. On peut l’oublier. Un vote en termes identiques par nos deux Assemblés est hors de portée. Ensuite existe la procédure du référendum de l’article 11, à l’initiative du président de la République, sur proposition du Premier ministre : pas simple. Car il faudra que les deux têtes de l’exécutif s’entendent sur la question qui sera posée et sur la manière dont on la posera : immigration, éducation, politique des finances publiques, fin de vie, laïcité, Défense nationale ? Depuis qu’on a élargi le champ des questions qui pouvaient être soumises au référendum de l’article 11, en 2008, l’outil est resté dans sa boîte.
On nous dit donc que le président de la République va bientôt annoncer son intention de provoquer un référendum ou même plusieurs référendums. Cet adepte des coups de dés pourrait nous surprendre une fois de plus et même, qui sait, nous "décevoir en bien" comme disent les Suisses qui sont les champions mondiaux du référendum. Le recours au peuple n’est jamais une mauvaise idée. Mais notre chef ne doit pas oublier que si on nous demande notre avis, nous le donnerons.
