Pour qui cherche l’espérance dans les preuves que le catholicisme n’est pas mort, l’agitation médiatique qui entoure l’imminence d’un nouveau conclave aurait de quoi réjouir. La France sécularisée, laïcardisée, débaptisée, france-interisée… n’a d’yeux que pour Rome et en oublierait presque les caméras et les micros tournés jour et nuit sur Donald Trump, ses pompes et ses œuvres. Si on mesurait l’imprégnation de l’Évangile dans la société à la fréquence de quelques mots dans les moteurs de recherche, il y aurait même de quoi entonner des "Alleluia". L’Église n’avait jamais autant fait la Une depuis… les révélations en chaîne des abus sexuels, quand la liste des évêques incriminés était plus longue que celle des "papabili".
L’ambivalence des projecteurs
Rapprocher ces deux séquences médiatiques ne vise pas à jouer les rabat-joie, mais à repérer l’ambivalence de tous les projecteurs : curiosité malsaine ou intérêt bienveillant, volonté de nuire ou désir de faire comprendre, vain divertissement par les bruits de couloir ou volonté sincère de nourrir son esprit d’analyses utiles… Les media catholiques ne sont évidemment pas à l’abri des dérives de la grande machine à scoops qui nous enserre, d’autant plus que chacun tend à juger les images vaticanes à travers les clivages qui court-circuitent sa vision du réel : progressistes contre traditionalistes, cathos de gauche contre réactionnaires, réformateurs contre conservateurs, gay-friendly contre homophobes…, les variations lexicales sont nombreuses, mais elles ont en commun de renforcer les clichés et d’ignorer la nuance. La personne de l’Église peut-elle en sortir grandie ?
Devant l’accumulation des bavardages et des images, on est tenté de se dire que le contenu des émissions importe peu. Il contribue seulement à nourrir le flux permanent qui nous apporte quotidiennement la dose d’informations (de stimuli ?) qui entretient notre addiction. Beaucoup de flashs pour rien, en somme, ou sans autre but que de faire patienter jusqu’au suivant.
Le pape idéal
Face à l’armée des "vaticanistes", vétérans aguerris ou jeunes recrues prometteuses, on songe à la leçon de Marshall McLuhan : "En réalité et en pratique, le vrai message, c'est le medium lui-même." Autrement dit, le conclave n’est pas véritablement ce qui intéresse journalistes et spectateurs ; il n’est qu’un prétexte parmi d’autres pour faire vivre l’ère médiatique qui, in fine, n’est jamais au service que d’elle-même. Si l’élection d’un pape ne vaut que comme compte-à-rebours et comme suspense, rien ne distingue son enjeu de celui d’une finale de Coupe du monde : à l’apparition d’un nouvel homme en blanc au balcon, comme après la victoire d’une équipe de foot, chacun peut passer à autre chose, en attendant la prochaine élection. L’attente peut durer quarante-neuf jours ou vingt-six ans, selon que le Jean Paul élu soit le premier ou le second.
Au milieu des suppositions, pronostics, rumeurs fondées sur des sources presque sûres, espoirs d’une église différente grâce à un pape différent, une remarque faite par Michel Houellebecq en 2017 revient à l’esprit : à une journaliste, peu gauchiste, que les déclarations "immigrationnistes" du pape François inquiétaient, il répondait à peu près (je cite de mémoire) : "À l’échelle de l’histoire du christianisme, qu’un pape ne soit pas à la hauteur n’est pas très grave." Le propos, certes, était désinvolte et légèrement provocateur. Il n’empêche que l’agnostique Houellebecq témoignait sans doute de plus de foi dans l’Église que tous les catholiques qui dissertent, en attendant le conclave, sur le pape idéal nécessaire à la survie du catholicisme, dernière chance avant fermeture définitive.
La foi de tous
Un rappel s’impose alors : ce n’est pas seulement à saint Pierre, mais à tous les disciples, que le Christ déclare que la foi peut déplacer les montagnes ou déraciner les arbres. Si la survie de la Bonne Nouvelle ne dépendait que du souverain pontife, de ses références théologiques, de ses choix politiques ou même de sa sainteté, les clés du Royaume seraient rouillées ou perdues depuis longtemps. Peut-être est-il bon de se souvenir de ce que les apôtres venaient de demander au Christ, quand Il leur répondit que les arbres leur obéiraient pour aller se planter dans la mer : "Augmente en nous la foi !" Y aurait-il un conclave deux mille ans plus tard, s’ils s’étaient contentés de Lui réclamer en exclusivité le nom du premier successeur de Pierre ?
