À l’approche du conclave, le 7 mai, Aleteia propose le portrait de l’un des cardinaux électeurs dont la voix devrait compter. Un sourire contagieux, une foi profonde et un engagement sans faille pour l'Église, voilà ce qui définit le cardinal Lazarus You. Depuis sa nomination à la tête du dicastère pour le Clergé en 2021, ce Coréen s'efforce de redonner une nouvelle dynamique à la formation des prêtres, tout en portant la voix de l'Église catholique asiatique à Rome.
PAPE LÉON XIV
Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter quotidienne.
Le 'cardinal You', comme il est souvent désigné à Rome, est depuis 2021 en charge, au sein de la Curie romaine, des près de 410.000 prêtres, 46.000 diacres et 7.000 séminaires actifs dans le monde. Reconnaissable par son grand sourire et un certain sens de l’humour, le Sud-Coréen fait partie de cette « jeune » génération de dirigeants – avec les cardinaux Grech, Semeraro ou encore Roche – qui ont été appelés à 'conduire' l'Église après l'aboutissement des grandes réformes de François, notamment celle de la Curie. Il est originaire de Nonsan, une petite ville située près de Daejeon, au centre de la Corée du Sud, dans une région connue pour son dynamisme économique et scientifique. Sa naissance précède de quelques mois seulement le déclenchement de la guerre de Corée. Sa famille n'est pas catholique et son père est mort pendant le conflit fratricide alors qu'il n'avait que 6 mois.
Le premier baptisé de sa famille
Scolarisé dans un établissement catholique nommé Kim Taegon, du nom du premier prêtre coréen Kim Taegon, il devient le premier baptisé de sa famille, à l'âge de 16 ans. Il explique avoir été converti par la figure du martyr Kim et avoir voulu suivre les pas de cet homme à la vie aventureuse. En 1969, il rejoint le séminaire de l’Université catholique de Corée à Séoul à l’âge de 18 ans. Il confie avoir alors traversé une "crise" quand il s’est rendu compte que le séminaire ne correspondait pas à l’idéal qu’il avait envisagé : l'Église "n'est pas seulement composée de saints", confiera-t-il plus tard.
Il explique avoir résolu cette tension en dehors du séminaire, lors d’une rencontre à Frascati (Italie) du mouvement des Focolari, qu’il a rejoint. Il en conclut alors que le séminaire doit être pensé comme un lieu "comme les autres" et non pas un "petit monde" fermé sur lui-même. "Les séminaires ne doivent pas être des usines à prêtres déjà beaux et prêts", insiste-t-il. Le Coréen, qui a par la suite dirigé le séminaire de Daejeon, de 1998 à 2003, tirera de nombreux enseignements de cette épreuve : il prône aujourd'hui un retour à la "centralité de la Parole" dans une formation qu’il veut plus libre et moins "autoritaire". Il demande en outre que des femmes et des laïcs interviennent régulièrement dans les séminaires, et que soient prises en compte la maturité humaine et l’affectivité des séminaristes au cours de leur formation.
Le christianisme, "une alternative crédible"
Une autre chose vient le confirmer dans sa vocation : peu à peu, toute sa famille se convertit, "une véritable contagion". Les conversions comme les siennes, explique-t-il, ont été nombreuses en Corée du Sud, le catholicisme étant perçu comme une alternative crédible à une culture où le confucianisme a été remplacé par un très fort matérialisme et par l’individualisme. Il remarque que, contrairement à l’image qu’on peut se faire des chrétiens en Occident, les chrétiens coréens sont reconnus dans leur pays pour avoir "beaucoup contribué à la croissance des idées de parité et de dignité de toutes les personnes". "Quand les autres voient notre joie de chrétiens, ils sont contaminés", affirme aujourd'hui le cardinal.
Après trois années de service militaire, son évêque l’envoie à Rome à partir de 1976 pour étudier l'ecclésiologie à l’université du Latran. Là, il rencontre par chance le pape Jean Paul II et lui déclare son envie de donner sa vie pour l'Église. Le Polonais l'aurait serré dans ses bras et lui aurait répondu : "C'est un bon prêtre". Il est ordonné en 1979, et affirme avoir vécu ce sacrement comme une "mort" afin de se donner pleinement à sa mission pour Dieu et pour les autres. Il considère que le prêtre ne doit pas avoir une "vision idéalisée" de son sacerdoce mais l’adapter au contexte social et culturel auquel il se trouve confronté, avec "patience". Il poursuit ses études et obtient son doctorat en théologie dogmatique en 1983.
Il retourne alors en Corée du Sud après sept années passées dans la Ville Éternelle, un temps qui l'a ouvert à l’universalité de l’Église et lui a permis d’apprendre l’italien. Il travaille alors comme prêtre à la cathédrale de Daejeon puis est nommé directeur du centre d’éducation catholique du diocèse en 1984, et directeur pastoral du diocèse en 1989. En 1994, il devient directeur spirituel et professeur à l’Université catholique de Daejeon puis président de l’université en 1998. En 2003, il est désigné par le pape Jean Paul II pour devenir évêque coadjuteur de son diocèse d’origine, et en devient l’évêque en 2005 à la retraite de son prédécesseur. Son diocèse est célèbre pour être celui de la plupart des martyrs de Corée, canonisés par Jean Paul II en 1984, dont le premier prêtre coréen André Kim Taegon. Mgr You sera particulièrement actif dans la promotion de l’héritage d’évangélisation héroïque de ces saints locaux.
Un engagement fort pour la Caritas coréenne
Comme évêque, il se distingue par son engagement pour la Caritas coréenne, son intérêt pour les questions sociales et liées aux migrants et pour la pastorale des jeunes. En tant qu’ancien membre des Focolari, il a participé aux JMJ de 2013 au Brésil, puis a organisé dans son diocèse les Journées asiatiques de la jeunesse en 2014, qui donnent l'occasion au pape François de visiter la Corée du Sud, où il suscite un vaste engouement populaire. Dans son ministère épiscopal, il explique avoir aussi particulièrement travaillé à se montrer proche de ses prêtres afin de "partager vraiment la vie diocésaine".
En 2020, il est choisi par ses pairs pour être secrétaire de la conférence épiscopale coréenne. C’est son engagement pour la réconciliation avec la Corée du Nord qui marquera les esprits et le fera connaître au-delà des frontières de son pays. Cela lui vaut parfois d'être qualifié en Corée du Sud d' "évêque rouge" dans certains milieux. En tant qu’évêque, il s’est rendu au-delà du 38e parallèle nord à quatre reprises pour accompagner des convois humanitaires. En 2021, il s’est fait remarquer en affirmant que le pape François comptait se rendre en Corée du Nord - il s’agit en fait d’un grand projet que l’évêque porte dans ses prières et ses déclarations depuis 2018.
Le cardinal Lazarus You lors du synode sur la jeunesse, octobre 2018
Antoine Mekary | ALETEIA
L’Église catholique coréenne - qu'il représente à Rome - est une des plus dynamiques du monde. La Corée du Sud a vu le nombre de catholiques augmenter ces dernières décennies, pour atteindre 11% de la population, une rareté dans le paysage global du catholicisme. Cette croissance est bâtie sur l’alternative que propose l’Église catholique dans une société "victime du matérialisme, de la convoitise et de la compétition égoïste", affirme-t-il à Asianews en 2020. Dans cette société où progresse aussi l’athéisme, "les personnes ont besoin de vie communautaire, avec l’amour mutuel comme nouveau commandement".
Un an après son arrivée à Rome, le Pape François l'a rapidement élevé à la pourpre cardinalice. Alors que le pontife lui remet la barrette cardinalice, Lazarus You lui déclare : "Je suis prêt à donner ma vie pour vous et pour l’Église". En recevant l’habit rouge, couleur du sang du martyre, le Coréen considère revenir aux origines de sa propre foi, mais aussi de la foi des catholiques coréens. Le nouvel élan donné par le cardinal You à la tête du dicastère pour le Clergé est assez récent et donc difficile à mesurer. Il a cependant été particulièrement apprécié par plusieurs évêques suisses et français qui l’ont rencontré en visite ad limina.
Interrogé en 2022 par Vatican News, il s’est dit "très préoccupé" par la baisse des vocations sacerdotales observée dans "presque tous les pays". Pour lui, les fortes vocations relevées en Corée du Sud sont avant tout un "cadeau" que Dieu leur a donné et continue de leur donner "à travers" leurs martyrs. Sa mission, estime-t-il, est de donner des "témoignages crédibles" aux jeunes qui veulent devenir prêtres. Le Coréen insiste aussi sur l’importance de "former des prêtres solides et matures", notamment pour éradiquer le fléau des abus.
Apprendre à vivre "en réseau"
Le cardinal You met en garde contre "la nostalgie du traditionalisme" derrière lequel se cache le "désir de retourner à une société dans laquelle le prêtre était "quelqu’un" ". Il invite les prêtres à "avoir le courage" d’être à "contre-courant" d’une vision dans laquelle leur "autorité s’accompagne toujours de signes visibles de pouvoir et de richesse". Les prêtres, insiste enfin le préfet, doivent faire attention à ne pas s’épuiser à la tâche, et renoncer à tout contrôler dans leur paroisse. Pour cela, ils doivent apprendre à vivre "en réseau" et non "au centre" de leur communauté. Sous sa direction, le dicastère pour le Clergé a lancé un site pour aider les prêtres du monde entier à poursuivre leur formation.
Il dit aussi avoir été marqué lors de ses premières rencontres avec des évêques européens par leur préoccupation et leur souffrance face à la déchristianisation que connaît leur pays et l’oppose au christianisme asiatique dans laquelle l’Église parvient, selon lui, à faire rencontrer "foi et culture". "Nous sommes appelés à retrouver la vigueur et l’enthousiasme d’une nouvelle annonce de l’Évangile", affirme-t-il aux évêques occidentaux, reconnaissant néanmoins qu’il n’y a pas de "recettes faciles" pour cela. Il déplore que le christianisme soit souvent trop concentré sur les normes et "aspects extérieurs et organisationnels", ce qui lui fait perdre "sa saveur".
Le cardinal You invite donc les chrétiens à faire "un peu d’autocritique" et à se mettre à l’écoute de son époque pour trouver des nouvelles voies d’évangélisation. "En Occident, le catholicisme a peut-être besoin de nouvelles lectures de la réalité et de la vie des personnes, pour reformuler la demande sur Dieu dans un mode nouveau", avance-t-il. Le préfet met enfin en garde contre les querelles stériles, affirmant par exemple que la question des couples divorcés-remariés doit être envisagée "selon l’unique valeur absolue qui est l’amour". "Dans l’Église, nous devons nous souvenir de ceci : il est mieux d’être imparfaits dans la communion que d’être parfaits dans la désunion", insiste-t-il, donnant comme modèle les premières communautés chrétiennes apparues après la mort de Jésus.
Le cardinal You incarne l'espérance asiatique portée par le pontificat de François. "Nous tous, nous avons besoin de cette lumière qui vient de l’Orient", déclarait ce dernier dans un style très prophétique dans la préface d'un livre d'entretien avec le cardinal coréen, le remerciant de rendre le "témoignage joyeux d’une Église vivante".
Profil du cardinal You
Date de naissance : 17 novembre 1951 Ordination : 9 décembre 1979 Ordination épiscopale : 19 août 2003 Consistoire : 27 août 2022 Créé cardinal par: François Famille spirituelle : Focolari Langues parlées : anglais, coréen, italien Rang et paroisse : Cardinal diacre du Gesù Buon Pastore alla Montagnola Membre de la Curie : Oui Parle italien : Oui